Les nouvelles sensibilités de la scène théâtrale marocaine contemporaine

Théâtre
Réflexion

Les nouvelles sensibilités de la scène théâtrale marocaine contemporaine

Le 30 Juil 2022
Amel Benhadou dans Solo, mis en scène par Mohamed El Hor, Rabat, 2017. Photo Abdelaziz Khalil.
Amel Benhadou dans Solo, mis en scène par Mohamed El Hor, Rabat, 2017. Photo Abdelaziz Khalil.

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Amel Benhadou dans Solo, mis en scène par Mohamed El Hor, Rabat, 2017. Photo Abdelaziz Khalil.
Amel Benhadou dans Solo, mis en scène par Mohamed El Hor, Rabat, 2017. Photo Abdelaziz Khalil.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 147 - Scènes contemporaines des mondes arabes
147

Le Maroc n’a décou­vert le théâtre que vers le début du xxe siè­cle, quand un groupe de jeunes a mon­té la pièce Sal­adin en 1927. Si les Maro­cains igno­raient le théâtre à l’italienne, ils savaient ce qu’était la théâ­tral­ité puisqu’ils étaient fam­i­liers des formes spec­tac­u­laires pro­pres à leur cul­ture dont les places publiques, comme Jam­ma el Fnaâ, étaient le théâtre. Ce qui expli­querait, selon cer­tains chercheurs, leur prédis­po­si­tion à accueil­lir favor­able­ment cette nou­velle forme artis­tique qu’ils ont adop­tée très rapi­de­ment. Néan­moins tout le long de son his­toire, hormis une courte péri­ode au cours des années 1950, le jeune théâtre maro­cain n’a jamais béné­fi­cié d’une vraie poli­tique publique. La ges­tion des activ­ités théâ­trales a longtemps été con­fiée au min­istère de la Jeunesse et des Sports au même titre que les sports et les actions en faveur de la jeunesse.

Il a fal­lu aus­si atten­dre longtemps, 1986, pour que l’ISADAC (Insti­tut Supérieur d’Art Dra­ma­tique et d’Animation Cul­turelle), pre­mière insti­tu­tion publique dédiée à la for­ma­tion théâ­trale, voie le jour et au prix de quels efforts !1 Pen­dant les années 1980, avec l’arrivée des social­istes au pou­voir et la désig­na­tion de Mohammed Achaari, homme de let­tres, poète et ancien prési­dent de l’Union des Écrivains du Maroc, comme min­istre de la Cul­ture, le secteur théâ­tral a con­nu une courte embel­lie grâce à la mise en place d’une poli­tique publique dite de sou­tien à la pro­duc­tion et à la dif­fu­sion théâ­trale, qui con­sis­tait à sub­ven­tion­ner une trentaine de troupes locales pour les aider soit à pro­duire soit à dif­fuser leurs spec­ta­cles. Cette poli­tique s’est large­ment inspirée d’une ini­tia­tive sim­i­laire qui a été prise dans le cadre de la pro­mo­tion du ciné­ma maro­cain et qui a porté ses fruits. Mal­heureuse­ment, le ciné­ma n’est pas le théâtre. 

Car si la pro­duc­tion d’un film peut présen­ter l’une des phas­es les plus impor­tantes dans l’industrie ciné­matographique, la dif­fu­sion est moins coû­teuse et les pos­si­bil­ités d’exporter un film sont moins con­traig­nantes. Ce qui n’est pas le cas pour le théâtre, qui est un art vivant qui néces­site la mobil­i­sa­tion per­ma­nente d’une équipe de comé­di­ens, tech­ni­ciens, ouvri­ers, etc., et dont la dif­fu­sion et la pro­mo­tion deman­dent beau­coup de moyens. 

D’autre part, si le pub­lic maro­cain est prêt à pay­er un tick­et pour assis­ter à un film, il ne le fait pas quand il s’agit d’une pièce de théâtre. Aujourd’hui, les femmes et les hommes du théâtre maro­cain ne peu­vent pas compter sur les ventes des bil­lets pour gag­n­er leur pain. 

Certes, le Maroc s’est lancé ces dernières années dans la con­struc­tion de grandes salles de spec­ta­cle, à Casablan­ca et à Rabat – dont les plans ont été dess­inés par feue la grande archi­tecte iraki­enne Zaha Hadid. Mais cela reste insuff­isant, car la pop­u­la­tion a surtout besoin de salles de prox­im­ité. Or celles-ci sont rares et quand elles exis­tent, elles sont mal équipées et mal gérées. Les deux prob­lèmes essen­tiels dont souf­fre le théâtre maro­cain aujourd’hui sont, d’abord, l’absence d’une vraie poli­tique publique et d’une vraie stratégie cul­turelle, sus­cep­ti­bles de garan­tir une péren­nité aux acteurs de la scène locale et de favoris­er une expres­sion artis­tique de qual­ité. Ensuite se pose le prob­lème de la défail­lance, voire du manque d’éducation artis­tique. La majorité des Maro­cains con­nais­sent très mal le théâtre, car ils ne l’ont pas étudié ni fréquen­té suff­isam­ment pen­dant leur sco­lar­ité. Ce qui explique en par­tie l’inexistence d’un pub­lic pour ce théâtre.

Voici donc le con­texte général dans lequel évolu­ent les acteurs de la scène théâ­trale maro­caine, dont la majorité dépend des mai­gres sub­ven­tions du min­istère de la Cul­ture et de quelques insti­tu­tions publiques comme le Théâtre nation­al Mohamed V situé à Rabat. Si cette nou­velle poli­tique prônée par le nou­veau min­istre con­sis­tant à favoris­er les spec­ta­cles qui font le plus de recettes se con­firme, ce sera un coup dur pour les pro­mo­teurs d’un théâtre exigeant, sérieux et expéri­men­tal.

Néan­moins, mal­gré ces défail­lances struc­turelles, mal­gré les dif­fi­cultés aux­quelles les artistes sont con­fron­tés, et mal­gré le statut presque mar­gin­al du théâtre au Maroc, il y existe des expéri­ences théâ­trales de qual­ité dont les arti­sans priv­ilégient la qual­ité artis­tique, l’expérimentation, au détri­ment de la facil­ité, du pop­ulisme et du rire gra­tu­it.

La majorité des ani­ma­teurs de cette « nou­velle scène », que cer­tains qual­i­fient d’alternative, est générale­ment issue de l’ISADAC. Ce sont des femmes et des hommes qui ont appris les bases du méti­er du théâtre, dans dif­férents domaines de spé­cial­i­sa­tion, en suiv­ant un cur­sus de qua­tre ans au sein de cette insti­tu­tion. Leur for­ma­tion de base en plus des mul­ti­ples stages qu’ils effectuent, aus­si bien au Maroc qu’à l’étranger, leur per­met de ren­con­tr­er de grands noms du théâtre mon­di­al et arabe, à l’instar de Peter Brook, Andrzej Sew­eryn, Fer­nan­do Arra­bal ou encore Fad­hel Jaïbi… et d’être con­fron­tés à d’autres tra­di­tions et pra­tiques scéniques. Ce qui favorise leur ouver­ture sur les expéri­ences mon­di­ales tout en restant très attachés à leur ter­ri­toire. Les lau­réats de l’ISADAC sont aujourd’hui les prin­ci­pales fig­ures de la scène théâ­trale maro­caine.

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Omar Fertat
Omar Fertat est maître de conférences à l’Université Bordeaux-Montaigne où il enseigne le théâtre et...Plus d'info
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