MARIA ALEXEÏEVNA VALENTEÏ s’est éteinte le 18 janvier. Pour tous ceux qui, en Russie et dans le monde, travaillent sur l’œuvre de Vsevolod Meyerhold, elle était tout simplement Macha.
Macha, la petite-fille du grand metteur en scène, avait un regard bleu, transparent, inflexible. Fille de Tatiana, un des trois enfants que Meyerhold avait eu de son premier mariage avec Olga Munt, elle avait 14 ans quand on arrêta son grand père, et 17 quand, « pour avoir chanté les louanges de son père, un ennemi du peuple », sa mère fut envoyée en camp. Macha partit aussi en Sibérie, et lorsque Tatiana fut libérée avant le terme de ses 8 ans de peine, grâce à l’intervention d’acteurs célèbres, la jeune fille se mit à envoyer sans relâche aux différentes instances soviétiques des lettres où elle demandait des comptes sur le sort de Meyerhold.
Elle était entrée vraiment « dans l’arène » au moment du procès en réhabilitation de Meyerhold – emprisonné en juin 1939 et fusillé le 2 février 1940 –, lorsqu’elle avait commencé à rencontrer les personnalités qui l’avaient côtoyé pour leur demander des témoignages écrits à verser au dossier rassemblé par le procureur militaire B. Riajki. Elle se souviendra toujours des sanglots du compositeur Dimitri Chostakovitch, un des premiers qu’elle avait sollicité, des souvenirs qu’il avait déversés devant elle et de la lettre qu’il n’écrirait, sous le coup de la trop violente émotion, que le lendemain.
Après la réhabilitation juridique de Meyerhold en 1955, elle avait continué la lutte, de toute son énergie, tout aussi convaincue du génie de l’artiste que de son innocence. Elle s’était occupée – et cela avait rempli toute sa vie – de sa réhabilitation politique (elle avait demandé qu’il soit réintégré au parti Communiste) et artistique. Elle avait été capable de tenir tête à tous, d’accéder dans les archives du KGB au terrible dossier 537 de Meyerhold qui donne le suivi de ses interrogatoires, et de le faire photocopier, puis d’obtenir le rachat, de 1991 à 1994, par le Musée Théâtral Bakhrouchine, de l’appartement du 12, rue Brioussov pour le transformer en Appartement-Musée, officiellement ouvert en septembre 1997. Elle y avait rassemblé les meubles qu’elle avait pu retrouver et cherchait à acheter des objets pareils à ceux qui peuplaient les lieux du vivant des Meyerhold. On pouvait y voir aussi des documents originaux venus des fonds du Musée Bakhrouchine.
Dès 1991, elle y recevait tous ceux qui voulaient en savoir plus – étudiants, journalistes, acteurs, metteurs en scène. Peter Brook, Matthias Langhoff, Eugenio Barba, Ariane Mnouchkine et sa troupe, et tant d’autres l’ont rencontrée, dans une des cinq pièces de ce terrible et chaleureux Musée, maîtresse des lieux, offrant avec le thé sa force de conviction, montrant esquisses, photos ou vidéos.
Elle était en Russie la secrétaire scientifique de la commission pour l’Héritage artistique de Meyerhold qui, fondée en 1956, veillait à l’édition des matériaux meyerholdiens. Elle collectionnait aussi, dans une armoire ancienne, qui avait sans doute appartenu au metteur en scène, ce qui se publiait sur lui dans le monde, ravie à chaque fois de ces signes de mémoire et de reconnaissance envers celui dont elle avait permis que l’œuvre ne disparaisse pas, engloutie par la terreur, l’impuissance, la passivité. Macha avait fait le voyage en France pour assister au Symposium international « Meyerhold. La mise en scène dans le siècle », organisé à Paris en novembre 2000 par le Laboratoire de recherches sur les arts du spectacle du CNRS, qui rassemblait des chercheurs et des praticiens du monde entier. La vieille dame de 79 ans au regard d’éternelle jeune fille était chaque jour la première sur les lieux, et assistait en non-stop à tous les événements de cette « Semaine Meyerhold ». Revenue radieuse de ces rencontres, elle continuait à organiser à Moscou, dans l’Appartement- Musée, visites et soirées consacrées au Maître ou à ceux qui l’avait côtoyé. Si ses jambes la portaient mal, elle, elle portait tous ceux qui s’intéressaient à rendre au metteur en scène assassiné sa place dans l’histoire du théâtre du XXe siècle.
Macha repose au cimetière Vagankovo, où elle a été dignement et lumineusement accompagnée par une foule de gens de théâtre. Le Centre Meyerhold (ouvert en 2001) dont elle avait si ardemment et si activement désiré la création a veillé à son dernier voyage.
Macha n’est plus, et il sera sans doute plus difficile pour les chercheurs d’avancer sans elle, sans son aide et sa confiance sans son courage obstiné, sa rage froide et déterminée, sans son regard qui semblait répéter les derniers mots que l’acteur Eraste Garine ne cessait de prononcer, juste avant de mourir : « Dites, pourquoi l’ont-ils tué ? »