L’écriture théâtrale réaffirme le plateau comme espace symbolique

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L’écriture théâtrale réaffirme le plateau comme espace symbolique

Le 29 Mar 2017

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Dans l’histoire du théâtre occi­den­tal, le rap­port entre le texte et la représen­ta­tion a sou­vent été prob­lé­ma­tique et la place des auteurs dans le proces­sus de fab­ri­ca­tion du spec­ta­cle sans cesse mise en ques­tion. Du moins quand ces auteurs n’étaient pas eux-mêmes les « arti­sans » du spec­ta­cle, comé­di­ens ou chefs de troupe. Quels ne furent pas, par exem­ple, les com­bats de Beau­mar­chais ou les déboires de Mus­set quant à la défense de leurs textes face aux con­di­tions de la représen­ta­tion ? Cette lutte cepen­dant a maintes fois con­duit à des trans­for­ma­tions impor­tantes et elle sem­ble bien organ­is­er une dynamique béné­fique à la vie théâ­trale. Si l’écriture de Tchekhov inter­roge la façon de représen­ter le monde tel qu’il se trans­forme sous les yeux de l’auteur, Stanislavs­ki ne renou­velle-t-il pas le tra­vail de mise en scène et le jeu de l’acteur notam­ment à par­tir des défis lancés par les pièces de Tchekhov ? Plus tard, dans les années 1970, à une tra­di­tion théâ­trale large­ment cen­trée sur le texte et dom­inée par le mod­èle français, a répon­du la grande remise en ques­tion du statut du texte et, par delà, le ques­tion­nement de toute parole érigée en dis­cours. La rela­tion entre écri­t­ure et plateau, jusque là très hiérar­chisée (la mise en scène comme illus­tra­tion ou comme trans­po­si­tion du texte dans un code dif­férent), fut pen­sée de façon plus dynamique. Et lorsque la mise en scène s’est imposée comme l’élément majeur de l’élaboration du lan­gage théâ­tral, la con­cep­tion de l’autonomie des deux écri­t­ures ten­dit à se dif­fuser sans toute­fois réelle­ment l’emporter sur l’omnipotence du met­teur en scène le plus sou­vent por­teur du pro­jet de spec­ta­cle sinon directeur de la struc­ture qui allait l’accueillir. Les études de l’écriture dra­ma­tique ont alors coex­isté avec celles de l’écriture scénique et ont inté­gré un nou­veau champ de recherche lié à une nou­velle fonc­tion : la dra­maturgie. 

Écri­t­ure et insti­tu­tion 

L’écriture théâ­trale (l’écriture pour le théâtre) se renou­velle con­sid­érable­ment à par­tir des années 1980, indu­bitable­ment sous l’influence des expéri­men­ta­tions de la mise en scène. Mais elle se trans­forme aus­si en lien avec la cri­tique du texte et du dis­cours générée par les sci­ences sociales dès les années 1950. Cette pen­sée cri­tique con­tribua à décon­stru­ire les instances com­munes de la fable, du per­son­nage, voire même de l’espace et du temps, et mit en avant de façon prob­lé­ma­tique le schème de la com­mu­ni­ca­tion faisant ain­si vac­iller le dia­logue théâ­tral. De nou­veaux auteurs émer­gent alors (Koltès, Piemme…) mais s’ils se situent sou­vent dans une grande prox­im­ité avec le tra­vail du plateau, ils ont néan­moins à lut­ter pour se forg­er une place dans le monde théâ­tral. On se sou­vient de la for­mule de Bernard-Marie Koltès : « Per­son­ne et surtout pas les met­teurs en scène, n’a le droit de dire qu’il n’y a pas d’auteur. Bien sûr qu’on n’en con­naît pas, puisqu’on ne les monte pas…1 ». L’époque bruisse alors des débats autour de la place et du statut de l’auteur dans le théâtre. Or, un cer­cle vicieux sem­blait con­tenir toute la prob­lé­ma­tique : les respon­s­ables des struc­tures hési­taient à pro­gram­mer des auteurs con­tem­po­rains sous pré­texte qu’inconnus, ceux-ci n’attiraient pas le pub­lic. Les auteurs rétorquaient que, si on ne leur don­nait pas l’opportunité de ren­con­tr­er le pub­lic, ils resteraient évidem­ment mécon­nus de lui et n’auraient dès lors aucune chance de l’attirer dans les salles. Pen­dant ce temps, les met­teurs en scène trô­naient au som­met de la hiérar­chie théâ­trale et rival­i­saient de créa­tiv­ité sur les textes de réper­toire. 

Large­ment lié aux con­textes français et belge fran­coph­o­ne, cet état de choses con­duisit, en dépit des remé­di­a­tions et des actions qui furent ten­tées, à une sit­u­a­tion très aporé­tique. En effet, on con­state alors un nou­veau développe­ment de l’écriture théâ­trale. L’apparition de nou­veaux auteurs ain­si que la mul­ti­plic­ité de leurs textes con­stituent une pres­sion en faveur d’un change­ment de la con­fig­u­ra­tion du monde théâ­tral. Ces écri­t­ures devaient cir­culer, ces auteurs être lus et mon­tés sur les scènes car ils étaient un fac­teur de renou­velle­ment des con­tenus et des formes dont une cer­taine dérive spec­tac­u­laire trahis­sait le besoin urgent. Mais si l’on vit quelques parte­nar­i­ats mémorables se nouer entre un auteur et un met­teur en scène (Koltès-Chéreau ; Piemme-Sireuil…), si l’on vit des maisons d’édition se créer (les Édi­tions Théâ­trales en 1981 ; Lans­man en 1989 ; Les Soli­taires intem­pes­tifs en 1992…), la mise en scène de tous ces nou­veaux textes fut loin d’aller de soi. S’inventèrent alors des formes d’alternatives : les textes furent « mis en voix », en « lec­tures-spec­ta­cles », ils cir­culèrent via des « tapuscrits ». L’institution se don­na ain­si bonne con­science ne sachant trop com­ment inté­gr­er des artistes se revendi­quant par­fois de la lit­téra­ture (Olivi­er Py) avec laque­lle le théâtre pre­nait tou­jours plus de dis­tance. 

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Nancy Delhalle
Nancy Delhalle est professeure à l’Université de Liège où elle dirige le Centre d’Etudes et...Plus d'info
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