Frustrations et claustrations : L’enfermement comme Sillon

Théâtre
Portrait

Frustrations et claustrations : L’enfermement comme Sillon

À propos du théâtre d’Anne-Cécile Vandalem

Le 16 Juil 2016
(Self) Service d’Anne-Cécile Vandalem, Das Fräulein (Kompanie), Théâtre de Vidy-Lausanne, 2009. Photo Mario del Curto.
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(Self) Service d’Anne-Cécile Vandalem, Das Fräulein (Kompanie), Théâtre de Vidy-Lausanne, 2009. Photo Mario del Curto.
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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 129 - Scènes de femmes
129

Tout a com­mencé par un con­fine­ment. L’intérieur domes­tique se fai­sait le récep­ta­cle des échap­pa­toires qu’un cou­ple à bout de ressources pou­vait chercher au huis clos de ses angoiss­es et de ses dis­sim­u­la­tions : les pro­jec­tions fac­tices d’un écran télévisé et de ses émis­sions de télé-réal­ité. Autant de cadrages et de claus­tra­tions du même, répétés comme autant de mis­es en abyme d’un réel qui fait défaut au cœur du fau­teuil, emblème du salon comme cen­tre d’une mai­son réglée comme une prison. Dès Zaï Zaï Zaï Zaï en 2003, alors asso­ciée à Jean-Benoît Ugeux pour la con­cep­tion et la mise en scène, Anne-Cécile Van­dalem posait les jalons d’un sil­lon non démen­ti depuis lors. Hansel et Gre­tel (2006) enfon­cerait le clou, descen­dant à la cave de la mai­son le ter­rain d’expérimentation d’une claus­tro­pho­bie érigée en remède. Dis­sim­u­la­tions et (auto) enfer­me­ment ne cesseront plus d’habiter les univers élec­triques dans lesquels l’artiste tente de régler autant le for­mat des rela­tions humaines que leurs niveaux de com­préhen­sion et d’insatisfaction face aux normes de ce monde. À moins qu’il ne s’agisse de les déré­gler pour mieux les met­tre à nu.

C’est dans (Self) Ser­vice (2008) que le sys­tème Van­dalem s’épaissit. La mai­son y devient l’authentique per­son­nage prin­ci­pal du drame (au sens noble de l’écriture comme à celui du mélo ironique pro­mu en façade). Telle une boîte close chargée des sons qui lui pro­curent sa vie fac­tice (on se sou­vient que toutes les voix y étaient pré-enreg­istrées, par Van­dalem elle-même inter­pré­tant cha­cune des lignes attribuées aux dif­férents per­son­nages), la mai­son enferme les vies et délivre la morte. Pro­tégé encore par une authen­tique bar­rière de verre, le jeu se déploie dans une scène com­plète­ment vit­rée qui n’aura jamais aus­si bien porté son nom de cage. Car der­rière les femmes humaines qui s’y débat­tent, aux pris­es avec leurs secrètes perdi­tions et détes­ta­tions, ce sont les armoires qui bat­tent des portes, les sar­cophages à UV qui agi­tent leur cou­ver­cle ou les sand­wich­es mous de l’enterrement qui dég­lutis­sent avec appli­ca­tion leur salade may­on­naise. On assiste, voyeurs impuis­sants mais ravis, à la mise en œuvre d’un com­bat sournois qui con­voque l’esprit de toute chose, révélant au pas­sage l’animisme insis­tant de l’auteure et sa capac­ité à dis­pos­er peu à peu l’extra-ordinaire au cœur de l’infiniment banal.

C’est pré­cisé­ment ce proces­sus qu’elle met­tra en scène dans Habit(u)ation (2010). Comme elle l’écrira : « L’allégorie de la grenouille est régulière­ment employée pour définir ce con­cept : si l’on plonge une grenouille dans de l’eau bouil­lante, elle s’échappe aus­sitôt. Par con­tre, si on la plonge dans de l’eau froide pro­gres­sive­ment portée à ébul­li­tion, elle manque de vig­i­lance, s’engourdit peu à peu et finit par mourir, ébouil­lan­tée. » Afin de procéder à la démon­stra­tion, la mai­son (évi­dence de « l’habitation ») s’agrandit. On y passe désor­mais de la cui­sine au salon, baie vit­rée et ter­rasse au jardin. Van­dalem s’affranchit des lim­ites du con­fine­ment pre­mier afin de ten­ter l’extérieur. Ten­ter comme essay­er, mais surtout comme trou­bler, tit­iller. Au cœur d’un quo­ti­di­en dépourvu de réal­i­sa­tion per­son­nelle, une nou­velle famille déblaie pénible­ment ses chimères. L’intervention enfan­tine, une pre­mière, déclenchera le bas­cule­ment pro­gres­sif d’un hyper-réal­isme mor­tifère à l’invasion d’une nature ren­due à son état pre­mier. La ten­ta­tion lui a ouvert grand les portes. L’enfermement au sein de la mai­son se trans­fère à l’emprisonnement dans lequel l’enfant et les adultes qui l’entourent subis­sent le poids de leurs métaphores oniriques. L’oppression des élé­ments vitaux cette fois se matéri­alise, et pousse à la destruc­tion des murs qui enser­rent un cadre de vie telle­ment nor­mé qu’il dessèche et anéan­tit tout espoir. La mai­son sort lit­térale­ment de ses gonds pour emporter ses occu­pants vers d’autres rives, celle de l’enfoui, de l’irrationnel fan­tas­ma­tique. Prémiss­es poé­tiques peut-être du plaidoy­er dialec­tique pour la tab­u­la rasa qui sera dévelop­pé dans Utopia (2013), dont le « After the walls » (titre com­plet) appelait à la libéra­tion des idées par la destruc­tion des parois murales qui les ren­fer­ment.

Huet Alberola et Anne-
Cécile Vandalem dans

Que puis-je faire pour vous?
Mai 2015, Mons. Photo
Das Fräulein (Kompanie).
Huet Albero­la et Anne-Cécile Van­dalem dans Que puis-je faire pour vous ? Mai 2015, Mons. Pho­to Das Fräulein (Kom­panie).

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Anne-Cécile Vandalem
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Benoit Hennaut
Benoît Hennaut est Docteur en lettres de l’ULB et de l’EHESS à Paris. Il est...Plus d'info
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