Le cercle de la violence Baby Doll, portrait de réfugiées

Opéra
Parole d’artiste

Le cercle de la violence Baby Doll, portrait de réfugiées

Propos recueillis par Leyli Daryoush

Le 23 Sep 2021
Stencia Yambogaza et Tarek Aït Meddour dans Baby Doll, mise en scène Marie-Ève Signeyrole, Deutsche Opera, Berlin, 2020. Photo Thomas Aurin.
Stencia Yambogaza et Tarek Aït Meddour dans Baby Doll, mise en scène Marie-Ève Signeyrole, Deutsche Opera, Berlin, 2020. Photo Thomas Aurin.

A

rticle réservé aux abonné.es
Stencia Yambogaza et Tarek Aït Meddour dans Baby Doll, mise en scène Marie-Ève Signeyrole, Deutsche Opera, Berlin, 2020. Photo Thomas Aurin.
Stencia Yambogaza et Tarek Aït Meddour dans Baby Doll, mise en scène Marie-Ève Signeyrole, Deutsche Opera, Berlin, 2020. Photo Thomas Aurin.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 144-145 - Opéra et écologie(s)
144 – 145

À l’opéra, en rai­son du livret, je ne suis pas libre d’aborder les sujets qui m’intéressent, ni d’écrire l’histoire qui me tra­verse. Baby Doll1 est une com­mande de l’Orchestre de cham­bre de Paris pour la 250e année de la nais­sance de Beethoven. Le choix d’une sym­phonie du com­pos­i­teur m’a été accordé et j’ai pro­posé la Sep­tième pour en faire une sorte d’opéra pour notre temps.

La liberté d’imaginer l’histoire et la forme

Avec cette sym­phonie, j’étais libre d’imaginer le sujet et la forme scénique du pro­jet, et je voulais un objet hybride – un dia­logue entre une musique emblé­ma­tique de notre pat­ri­moine et une musique plus actuelle, celle du clar­inet­tiste Yom et son ensem­ble, les Won­der Rab­bis. En con­ciliant ces deux musiques, j’ai provo­qué la ren­con­tre de deux univers rad­i­cale­ment dif­férents, comme un mariage arrangé ! Mais Yom a une for­ma­tion clas­sique, il est capa­ble de décrypter en amont cette sym­phonie pour y puis­er matière à com­po­si­tion. Il est aus­si un musi­cien d’improvisation, et il a com­posé, pen­dant les répéti­tions, une musique en phase avec le pro­pos nar­ratif et le mou­ve­ment des danseurs. 

Pour ce pro­jet, il était intéres­sant d’avoir des danseurs et de tra­vailler le mou­ve­ment des corps – Baby Doll par­le de migrants et de tra­ver­sées des fron­tières dans des con­di­tions physiques extrêmes. L’image vidéo aus­si était essen­tielle, avec l’usage de la caméra en direct. Je par­le d’envie mais il y a eu de heureux hasards. Dans Le Mon­stre du labyrinthe2, il était aus­si ques­tion de réfugiés et de tra­ver­sées. C’est au sein d’associations des migrants que j’ai enten­du des par­cours éton­nants dont le des­tin des femmes, réfugiées dont on ne par­le que rarement. 

À l’écoute de la Sep­tième, j’ai enten­du le voy­age ; j’ai vu des per­son­nes franchir les déserts et les mers ; j’ai enten­du des voix de femmes réfugiées. Je tra­vaille tou­jours de cette façon dans mes pro­jets d’opéra. Sans le livret. L’histoire est tou­jours une don­née incon­nue, surtout quand c’est écrit dans une langue étrangère. Seule la musique m’emmène quelque part. 

Ce n’est qu’une fois que la migra­tion fémi­nine (femmes d’Afrique sub­sa­hari­enne, d’Asie ou du Moyen-Ori­ent) s’est imposée comme sujet de mon his­toire, que le choix de la musique à la fois éclec­tique et nos­tal­gique de Yom s’est imposé3. Le dip­tyque musi­cal pre­nait sens : la musique occi­den­tale d’un alle­mand du xvi­i­ie siè­cle et celle con­tem­po­raine de Yom expri­maient l’idéal d’une vie meilleure, un Eldo­ra­do, et le voy­age pour attein­dre cette terre promise.

Après Le Monstre du Labyrinthe, la migration au féminin

Dans Le Mon­stre du labyrinthe, le lien avec la migra­tion sem­blait néces­saire même s’il n’était pas ques­tion de femmes pré­cisé­ment mais d’humains tous gen­res con­fon­dus, de familles, du lien mater­nel avec l’enfant sur l’autel du sac­ri­fice.

L’année de la créa­tion du Mon­stre du labyrinthe est aus­si le début des grandes vagues migra­toires en Méditer­ranée. Les réfugiés cli­ma­tiques sont évo­qués pour la pre­mière fois dans les grands médias. Or la plu­part des migrants sont des hommes. Où étaient les femmes ? À l’arrivée, les femmes sont isolées car elles sont enceintes ou mères d’un enfant en bas âge. Toutes ces femmes enceintes ou jeune mères m’interrogeaient et j’ai mené une enquête au Samu Social de Paris. 

Quand une femme fuit son pays, elle n’a pas d’argent. La famille ne mise pas sur elle car, con­traire­ment aux hommes, elle ne représente pas une force de tra­vail. Par con­séquent, pour obtenir de l’argent et pay­er le passeur durant son périple, elle va don­ner son corps. Les femmes sont vio­lées à mul­ti­ples repris­es durant la tra­ver­sée, puis à l’arrivée, et finis­sent par tomber enceintes. Dans toutes ces his­toires, c’est la ques­tion de l’enfant qui m’interpellait : l’enfant est celui qui est arrivé, car la femme, pour sauver sa vie, a dû don­ner son corps ; l’enfant naît à l’arrivée, car la mère, pour rester sur le ter­ri­toire, a dû tomber enceinte ; l’enfant, peu importe le con­texte finale­ment, sauve la femme d’abord et devient celui que la mère doit sauver. Enceinte moi-même pen­dant les répéti­tions, la néces­sité d’être pro­tégée me sem­blait essen­tielle. Mais là, c’était le voy­age de tous les dan­gers, avec un enfant dans le ven­tre, la mort immi­nente, et cette his­toire, il fal­lait la racon­ter. 

A

rticle réservé aux abonné.es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte. Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Opéra
Parole d’artiste
Leyli Daryoush
13
Partager
Partagez vos réflexions...
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements