Rencontre publique au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris, le 8 mars 2016

Entretien
Théâtre

Rencontre publique au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris, le 8 mars 2016

Le 30 Juil 2016
Émilie Maquest et Achille Ridolfi (Christian Crahay au premier plan) dans L’Amour la guerre de Selma Alaoui, Les Tanneurs, 2013. Photo Phile Deprez.
Émilie Maquest et Achille Ridolfi (Christian Crahay au premier plan) dans L’Amour la guerre de Selma Alaoui, Les Tanneurs, 2013. Photo Phile Deprez.

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Émilie Maquest et Achille Ridolfi (Christian Crahay au premier plan) dans L’Amour la guerre de Selma Alaoui, Les Tanneurs, 2013. Photo Phile Deprez.
Émilie Maquest et Achille Ridolfi (Christian Crahay au premier plan) dans L’Amour la guerre de Selma Alaoui, Les Tanneurs, 2013. Photo Phile Deprez.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 129 - Scènes de femmes
129
Débat conçu et animé par Sylvie Martin-Lahmani, codirectrice d’Alternatives théâtrales.

Par­tic­i­pants : Muriel Gen­thon, Haute fonc­tion­naire à l’Égalité femmes-hommes, Min­istère de la Cul­ture et de la Com­mu­ni­ca­tion, Sophie Deschamps, prési­dente de la SACD en France, Clotilde Thouret et François Lecer­cle, directeurs du pro­jet Haine du Théâtre (Labex Obvil, Paris-Sor­bonne), Phia Ménard, jon­gleuse et met­teuse en scène (Cie Non Nova), Judith Depaule, met­teuse en scène (Cie Mabel Octo­bre), direc­trice artis­tique de Con­flu­ences, fut en charge du dossier « par­ité » au Syn­deac, Inès Rabadan, prési­dente du comité belge de la SACD en Bel­gique, Sel­ma Alaoui, comé­di­enne et met­teuse en scène, Bel­gique (pro­gram­mée au CWB en mars 2016, Homme sans but), Chris­tine Letailleur, met­teuse en scène (pro­gram­mée au Théâtre de la Ville en mars 2016, Les Liaisons Dan­gereuses).

SML Nous avons le plaisir d’accueillir des artistes, des intel­lectuels et/ou des respon­s­ables d’institutions qui ont bien voulu réfléchir avec nous à la créa­tion au féminin, puisqu’aujourd’hui c’est LA journée con­sacrée aux droits des femmes… Pour abor­der ce vaste sujet, j’ai demandé à deux uni­ver­si­taires spé­cial­istes de lit­téra­ture et de théâtre de bien vouloir nous éclair­er sur la place des femmes dans le domaine du spec­ta­cle vivant. Leur approche his­torique nous per­me­t­tra d’appré­hender la sit­u­a­tion actuelle dans toute sa com­plex­ité. François Lecer­cle et Clotilde Thouret, enseignants à la Sor­bonne, sont égale­ment les directeurs du pro­jet Haine du Théâtre (Labex Obvil, Paris-Sor­bonne). Une de leurs dernières séances de tra­vail était con­sacrée à un aspect qui nous intéresse singu­lièrement : « La Haine des femmes ».

François Lecer­cle et Clotilde Thouret ont choisi de par­ler de la place des femmes en tant que dra­maturges, théorici­ennes, actri­ces et spec­ta­tri­ces, à l’époque mod­erne (XVIIe–XVIIIe)1. Nous présen­tons dans ce numéro un arti­cle qu’ils ont co-signé : « Misog­y­nie et théâtro­pho­bie : les femmes et les con­tro­ver­s­es sur le théâtre ».

Muriel Gen­thon, vous êtes haute fonc­tion­naire chargée de l’Égalite femmes-hommes au Min­istère de la Cul­ture et de la Com­mu­ni­ca­tion. L’objet de votre inter­ven­tion est de dress­er le « panora­ma » des iné­gal­ités entre hommes et femmes dans les domaines cou­verts par vos études (le champ de la cul­ture et de la com­mu­ni­ca­tion). Lors de nos pre­miers échanges, nous avons pen­sé qu’il était fon­da­men­tal d’ouvrir le débat avec des con­stats chiffrés, dans le champ du spec­ta­cle vivant, parce qu’ils sont sidérants et affligeants – comme dans les autres secteurs de la société d’ailleurs –, et parce qu’ils con­di­tion­nent con­sciem­ment ou pas les gestes artis­tiques.

MG Oui, j’interviens en tant que haute fonc­tion­naire chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes au Min­istère de la Cul­ture et de la Com­mu­ni­ca­tion. Ces postes, qui exis­tent dans tous les min­istères, ont été mis en place en 2012, lorsque le gou­verne­ment a souhaité que cette poli­tique en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes prenne plus de force et soit appliquée dans tous les secteurs de l’action de l’État, et donc en par­ti­c­uli­er au Min­istère de la Cul­ture. Le rôle du haut fonc­tion­naire est d’évaluer dans quelle mesure on peut pro­gress­er, dans les secteurs cul­turels comme à l’intérieur de l’administration, sur l’égalité pro­fes­sion­nelle, sur la mix­ité des métiers, sur la ques­tion des stéréo­types. Il y a beau­coup de sujets qui con­cer­nent notre activ­ité au Min­istère de la Cul­ture, à la fois à l’intérieur de la mai­son, c’est-à-dire tout ce qui touche les agents, les rémunéra­tions, les pro­mo­tions, les nom­i­na­tions, et puis tout ce qui a trait aux poli­tiques publiques, ce qui nous préoc­cupe davan­tage aujourd’hui.

Nous n’avons pas com­mencé en 2012. Il y a eu, en 2006 et 2009, les deux rap­ports de Reine Prat, qui ont mon­tré pour la pre­mière fois à quel point, dans le secteur du spec­ta­cle vivant, les femmes n’étaient pas l’égal des hommes. Entre-temps, et depuis 2006, on con­state quelques pro­grès, mais sig­ni­fica­tive­ment peu pour ce secteur. Sig­nalons, en 2013, une cir­cu­laire qui exigeait la par­ité dans les jurys de nom­i­na­tion d’un directeur ou direc­trice pour un étab­lisse­ment label­lisé, et la par­ité égale­ment dans le choix des pré-sélectionné.e.s. C’est un levi­er qui per­met de don­ner plus de poids aux can­di­da­tures de femmes, et surtout de faire émerg­er des femmes qui, sans cette dis­po­si­tion, n’oseraient peut-être pas can­di­dater. Per­son­nelle­ment, j’étais DRAC en Île de France et le fait d’être con­traint à des listes par­i­taires a per­mis de faire mon­ter des femmes qui n’auraient pas pu émerg­er sans cela. Mais cela reste insuff­isant, les chiffres le mon­trent. Je vais vous par­ler des derniers chiffres qui ont été pub­liés au mois de mars dans l’Observatoire de l’égalité hommes-femmes par le min­istère de la cul­ture, par le Départe­ment des Études, de la Prospec­tive et des Sta­tis­tiques (DEPS), qui dévoile au grand jour les chiffres de l’égalité femmes/hommes sur tous les secteurs du Min­istère de la Cul­ture et de la com­mu­ni­ca­tion.

En 2016, il est assez dés­espérant de con­stater, notam­ment en ce qui con­cerne les étab­lisse­ments du spec­ta­cle vivant (Théâtres nationaux, les cen­tres choré­graphiques nationaux, scènes musi­cales, les CNAR, les opéras, les orchestres, cen­tres nationaux d’arts du cirque, d’arts de la rue, etc.) que 8 % seule­ment de femmes sont direc­tri­ces ou prési­dentes. Pour les théâtres nationaux, une seule femme sur onze étab­lisse­ments. Les chiffres sont un peu meilleurs sur les étab­lisse­ments label­lisés (c’est-à-dire des nom­i­na­tions con­jointes entre le Min­istère de la Cul­ture et les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales), où seuls 26 % sont dirigés par des femmes. On sait bien que 30 % est le seuil d’invisibilité, et qu’en dessous, on ne les voit pas. Nous y sommes. Seules 11 % de femmes sont à la tête de cen­tres choré­graphiques nationaux, et 10 % pour les scènes de musiques actuelles.

Autre con­stat plus décourageant : plus le bud­get est impor­tant, moins il y a de femmes à la tête des étab­lisse­ments. Dans les étab­lisse­ments où le bud­get est inférieur à 500 000 euros, on trou­ve 56 % de femmes à la direc­tion, tan­dis que lorsque le bud­get est de l’ordre d’un mil­lion d’euros, il n’y a plus que 26 % de femmes. Même con­stat dans le ciné­ma. 

La pro­gram­ma­tion des théâtres mon­tre une iné­gal­ité impor­tante. On con­state que 27 % des femmes sont pro­gram­mées par­mi les met­teurs en scène et choré­graphes présents dans les saisons de nos théâtres. Si l’on prend en compte les spec­ta­cles jeune pub­lic, on monte à 40 %. C’est sans doute ce phénomène, qui assigne les femmes dans cer­tains secteurs, qui per­met de faire remon­ter un peu la moyenne. Par rap­port au nom­bre de représen­ta­tions, c’est 25 % de celles-ci qui sont con­duites par des femmes, ce qui mon­tre que les femmes béné­fi­cient d’un plus petit nom­bre de représen­ta­tions de leurs spec­ta­cles que les hommes.

L’Observatoire délivre quelques chiffres sur la recon­nais­sance artis­tique des femmes, basés sur les Vic­toires de la Musique et les Molières : il y a 25 % de Vic­toires rem­portées par des femmes pour les albums, 0 % de Vic­toires dans le secteur du jazz, 17 % dans le clas­sique et 0 % de femmes primées sur les 7 % de femmes par­tic­i­pant aux Molières. Et pour­tant, la par­ité est de mise chez les étu­di­ants qui font des études dans le secteur artis­tique. Qu’en est-il de leur avenir ? Il sem­blerait que la par­ité se con­state en début de car­rière, et qu’avec le temps, le fos­sé se creuse. Ce phénomène est très prég­nant dans le secteur de l’audiovisuel et de la pub­lic­ité, où il y a 5 % seule­ment de femmes qui sont chefs d’entreprise. 

Enfin, on con­state les iné­gal­ités de rémunéra­tion, un écart de 11 % entre les femmes et les hommes pour les con­trats d’artistes, et de 17 % pour les con­trats de tech­ni­ciens.

Que fait-on main­tenant de ces chiffres ? Tout d’abord, il faut savoir que le secteur des arts vivants est l’un des secteurs les plus iné­gal­i­taires envers les hommes et les femmes dans le domaine cul­turel. C’est la rai­son pour laque­lle il est urgent d’agir. Plusieurs pistes pour­raient être explorées. Dans la mesure où le Min­istère de la cul­ture sou­tient beau­coup de struc­tures, lieux, com­pag­nies, il serait effi­cace de pro­pos­er que, pour chaque con­trat, con­ven­tion, signés avec un organ­isme de spec­ta­cles vivants, la ques­tion de l’égalité des sex­es appa­raisse. Sans impos­er néces­saire­ment telle ou telle mesure, il serait impor­tant que cha­cun prenne con­science de ces iné­gal­ités en les mesurant. Pre­mière oblig­a­tion qui ferait pro­gress­er les choses. À par­tir du moment où chaque respon­s­able d’institution ou de com­pag­nie pren­dra la mesure de ces iné­gal­ités, il sera à même de les cor­riger.

Pour­tant, il existe des résis­tances. Cer­tains diront que la lib­erté de pro­gram­mer est fon­da­men­tale. Nous en sommes d’accord. Mais les con­ven­tions sont d’ores et déjà assor­ties de con­di­tions sur l’éducation artis­tique, sur la créa­tion con­tem­po­raine ou l’emploi d’artistes. Elles con­stituent un cadrage dans lequel s’inscrivent les mis­sions de ser­vice pub­lic, et l’égalité entre les femmes et les hommes en fait incon­testable­ment par­tie. Néan­moins, ces mesures peinent à se met­tre en place. Je pense que c’est par la per­sua­sion vis-à-vis des acteurs cul­turels, et la plus grande prise en compte poli­tique de ces ques­tions que l’on pour­rait par­venir à de plus grands résul­tats. C’est en tous cas ce à quoi je m’efforce.

Émilie Maquest et Achille Ridolfi (Christian Crahay au premier plan) dans L’Amour la guerre de Selma Alaoui, Les Tanneurs, 2013. Photo Phile Deprez.
Émi­lie Maque­st et Achille Ridolfi (Chris­t­ian Cra­hay au pre­mier plan) dans L’Amour la guerre de Sel­ma Alaoui, Les Tan­neurs, 2013. Pho­to Phile Deprez.

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Sylvie Martin-Lahmani
Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines....Plus d'info
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