Wajdi Mouawad – Le « jardin » du Libanet les « incendies » du Moyen-Orient

Théâtre
Portrait

Wajdi Mouawad – Le « jardin » du Libanet les « incendies » du Moyen-Orient

Le 25 Juil 2022
Judith Rosmair, Raphael Weinstock, Rafael Tabor, Victor De Oliveira, Jérémie Galiana, Souheila Yacoub dans Tous des oiseaux, mis en scène de Wajdi Mouawad, Paris, La Colline, 2017. Photo Simon Gosselin.
Judith Rosmair, Raphael Weinstock, Rafael Tabor, Victor De Oliveira, Jérémie Galiana, Souheila Yacoub dans Tous des oiseaux, mis en scène de Wajdi Mouawad, Paris, La Colline, 2017. Photo Simon Gosselin.

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Judith Rosmair, Raphael Weinstock, Rafael Tabor, Victor De Oliveira, Jérémie Galiana, Souheila Yacoub dans Tous des oiseaux, mis en scène de Wajdi Mouawad, Paris, La Colline, 2017. Photo Simon Gosselin.
Judith Rosmair, Raphael Weinstock, Rafael Tabor, Victor De Oliveira, Jérémie Galiana, Souheila Yacoub dans Tous des oiseaux, mis en scène de Wajdi Mouawad, Paris, La Colline, 2017. Photo Simon Gosselin.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 147 - Scènes contemporaines des mondes arabes
147

Pour Waj­di Mouawad, le Liban, son pays d’origine, est « petit comme un jardin qu’un oiseau peut tra­vers­er en un jour ». Au-delà de la dimen­sion minia­ture évo­quée, la métaphore mérite d’être retenue tel le sceau souter­rain de son iden­tité. La cul­ture arabe n’a‑t-elle pas érigé « le jardin » en espace priv­ilégié et en par­fait lieu de retraite, « jardin » qui la tra­verse des Mille et Une Nuits jusqu’aux tapis qui en four­nissent la con­t­a­m­i­na­tion général­isée. Mais ce « jardin » orig­inel ne béné­ficiera pas de la paix à laque­lle, a pri­ori, il ren­voie, bien au con­traire. Il sera le lieu des con­tra­dic­tions déchi­rantes qui ne lais­seront pas indemne le jeune enfant séduit d’abord par la dimen­sion héroïque des mil­ices chré­ti­ennes qui seront, ensuite, à l’origine des mas­sacres de Sabra et Chati­la. Une pareille rup­ture relie, comme dans un oxy­more à jamais sous ten­sion, le jardin pacifi­ca­teur et les camps de l’horreur. Il servi­ra de matrice à l’artiste qu’il devien­dra. 

Waj­di Mouawad témoigne de l’ampleur des désas­tres qui ont rav­agé son « jardin » et il le fait avec une impli­ca­tion extrême ; il déplore haut et fort les blessures de sa cul­ture. Cul­ture peu encline à la réserve et à la réten­tion. « Crier » implique le courage d’assumer les désas­tres et de lancer des appels de détresse… Le théâtre de Waj­di Mouawad le con­firme, et y a‑t-il preuve plus explicite de ce courage d’assumer la tragédie à corps per­du que son texte Incendies ? Les gens et les ter­res arabes, par l’ampleur de leurs con­flits, nour­ris­sent la puis­sance de cette plongée dans la souf­france. On ne pleure plus comme cela que dans le Moyen-Ori­ent ou, jadis, dans la Grèce antique. Less­ing rendait hom­mage à l’audace du cri dans la fameuse stat­ue de Lao­coon et, nous aujourd’hui, nous faisons notre sa con­vic­tion : oser pleur­er est un acte de courage. Mais, sans jamais oubli­er tout à fait le récon­fort du « jardin », oasis au cœur de la guerre. 

On a reproché par­fois à Waj­di Mouawad, comme autre­fois à Camus, la cohérence de la nar­ra­tion et l’identité forte des per­son­nages qui ren­voient, dit-on, à une esthé­tique datée, étrangère aux opéra­tions de dé-con­struc­tion si fréquentes chez bon nom­bre d‘auteurs mod­ernes. Mais symp­to­ma­tique est la réponse de Mouawad qui motive son option par la référence à l’expérience his­torique de son pays. Con­fron­té à la dé-con­struc­tion du Liban, il voue son théâtre à un tra­vail de con­struc­tion. Et il cherche le lien aux dépens de la rup­ture, lien « dra­maturgique » et nulle­ment « poli­tique ». Son théâtre ne cam­ou­fle pas les con­flits, il les exac­erbe même, mais sur fond de con­fi­ance faite à l’émotion comme liant. Et en cela, pro­fondé­ment, mal­gré tout, dans son théâtre per­siste un espoir au cœur « du bruit et de la fureur ». Le fait de souf­frir sans se bris­er ras­sure. 

L’exil comme pul­sion d’écriture

La guerre au Liban a fait explos­er en morceaux la famille dont les mem­bres se sont trou­vés séparés en rai­son des départs imposés ou des con­traintes matérielles. Waj­di Mouawad a quit­té le Liban avec sa mère et sa sœur en se con­frontant à l’expérience de l’exil. « Que serais-je devenu sans l’exil ? » se demande-t-il. L’exil appelle à un ques­tion­nement de soi, car il exige des choix à faire par rap­port à l’identité, à sa con­ser­va­tion ou, au con­traire, à l’intégration. L’exil est un défi pour tout artiste. Et Waj­di répond en se situ­ant à la croisée de l’histoire et de la langue d’écriture. Il va trou­ver un équili­bre inédit et fécond en sac­ri­fi­ant l’usage de l’arabe sans pour autant oubli­er les blessures de son ter­ri­toire d’origine. Ain­si il est d’ici et d’ailleurs. L’exil sera un défi, même météorologique, pour le jeune homme ayant vécu dans la douceur du Liban qui se trou­ve plongé dans la rigueur des froids cana­di­ens. Il n’oubliera rien afin d’ériger cette expéri­ence en matière d’écriture. 

Waj­di Mouawad a con­sacré, suc­ces­sive­ment, des por­traits aux mem­bres de la famille. Com­ment oublierais-je une expéri­ence qui, plus tard, se con­ver­ti­ra en per­for­mance ? Nous étions trois pour vis­iter l’Ermitage à Saint-Péters­bourg. Comme nos rythmes de vis­ite ne coïn­cidaient pas, d’un com­mun accord, nous nous sommes séparés pour nous fix­er un ren­dez-vous pré­cis à 13 heures à la sor­tie ! Moi-même et un ami, nous avons pour­suivi la vis­ite à deux, en pas­sant d’un tableau à un autre ! Éparpille­ment des plaisirs. À la sor­tie, nous avons décou­vert Waj­di. Il nous avoua être resté, lui, tout le temps de la vis­ite, devant l’immense tableau de Rem­brandt Le retour du fils prodigue. Il s’en est imprégné. Mais, l’événement ne res­ta pas sans traces et Waj­di, à par­tir de Rem­brandt, se livra à une per­for­mance dédiée au dia­logue avec le père, Seuls ! Il se plaça sur le plateau, comme lui, seul face à la toile de Rem­brandt… et, une fois, j’ai pu suiv­re le chem­ine­ment d’un événe­ment de vie à l’émergence d’une œuvre. Je n’ai jamais pu voir Seuls sans penser au dia­logue de Waj­di, à l’Ermitage, avec le père qui accueille son fils sur le pas de la porte ! Tan­dis que l’autre, le sec­ond, resté à la mai­son, se trou­ve ren­voyé au sec­ond plan ! Quel désaveu de la fidél­ité, et quel hom­mage au voy­age qui s’achève sur le retour, sur les retrou­vailles généra­tionnelles à l’entrée de la mai­son. De l’importance du seuil… Ain­si débu­tait la saga famil­iale de l’écrivain en exil. 

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Wajdi Mouawad
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Georges Banu
Écrivain, essayiste et universitaire, Georges Banu a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre, dont...Plus d'info
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