Le son d’un marchand de glace

Entretien
Musique
Théâtre

Le son d’un marchand de glace

Entretien avec Yann Boudaud

Le 29 Avr 2022
«Oh masse invisible, comme tu nous agis ». Photo Yann Boudaud.
«Oh masse invisible, comme tu nous agis ». Photo Yann Boudaud.

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«Oh masse invisible, comme tu nous agis ». Photo Yann Boudaud.
«Oh masse invisible, comme tu nous agis ». Photo Yann Boudaud.
Article publié pour le numéro
146

En 2016, Claude Régy crée ce qui sera son dernier spec­ta­cle, Rêve et folie, à par­tir d’un texte de Georg Trakl. Sur scène, un seul inter­prète : Yann Boudaud.

Au cours du tra­vail de Rêve et folie, tu as expéri­men­té un exer­ci­ce un peu sin­guli­er que tu désignes comme une expéri­ence de « visu­al­i­sa­tion sonorisée », tu peux en dire quelques mots ?

Oui. Tout d’abord il faut dire que pour Rêve et folie le son a eu une place impor­tante. Il exis­tait presque con­tinû­ment à l’exception de quelques moments de silence. La struc­ture sonore que Philippe [Cachia] a créé est restée inchangée pen­dant toute l’existence de ce spec­ta­cle à l’exception notable d’une marge d’improvisation qui se tradui­sait à chaque représen­ta­tion par des vari­a­tions de vol­ume, de rythme ou par une redis­tri­b­u­tion de cer­tains sons au sein de la struc­ture, selon ce que Philippe perce­vait et ressen­tait de ce que je pro­dui­sais sur le plateau avec le texte de Trakl. Car out­re le fait que Philippe soit un créa­teur sonore extra­or­di­naire, c’est lui – et c’est suff­isam­ment rare pour le soulign­er– qui était là tous les soirs pour procéder à la con­duite sonore de Rêve et Folie.

Pour ce spec­ta­cle-là j’ai éprou­vé le besoin de tra­vailler avec Philippe d’une manière que je n’avais encore jamais expéri­men­tée : chaque jour, dans le cadre de ma pré­pa­ra­tion d’avant- représen­ta­tion nous pas­sions une heure ensem­ble, lui et moi. Dans les lumières de ser­vice, je m’asseyais dans le gradin avec le texte de Trakl et mes cahiers de notes en regar­dant le plateau et il me repas­sait la con­duite sonore inté­grale­ment ou en ver­sion courte, cela dépendait des soirs.

J’écoutais la bande-son tout en relisant le texte et en regar­dant le plateau, alter­na­tive­ment.

De cette façon, je « revoy­ais » mon par­cours de la veille de manière fic­tive, imag­i­naire.

Ce tra­vail de visu­al­i­sa­tion, je pré­cise, était un tra­vail de visu­al­i­sa­tion sen­si­ble : ce n’était pas qu’une sim­ple visu­al­i­sa­tion tech­nique. Je ré-éprou­vais physique­ment et psy­chique­ment (en me voy­ant imag­i­naire­ment sur le plateau) absol­u­ment toutes les per­cep­tions qui avaient sous-ten­du le tra­vail de la veille. Je ré-éprou­vais ain­si l’ensemble de la struc­ture motrice et per­cep­tive qui con­sti­tu­ait l’armature du spec­ta­cle. Struc­ture qua­si-immuable car très opérante et qui s’était cher­chée puis testée et con­fir­mée répéti­tion après répéti­tion jusqu’à sa forme finale.

Très curieuse­ment cette visu­al­i­sa­tion me per­me­t­tait aus­si de ressen­tir de nou­velles sen­sa­tions, de nou­velles intu­itions, de les not­er par écrit et de me dire : « J’aimerais bien essay­er ce soir telle nou­velle sen­sa­tion sur telle ou telle séquence ou con­duire autrement tel ou tel mou­ve­ment pour voir si c’est juste et ce que cela pro­duit ». Ces nou­veautés ouvraient de nou­velles pos­si­bil­ités d’improvisation.

C’était vrai­ment un tra­vail de dédou­ble­ment et de visu­al­i­sa­tion de mon corps dans l’espace avec le son pour fil con­duc­teur. Cela me per­met- tait de mieux « voir » et de ré-éprou­ver l’ensemble du spec­ta­cle puisque je con­nais­sais la dou­ble chronolo­gie jeu/son. Comme si d’une cer­taine façon je rejouais tout en étant dans le gradin.

Par moments je m’y déplaçais tout en con­tin­u­ant d’écouter, pour chang­er de point de vue. Pour me voir imag­i­naire­ment sur le plateau sous dif­férents angles. J’allais même par­fois der­rière le plateau pour me voir de dos. Je demandais à Philippe de repass­er plusieurs fois cer­taines séquences sonores pour « me revoir encore », pour bien com­pren­dre à nou­veau ce que je ressen­tais en me voy­ant faire et ce que je pou­vais éventuelle­ment amélior­er ou effectuer encore plus pré­cisé­ment.

Autre curiosité, cet exer­ci­ce de re-visu­ali- sation sonore me per­me­t­tait égale­ment de me remé­mor­er avec pré­ci­sion ce qui m’avait sem­blé dys­fonc­tion­ner dans la représen­ta­tion de la veille ou ce qui au con­traire avait pro­duit quelque chose de val­able.

  1. Créa­tion jan­vi­er 1998 à La Colline, Paris. ↩︎

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Chloe Larmet
Docteure en Arts du spectacle, Chloé Larmet mène une recherche sur les esthétiques scéniques contemporaines...Plus d'info
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