Pour qui n’est pas fam­i­li­er du théâtre pour enfants, l’expérience peut être déroutante, voire effrayante quand on se sou­vient de sor­ties de classe cat­a­clysmiques où l’on ser­vait du Molière refroi­di à des pré-ado­les­cents enclins à témoign­er bruyam­ment de leur exas­péra­tion. Les temps ont changé : on emmène désor­mais les enfants voir de bons spec­ta­cles. Et trop âgées pour le cham­bard, trop jeunes pour le cynisme, les dizaines de fri­mouss­es qui se pres­saient le 8 novem­bre 2019 dans la salle de La Mon­tagne Mag­ique à Brux­elles se sont mon­trées dignes de l’occasion. 

Le petit théâtre de Han­nah Arendt, une adap­ta­tion du livre éponyme de Mar­i­on Muller-Col­lard, illus­tré par Clé­mence Pol­let, et pub­lié en 2016 aux Édi­tions Les Petits Pla­tons, ne pèche ni par manque d’ambition ni par manque de con­fi­ance dans les ressources intel­lectuelles et esthé­tiques des moins de cent quar­ante cen­timètres. En effet, la com­pag­nie du théâtre Ago­ra nous présente non pas un (ce qui serait déjà beau­coup), mais plusieurs des con­cepts-clés de la philosophe alle­mande. Les échanges entre les per­son­nages dessi­nent le chem­ine­ment d’une pen­sée riche, com­plexe, qui se penche à la fois sur le sens des mots, Aris­tote, la démoc­ra­tie antique, le nazisme, la lâcheté et le mal. Le spec­ta­cle est touf­fu et rapi­de : dia­logues, expli­ca­tions philosophiques, rap­pels his­toriques, musique et chan­sons (dont un rap mémorable sur la polis athéni­enne) se suc­cè­dent sans que l’on ait tou­jours le temps d’en saisir la logique. Qu’à cela ne tienne, il est bon de se laiss­er men­er.