Il n’y a pas une écologie, mais mille écologies

Entretien
Opéra

Il n’y a pas une écologie, mais mille écologies

Voix réunies de Paul Briottet, Pauline Chaigne, Fanny Roustan, Emmanuelle Cordoliani, Sarah Koné, Myriam Mazouzi, Zouzou Leyens, Simon Siegmann

Le 20 Sep 2021
Atelier de peinture et de menuiserie, Bruxelles, La Monnaie. Photo Constance Proux.
Atelier de peinture et de menuiserie, Bruxelles, La Monnaie. Photo Constance Proux.

A

rticle réservé aux abonné.es
Atelier de peinture et de menuiserie, Bruxelles, La Monnaie. Photo Constance Proux.
Atelier de peinture et de menuiserie, Bruxelles, La Monnaie. Photo Constance Proux.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 144-145 - Opéra et écologie(s)
144 – 145

La lutte pour la défense du cli­mat et des écosys­tèmes est sou­vent asso­ciée à l’activisme de la jeunesse, dont les mou­ve­ments Youth for Cli­mate, Extinc­tion Rebel­lion, Fri­days for Future occu­pent les villes et par­fois les théâtres, cepen­dant que l’opéra souf­fre d’une image plutôt décli­nante, et ce depuis un temps si long qu’il sem­blerait que la jeunesse de l’opéra se soit évanouie dans la nuit des temps. Pour imag­in­er ce qui pour­rait façon­ner à la fois les théâtres lyriques de demain et les sociétés plus justes dans lesquelles ils viendraient s’inscrire, nous nous sommes rap­prochés de quelques lieux de for­ma­tion (ou d’apprentissage, d’expérimentation, de per­fec­tion­nement, de pro­fes­sion­nal­i­sa­tion – quel serait le mot juste ?) qui accueil­lent les jeunes artistes s’engageant dans les métiers du théâtre lyrique. Nous avons inter­rogé des respon­s­ables et péd­a­gogues1 sur la manière dont les prob­lé­ma­tiques écologiques réson­nent aux oreilles de ces artistes, se nour­ris­sent des his­toires per­son­nelles et se dépla­cent à tra­vers la diver­sité qui est le pro­pre même de l’opéra. Sans pré­ten­dre être exhaus­tive, nous livrons ici quelques-unes de leurs réflex­ions, dont cer­taines restent ouvertes, comme tout ce qui touche à l’art et la vie.

Pandémie et mutations 

1 Pren­dre le temps. La parole artis­tique a besoin de temps pour se trou­ver, se dévelop­per pour bien s’exprimer. Éten­dre le temps c’est se ren­dre disponible, dis­posé pour mieux percevoir et accueil­lir la diver­sité. C’est se don­ner des ressources dans un principe d’écologie. (Paul Briot­tet)

2 Réson­ner. Faire réson­ner les idées des uns pour se les réap­pro­prier et les faire resur­gir d’une autre façon, c’est une vision de la scéno­graphie dont nous par­lons beau­coup avec les étu­di­ants. Elle n’est peut-être pas écol­o­giste au sens pre­mier du terme, mais elle l’est dans la mesure où cela pro­pose un « être-ensem­ble » et pense du lien comme moteur de créa­tion. (Simon Sieg­mann)

3 Accom­pa­g­n­er. Les enfants me ques­tion­nent quo­ti­di­en­nement sur le rap­port socié­tal, sur le rap­port au futur et à la respon­s­abil­ité. Le fait de les accom­pa­g­n­er de leurs 8 ans jusqu’à leurs 18 ans m’a for­cée à réalis­er qu’on était témoin d’une his­toire de page en train de se tourn­er. (Sarah Koné)

4 Garder le con­tact. La pandémie nous a imposé d’être moins mobiles et pour­tant on a réus­si à créer des ren­con­tres. Nous avons pu garder le con­tact avec notre com­mu­nauté de pro­fes­sion­nels et de jeunes artistes, en inven­tant un pro­gramme de for­ma­tion en ligne, imbriqué à des ses­sions en présen­tiel. (Fan­ny Rous­tan)

5 Impro­vis­er. Accepter la notion d’improvisation, pour moi, c’est accepter le vivant. (Pauline Chaigne)

6 Trans­former. L’école n’était plus « en atten­dant », en sus, elle rede­ve­nait le lieu où ça se trans­forme – l’athanor. (Emmanuelle Cor­do­liani)

7 Appren­dre. La com­pé­tence se révèle d’autant plus pré­cieuse lorsque les moyens se con­tractent. On apprend à mobilis­er d’autres éner­gies, à se con­cen­tr­er dif­férem­ment, on développe une autre rela­tion à sa voix. (Myr­i­am Mazouzi)

8 Inter­roger le monde. On a la chance, avec le théâtre, d’être dans un milieu qui s’épanouit dans le col­lec­tif. Les étu­di­ants vien­nent avec une aspi­ra­tion réelle à l’altérité et à la dif­férence. (Zouzou Leyens)

Diversités

9 Diver­sités. Nos chanteurs vien­nent du monde entier, sont issus de cul­tures per­son­nelles, sociales, et opéra­tiques très dif­férentes. (Myr­i­am)

10 Eth­no­cen­trisme. La pos­ture de l’engagement écologique peut appa­raître comme eth­no­cen­trée. Pour­tant beau­coup de jeunes issus des cul­tures autres que celles aux­quelles l’opéra est his­torique­ment lié ont un com­porte­ment écologique de fait, par manque de moyens et sans en avoir con­science ni le dire en ces ter­mes. (Pauline)

11 Ter­ri­toires. En tant qu’institution con­nec­tée à de nom­breux réseaux, nous pou­vons agir comme des ouvreurs de porte pour les jeunes artistes, auprès de nos parte­naires, notam­ment dans leur envi­ron­nement local, là où ils habitent. (Paul)

12 Ensem­ble. Pour les ses­sions de l’Orchestre des Jeunes de la Méditer­ranée2, on con­stitue des ensem­bles éphémères, pour une durée de vie de trois semaines à un mois. Les jeunes s’y trou­vent placés en immer­sion pro­fes­sion­nelle et dans les con­di­tions d’un dia­logue inter­cul­turel. Cer­tains sont héri­tiers de la tra­di­tion musi­cale clas­sique occi­den­tale, celle de l’orchestre sym­phonique, d’autres, en pro­por­tion qua­si­ment égale, pra­tiquent les musiques dites impro­visées (jazz, tra­di­tions méditer­ranéennes micro locales). Le défi pour eux con­siste à créer leur pro­pre musique ensem­ble. (Pauline)

13 Don­ner con­fi­ance. Chez nous, en ter­mes d’origines cul­turelles, la diver­sité est vrai­ment lim­itée. Les écoles d’art ont une vraie respon­s­abil­ité, nous sem­ble-t-il. Elles doivent tra­vailler à informer un pub­lic élar­gi et ain­si don­ner con­fi­ance, per­me­t­tre à des jeunes issus d’autres cul­tures et d’autres orig­ines sociales, de ten­ter le con­cours. (Simon et Zouzou)

14 Chips et bœuf bour­guignon. À la maîtrise, on tra­vaille avec un pub­lic très mixte. Les enfants ont des pro­fils soci­aux com­plète­ment dif­férents. On s’en rend compte au moment des pique-niques, pen­dant les journées de répéti­tion. Cer­tains arrivent avec un paquet de chips, d’autres avec un ther­mos et un bœuf bour­guignon. Mais, par la mix­ité, et par le faire-ensem­ble quo­ti­di­en sur le temps long, ces iné­gal­ités sociales se gom­ment. Et je dirais que c’est exacte­ment la même chose par rap­port aux pris­es de con­science et aux respon­s­abil­ités sociales dans leur glob­al­ité. (Sarah)

15 Afrique. Ils ont la pos­si­bil­ité de par­tir en stage de deux mois et demi au Burk­i­na Faso. Et là, ils sont con­tin­uelle­ment con­fron­tés à la ques­tion écologique. (Zouzou)

16 Appar­te­nance. Ali­menter un sen­ti­ment d’appartenance. Le numérique per­met cela, aus­si. (Fan­ny)

17 Dehors. L’appel du dehors est tou­jours très puis­sant pour les élèves de Mas­ter, et c’est heureux. (Emmanuelle)

18 Europe. « Music moves Europe » (Isabelle Moin­drot)

19 Se déplac­er. On a par­fois des musi­ciens qui vien­nent de com­mu­nautés qui peu­vent être issues du nomadisme, avec des spé­ci­ficités très par­ti­c­ulières. Il est déli­cat d’éditer un pro­gramme, avec des textes, des tra­duc­tions, parce que l’artiste, le moment venu, en fonc­tion du moment, du pub­lic, de l’inspiration, ne fera pas la même chose que ce qui est écrit dans le pro­gramme. Donc on essaie d’avancer en dis­ant : « Voilà on va accueil­lir ça, et accueil­lir ça », et on va se déplac­er, en fait. (Pauline)

20 Le Voy­age dans la Lune3. C’est l’histoire d’un prince qui s’appelle Caprice, qui est le prince de la Terre. Son père s’appelle le roi Vlan. Caprice a déjà fait le tour du monde, il l’a vis­ité en long en large et en tra­vers et il en a assez. Et il demande à son père de lui offrir la Lune. La propo­si­tion de Lau­rent Pel­ly, c’est de représen­ter la Terre comme une décharge de plas­tique. Les habi­tants de la terre sont devenus comme des gold­en boys avec des télé­phones porta­bles, une veste grise, et ils évolu­ent au milieu de cette décharge de plas­tique qu’ils ne voient même plus. Et les enfants ont adoré jouer cela. (Sarah)

21 Rural­ité. Si on prend les textes des fables du monde arabe, elles vont par­ler de la rural­ité, de la nour­ri­t­ure, de la pas­toral­ité, de tout un tas d’animaux. Peut-on amen­er l’opéra vers ces formes-là ? (Pauline) 

22 Spir­i­tu­al­ité. Et puis, toute la spir­i­tu­al­ité, qui a aus­si un lien par­ti­c­uli­er à la nature, que ce soit dans l’Islam, le Judaïsme, les textes chré­tiens, les apoc­ryphes… (Pauline) 

Hériter, perpétuer, transmettre

23 Frac­ture. Il y a une vraie frac­ture de généra­tion. (Myr­i­am)

24 Clair­voy­ance. Les très jeunes per­son­nes sont par­fois plus con­scientes que nous. Les enfants sont dans une espèce de clair­voy­ance assez impres­sion­nante. (Sarah)

25 Fil­i­a­tion. Une fil­i­a­tion mag­nifique se nomme quand un·e élève lit sur l’étiquette de son cos­tume le nom d’un·e autre élève, qui a quit­té l’école depuis longtemps pour « entr­er dans la car­rière ». (Emmanuelle)

26 Semence. Être héri­ti­er, pour moi c’est agir comme dans l’agriculture paysanne. On préserve une semence par­ti­c­ulière et on la trans­met. C’est un geste écologique. (Pauline) 

27 Danser. J’ai eu la chance de grandir à Annecy, en Haute-Savoie, à 30 min­utes de l’Institut Dal­croze, et donc d’être for­mée dans toutes mes jeunes années par une ryth­mi­ci­enne. C’est comme cela que j’ai appris la musique. Tous les enfants à la maîtrise font de la danse et du chant. (Sarah) 

28 Philoso­pher. Les dif­férents con­fine­ments liés à la pandémie ont imposé du temps pour penser, à défaut d’un temps pour faire ensem­ble. Philoso­pher est apparu comme l’évidence d’une pra­tique qui manque tant à la créa­tion. (Paul)

29 Ten­ta­tion. Il y a ce que j’appellerais une ten­ta­tion chez les étu­di­ants, de s’éloigner de ce qu’ils pensent être l’institution, en allant vers le théâtre de rue et ce type de pro­jet qu’ils pensent comme étant plus libres. Il y a régulière­ment des étu­di­ants qui veu­lent absol­u­ment se con­fron­ter à ce type d’esthétique. Ce faisant, ils décou­vrent d’autres con­traintes tout aus­si nor­ma­tives et lim­i­ta­tri­ces que les insti­tu­tions dites clas­siques. (Simon)

30 No man’s land. Il n’était pas ques­tion de sor­tir d’un sys­tème auquel nous appartenons. L’école est une insti­tu­tion, pas un no man’s land. (Emmanuelle)

31 Là où on en est. Le théâtre reste un cadre qui doit être inter­rogé, ques­tion­né, et il a toute sa valeur. Ce que l’on tente de dévelop­per, c’est une capac­ité de pren­dre en charge les choses qui sont là, dans lesquelles nous nous inscrivons, et de tra­vailler sur l’institution là où elle est et là où on en est. (Simon)

A

rticle réservé aux abonné.es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte. Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Entretien
Opéra
Fanny Vignals
Emmanuelle Cordoliani
Simon Siegmann
Paul Briottet
Pauline Chaigne
Sarah Koné
Myriam Mazouzi
Zouzou Leyens
16
Partager
Isabelle Moindrot
Isabelle Moindrot est Professeure d'Études théâtrales à l'Université Paris 8, membre senior de l'Institut universitaire...Plus d'info
Partagez vos réflexions...
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements