Les oiseaux

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Les oiseaux

Le 29 Avr 1981
Photo Paolo Ferrari
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Article publié pour le numéro
Échange belgico-italien-Couverture du Numéro 8 d'Alternatives ThéâtralesÉchange belgico-italien-Couverture du Numéro 8 d'Alternatives Théâtrales
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Avec son imag­i­na­tion débor­dante et son goût pour le spec­ta­cle, Mémé Per­ti­ni, l’en­fant ter­ri­ble de la mise en scène ital­i­enne, réalise avec Les oiseaux, adap­té d’Aristo­phane, un spec­ta­cle de théâtre musi­cal cen­tré sur l’u­topie de la con­struc­tion d’un monde alter­natif.

Photo Paolo Ferrari
Pho­to Pao­lo Fer­rari

La comédie grecque, c’est-à-dire attique, trou­ve en Aristo­phane son prin­ci­pal poète comique. Plus que tout autre auteur, il essaya de sus­citer le rire en trai­tant des sujets et des prob­lèmes de la vie publique de son temps. Sa bataille poli­tique s’ex­prime dans les parabas­es (par­tie de la comédie où l’opin­ion de l’au­teur est directe­ment exprimée par le chœur dirigé vers les spec­ta­teurs et même vers les adver­saires de l’au­teur) ou dans les chants lyriques du chœur, chants d’in­vo­ca­tion aux Dieux. Dans les oiseaux (414 AJC), les actions comiques se dévelop­pent à par­tir de la tech­nique du con­traste et du retourne­ment qui con­stitue l’élé­ment fon­da­men­tal de la comédie attique et qui con­siste à ren­vers­er la réal­ité, pour, par la suite, en mon­tr­er les con­séquences.
Le vieil athénien Pis­tere et son cama­rade Evelpi­de se réfugient par­mi les oiseaux pour con­stru­ire une sorte de république idéale, grandiose entre­prise qui s’ac­com­pli­ra dans l’e­space d’une seule journée, effaçant ain­si de façon para­doxale le con­cept espace-temps. La réal­i­sa­tion de la ville idéale se fait dans le débat utopique où le héros Pis­tere lutte pour con­ver­tir les autres à son idéal que la société en place rejette pour ensuite l’ac­cepter. Le débat se base sur la démon­stra­tion suiv­ante : les oiseaux, aujour­d’hui plus mis­érables que tes esclaves, dom­i­naient autre­fois l’u­nivers. A cette parabole, chère aux moral­istes de tous les temps (les beautés du passé et le mal­heur du présent), se rat­tachent toutes les inven­tions comiques.
Les oiseaux dyon­isi­aques, bien qu’ils représen­tent une éva­sion fab­uleuse de la réal­ité, expri­ment en même temps un point de vue très poli­tique. L’im­pos­si­bil­ité d’in­flu­encer le présent et de pro­pos­er des alter­na­tives capa­bles de s’in­scrire dans la réal­ité athéni­enne explique le rêve de la ville idéale. D’une cer­taine façon, on peut dire qu’Aristo­phane a égale­ment créé la comédie poli­tique. Toute son œuvre, en effet, est le reflet de sa lutte dans la cité où il recueil­lit l’amour et l’ad­mi­ra­tion du peu­ple dont il défendait les intérêts con­tre les dém­a­gogues.
Mais l’ex­i­gence d’une reli­gion alter­na­tive, d’une recon­quête de la nature de l’homme, échoue à la fin de la Comédie et l’on voit les oiseaux repren­dre leur rôle d’exé­cu­teurs des valeurs divines. Ain­si, la société que le héros comique parvient à réalis­er n’est autre qu’une société car­nava­lesque, sat­urni­enne, où l’on perçoit proche le moment du déclin des pères de la patrie tan­dis que celui des dieux est encore assez loin­tain. Le final se déroule de façon dra­ma­tique : les intérêts col­lec­tifs tour­nent tou­jours mal face à l’é­go­cen­trisme total­i­taire du héros. Finale­ment, les oiseaux créent la monar­chie la plus absolue sur les cen­dres d’un vieux rêve nat­u­ral­iste et égal­i­taire.
Cette comédie pose de façon non-équiv­oque le prob­lème du pou­voir, illus­tré à la fin par le mariage du héros et de Régine (incar­na­tion même du pou­voir) arrachée à Zeus, son père. Ain­si le pou­voir coïn­cide-t-il avec la divinité. La clair­voy­ance de l’au­teur et son incré­dulité par rap­port à cette utopie, nous sont sug­gérées par le fait que ni Pis­tere, ni les oiseaux ne savent vol­er. Une sub­tile ironie s’in­tro­duit ain­si dans l’opéra­tion : les nou­veaux dieux sont inca­pables de pren­dre leur envol.
Par­tant de ces con­sid­éra­tions, on devine les moti­va­tions du choix de ce tra­vail, choix par­ti­c­ulière­ment lié à l’élé­ment musi­cal : que ce soit la ryth­mique du texte en soi ou les pos­si­bil­ités d’ex­péri­menter de nou­veaux sons reliés aux
indi­vidus-oiseaux. Lan­gage théâ­tral et lan­gage musi­cal pour­ront ain­si se fon­dre et don­ner .lieu à un spec­ta­cle où comé­di­ens et musi­ciens s’ex­primeront cha­cun avec leur lan­gage pro­pre.
En con­clu­sion, nous devons exam­in­er com­ment cette lec­ture par­ti­c­ulière et la mise en scène actu­alisent le texte d’Aristo­phane, si riche déjà en impli­ca­tions sociales et poli­tiques plus val­ables aujour­d’hui que jamais en pro­posant à nou­veau le théâtre comme instru­ment cul­turel d’une réflex­ion sur des prob­lèmes d’in­térêt social.

La tra­duc­tion et l’adap­ta­tion d’An­ge­lo Dal­la­gia­co­ma respectent la struc­ture orig­i­nale du texte et lais­sent l’élé­ment fan­tas­tique domin­er, puisque l’idée cen­trale du spec­ta­cle est une vision de l’u­topie d’une trag­ique clair­voy­ance que le comique sous-tend et dis­simule. Et en référence à cette utopie, se con­stru­it un monde alter­natif qui se man­i­feste par la présence du groupe musi­cal AreA qui inter­prète le chœur des oiseaux sur des musiques orig­i­nales écrites et impro­visées. Le réc­it des comé­di­ens suit, en grande par­tie en play-back, juste­ment pour affron­ter ces musiques de façon dialec­tique.
L’his­toire se déroule dans une boîte scénique par­faite et blanche, créée par Antonel­lo Agli­oti, un appareil­lage com­plexe avec des parois mobiles où se dévoilent, de manière sur­prenante, des scènes dahs les scènes, des trappes, des échelles en aci­er et en bois, qui cachent au fur et à mesure des man­nequins, des stat­ues mythologiques et de gigan­tesques sim­u­lacres, tou­jours en alter­nance avec les instru­ments et les appareils musi­caux omniprésents.
Edgar Allan Poe, lorsqu’il met en scène le per­son­nage d’Au­guste Dupin dans Dou­ble assas­si­nat dans la rue Morgue, observe que l’imag­i­na­tion vraie ne peut être qu’­an­a­ly­tique. Memé Per­li­ni, si ce n’est la joie sournoise (ou enfan­tine?) qu’il a de met­tre en scène le texte théâ­tral, me fait penser à Auguste Dupin. Il se promène sur la scène de notre cat­a­stro­phe théâ­trale, avec la même indif­férence de Seigneur, au milieu des dél­its simiesques, la décom­posant de façon ana­ly­tique et la recom­posant par la suite avec minu­tie et exacte­ment selon ses pro­pres buts, en une exal­ta­tion toute per­son­nelle et men­tale, peu vis­i­ble à par­tir des résul­tats fin­aux. Nous sommes émer­veil­lés par les résul­tats, si loin­tains des prémiss­es, qu’ils appa­rais­sent comme des illu­mi­na­tions irra­tionnelles plutôt que comme développe­ment logique (qu’ils sont en réal­ité) d’une très solide capac­ité de raison­nement et d’en­chaîne­ments suc­ces­sifs. Per­li­ni partage avec d’autres met­teurs en scène le goût de l’analyse, de la décom­po­si­tion des élé­ments struc­turels du texte. Mais tan­dis que pour d’autres ce procédé se fait en fonc­tion d’une recon­struc­tion, même cri­tique, même conçue de telle”“façon qu’elle nous représente le texte sous une lueur inat­ten­due, orig­i­nale, Per­li­ni, lui, renonce à la recon­struc­tion. Il descend, dans l’a­vant-garde européenne, plutôt des dadaïstes et des sur­réal­istes que des con­struc­tivistes. Le texte décom­posé est donc traité tel un ready-made, comme un objet trou­vé et con­t­a­m­iné par d’autres élé­ments, l’im­age pure du 198 siè­cle, la musique… Le résul­tat, rigoureuse­ment défi­ni de ce point de vue formel, ne nous com­mu­nique pas pour autant un type de juge­ment (tou­jours sus­pect d’idéolo­gie, de nos­tal­gie de la valeur) sur le texte théâ­tral en tant que le théâtre et son autre ; l’autre (con­tem­po­rain) de la société mod­erne, de la masse dans laque­lle nous vivons et de sa cul­ture. Ain­si Per­li­ni s’ab­stient-il de juger Aristo­phane (il serait erroné de trou­ver des analo­gies entre l’u­topie réal­isée de la vilie des oiseaux et d’autres ten­ta­tives non-utopiques, avec des lois ou des sit­u­a­tions du présent}.
Il serait alors traité comme un texte d’é­cole, ennuyeux com­pagnon des heures per­dues (pour quelqu’un qui serait inca­pable de ne pas le lire, mais de l’imag­in­er). Par con­tre, il ne s’ab­stient pas de.nous sug­gér­er des analo­gies entre la représen­ta­tion théâ­trale qu’il nous pro­pose et le monde de con­som­ma­tion cul­turelle dans lequel nous vivons.
Le jeu des acteurs de la Nuo­va Sce­na — acteurs à longue expéri­ence per­lin­i­enne la musique des AreA, les décors d’An­tonel­lo Agli­oti, sont les élé­ments volon­taire­ment séparés, qui ne con­duisent pas à une unité fic­tive et formelle d’une sym­phonie dis­so­nante. Peut-être est-ce la seule voie pos­si­ble aujour­d’hui ? Mais c’est en même temps, une expéri­ence pro­duc­tive d’un met­teur en scène qui sent se restrein­dre la caté­gorie d’a­vant-garde (répon­dant con­so­la­teur et idéologique à une réelle con­di­tion mar­ginale) et qui, avec ce spec­ta­cle, ouvre la voie à un théâtre mod­erne musi­cal.

GIi Uccel­li (Les oiseaux) d’Aristo­phane par la Nuo­va Sce­na de Bologne
Tra­duc­tion et adap­ta­tion : Ange­lo Dal­la­gia­co­ma
Adap­ta­tion scénique et mise en scène : Mémé Per­li­ni
Décor et cos­tumes : Antonel­lo Agli­oti
Avec : Euge­nio Alle­gri, Gior­gio Bertan, Brunel­la Caso­lari, Vini­cio Dia­man­ti, Olga Dura­no, Fran­co Mescol­i­ni, Fran­co Pia­cen­ti­ni, Gio­van­ni Pog­giali, Tomoko Tana­ka
Musique orig­i­nale : AreA
avec : Giulio Capi­oz­zo, per­cus­sions
Patrizio Farisel­li, pianoforte
Ares Tavolazzi, con­tre­basse.

Photo Paolo Ferrari
Pho­to Pao­lo Fer­rari
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