Aujourd’hui, je suis de retour de Ludwigshafen, en Allemagne, où nous venons de présenter, devant un public francophone, Ahmed revient d’Alain Badiou. Il s’agit d’un spectacle comique que je joue masqué et qui dénonce avec humour le racisme hexagonal, en remontant à ses origines. Mais c’est aussi un spectacle qui propose à chacun de penser par soi-même, loin du carcan des jugements communautaires. Les deux représentations que nous avons données ont rencontré un franc succès. Au-delà des rires et des applaudissements, ce qui m’a particulièrement frappé, c’était la compréhension et l’adhésion chaleureuse des spectateurs au projet de la pièce. Nous étions loin de l’étrange inquiétude et du rejet véhément que ce spectacle a parfois suscité en France. Comme si cette pièce, comique et politique, ébranlait un peu trop la « grandeur » de la « patrie des droits de l’homme ». Cette aversion pour le comique, n’étant pas sans rappeler ce qu’écrivait Nicolas Boileau en 1674 :
« C’est par là que Molière illustrant ses écrits
Peut-être de son art eût remporté le prix,
Si, moins ami du peuple en ses doctes peintures,
Il n’eût point fait souvent grimacer ses figures,
Quitté pour le bouffon, l’agréable et le fin,
Et sans honte à Térence allié Tabarin.
Dans ce sac ridicule ou Scapin s’enveloppe,
Je ne reconnais plus l’auteur du Misanthrope ».
Force est de constater qu’en France, celui qui se targue d’avoir éducation et bon goût, a beaucoup de mal à apprécier la farce : il préfère asséner des leçons de morale aux histrions qui osent se moquer de la Cour. Comment ne pas penser aujourd’hui à la condescendance que manifestent certains professionnels du théâtre français quand on leur parle de comique ou de masque ? Parfois, cet objet suscite même de l’effroi, on en a peur ; peut-être parce que dessous, il y a un être caché, une identité dissimulée, un individu que l’Église catholique dénonçait autrefois comme pécheur pour avoir renoncé au visage que Dieu lui avait donné « à son image ».