De Constellations* à Consoude

Théâtre
Parole d’artiste

De Constellations* à Consoude

Le 24 Fév 2023
Les Constellé·e·s (marqué·e·s d’une astérisque) et quelques autres de gauche à droite: Paul Gérard*, Laura Oriol*, Marine Thévenet, Lorette Moreau, Maxime Arnould*, Nada Gambier*, Maëva Longvert*, Anita Schneider*, Charlotte David, Salim Djaferi*, Aurélien Leforestier*, Robin Yerlès*. Programme organisé au sein de la Bellone, mars 2022. Photo Cifas.
Les Constellé·e·s (marqué·e·s d’une astérisque) et quelques autres de gauche à droite: Paul Gérard*, Laura Oriol*, Marine Thévenet, Lorette Moreau, Maxime Arnould*, Nada Gambier*, Maëva Longvert*, Anita Schneider*, Charlotte David, Salim Djaferi*, Aurélien Leforestier*, Robin Yerlès*. Programme organisé au sein de la Bellone, mars 2022. Photo Cifas.
Les Constellé·e·s (marqué·e·s d’une astérisque) et quelques autres de gauche à droite: Paul Gérard*, Laura Oriol*, Marine Thévenet, Lorette Moreau, Maxime Arnould*, Nada Gambier*, Maëva Longvert*, Anita Schneider*, Charlotte David, Salim Djaferi*, Aurélien Leforestier*, Robin Yerlès*. Programme organisé au sein de la Bellone, mars 2022. Photo Cifas.
Les Constellé·e·s (marqué·e·s d’une astérisque) et quelques autres de gauche à droite: Paul Gérard*, Laura Oriol*, Marine Thévenet, Lorette Moreau, Maxime Arnould*, Nada Gambier*, Maëva Longvert*, Anita Schneider*, Charlotte David, Salim Djaferi*, Aurélien Leforestier*, Robin Yerlès*. Programme organisé au sein de la Bellone, mars 2022. Photo Cifas.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 148 - Arts vivants. Cirque marionnette espace public - Alternatives Théâtrales
148

C’est une con­ver­sation.

À lire là où l’œil se pose.
Nous, dans les textes,
c’est Anne & Aurélien.

En post­con­fine­ment

À la sor­tie du dernier con­fine­ment, Con­stel­la­tions a per­mis de se retrou­ver en bande et de se met­tre au tra­vail. De faire tran­si­tion. Lorette More­au, facil­i­ta­trice, fan de métho-do-logie et de douceur, a pro­posé des con­textes prop­ices à créer des liens et des échanges de savoirs autour des pra­tiques artis­tiques de chacun·e. Chaque constellé·e était invité·e à partager une ques­tion liée à son pro­jet sous la forme d’un pro­to­type, étape de recherch­es, pour ensuite expéri­menter, avec le groupe, des méth­odes de feed­back col­lec­tives et con­struc­tives. Chacun·e a joué le jeu de la propo­si­tion artis­tique et des retours, (ré)activant ain­si le désir de faire, chercher, avec les autres. Des doutes se sont partagés, des faux pas aus­si et des rires : c’est ain­si qu’une pre­mière trans­for­ma­tion de la « crise Covid » en expéri­ence a pu avoir lieu.

Dé-nouer

Nous nous sommes rencontré·e·s en 2013 à l’INSAS. Anne était pro­fesseure et Aurélien, élève. Notre intérêt com­mun pour la pra­tique artis­tique en espace pub­lic a rapi­de­ment facil­ité nos échanges mais le cadre de l’école, un exer­ci­ce pas facile à gér­er, un mémoire non final­isé ont espacé nos con­ver­sa­tions. 

En jan­vi­er 2022, Con­stel­la­tions a débuté et nous nous sommes recroisé·e·s. De fil en aigu­ille, entre les débrief­in­gs, les repas et les tirages au sort, nos envies artis­tiques sont entrées en réso­nance pour finale­ment coécrire Les Renouées − pro­jet sur la plante du même nom, présente dans le quarti­er du Varia, le long des voies fer­rées, sur les park­ings. Nous avions fait un chemin, décon­stru­it un rap­port hiérar­chique, d’âge aus­si, qui s’était instal­lé mal­gré nous, dans le con­texte de l’école. Grâce à Con­stel­la­tions, de nou­veaux liens se sont tis­sés.

Con-

Du latin cum- « avec, tous ensem­ble, tout ».

Le groupe des constellé·e·s a vécu une pra­tique de la con­ver­sa­tion – avec les out­ils et pro­to­coles pro­posés par Lorette. Con­vers­er (con vivere : « vivre avec »), ce n’est pas dis­cuter. La dis­cus­sion est un échange argu­men­té linéaire menant à une con­clu­sion, la plus sou­vent rationnelle. La con­ver­sa­tion au con­traire s’échappe à elle-même, on ne sait pas où elle va. La place est lais­sée à l’imprévu, aux incom­préhen­sions, aux silences. À ce qui avait besoin de se dire en post­con­fine­ment.

Com­ment par­ler de ce qui s’était passé ? Que faire pour se remet­tre en mou­ve­ment « avec » et ne pas recom­mencer, sans rien chang­er ? Com­ment con­tin­uer à créer dans l’espace pub­lic lorsque celui-ci a été dés­in­vesti pen­dant presque deux ans ? Com­ment se ren­con­tr­er vrai­ment ? De quelles manières laiss­er des places à occu­per à celleux à la marge pour que d’autres types de réc­its puis­sent cir­culer, inat­ten­dus, et tra­vailler ain­si à plus de liens ?

Voici un échan­til­lon des ques­tions qui se sont invitées dans les pra­tiques artis­tiques et les con­ver­sa­tions. Chacun·e s’est mis·e à l’écoute des démarch­es des autres pour finir par créer des nouages rhi­zomiques et souter­rains, en vue de « ren­forcer la sol­i­dar­ité artis­tique »**.

Délaissé·e·s

Nos deux pro­to­types respec­tifs par­taient des délaissé·e·s : tant les corps malades enfer­més et relégués au sein de notre société, que les plantes « spon­tanées » pous­sant sur les trot­toirs. S’intéresser aux délaissé·e·s, pour nous, c’est choisir de vis­i­bilis­er des pra­tiques autres et des formes de vies en marge ; des vies non pro­duc­tives dans le sys­tème économique dom­i­nant, mais pour­tant foi­son­nantes d’inventivité et de joie. Ces formes de vie sont por­teuses de nou­veaux réc­its (ou d’anciens presque oubliés) à faire enten­dre et à pass­er. Elles incar­nent, par­fois mal­gré elles, une résis­tance à, ou un espoir de trans­for­ma­tion de, l’ordre établi.

Une ques­tion brûlante : c’est qui, c’est quoi ta Marie Kon­do à toi ?

Si tu ne com­prends pas, laisse traîn­er ton œil ailleurs et reviens par ici, plus tard…

La magie para­doxale***, c’est une pra­tique

Elle agite les opposés et des­sine des ter­ri­toires inat­ten­dus. Elle tient la pen­sée sur un fil, en alerte – loin de toute pos­si­bil­ité de sim­pli­fi­ca­tion. Elle con­voque les corps, tout entiers, et les enlace avec ce qu’ils ne savaient pas encore qu’ils pou­vaient faire réson­ner et tenir, ensem­ble.

Cette pra­tique de la magie para­doxale a très vite débar­qué dans Con­stel­la­tions. Avec une his­toire que Lorette a racon­tée au groupe : sa pas­sion « cachée » pour Marie Kon­do et ses méth­odes de range­ment. Elle l’a trans­mise avec étin­celle et retenue, entre assiduité et rire étouf­fé, jouant et déjouant à chaque mot son attrait pour l’influenceuse et ses astuces. « On peut être à 100 % dans le jeu, la poésie, la fic­tion, et À LA FOIS être à 100 % sérieuse/investie/sincère. Ma pas­sion pour Marie Kon­do, c’est ça : je ris beau­coup quand je lis ses livres, et en même temps, ça m’émeut vrai­ment. Ce para­doxe, il peut être un véri­ta­ble moteur. Embrass­er le “ ET ET ” plutôt que le “ OU OU ”. »

C’est sous ces aus­pices que Lorette a placé les Con­stel­la­tions 2022.

Elle pro­po­sait de se laiss­er agir, plutôt que de vouloir.

C’était à un joyeux bor­del qu’elle invi­tait.

***Con­cept dévelop­pé par Antoine Defoort dans sa pièce Elles vivent (L’Amicale, 2021).

Con­stel­la­tions*

C’était notam­ment :

– Décou­vrir l’histoire des pra­tiques gays des ’60s accolée à une pis­sotière.

– Faire réc­it d’une enquête per­son­nelle sur le mot « koulouni­sa­tion ».

– Des extraits de textes partagés : Hope in the Dark de Rebec­ca Sol­nit, Faire de Tim Ingold…

– Des débrief­in­gs pour évo­quer les moments clés appelés « ceris­es sur le gâteau » mais aus­si « cail­loux dans la chaus­sure », ces petits trucs qui empêchent l’échange, le tra­vail…

– Un jeu de tarot venant remet­tre en per­spec­tive le pro­to­type présen­té.

– Une invi­ta­tion, tisane d’ortie à la main, à observ­er et décrire avec nos mots les plantes pous­sant sur les places et trot­toirs.

– L’exercice polémique du « gos­sip round », dans lequel est évo­qué le pro­to­type de quelqu’un·e comme si iel n’était pas là alors qu’iel entend tout ce qui est dit.

– Une lec­ture chu­chotée et cares­sante du Baron per­ché d’Italo Calvi­no dans la cour de la Bel­lone, où nous étions, avec tapis, coussins et cou­ver­tures, allongé·e·s les un·e·s con­tre les autres.

– Un exer­ci­ce de retours et de soin à la fois : la « show­er of love ». Chacun·e étant invité·e à not­er sur des Post-It tout ce qu’iel a aimé ou trou­vé qui fonc­tion­nait dans les pro­to­types de chacun·e.

– Des vœux à l’égard de chacun·e et de leurs pro­to­types, glis­sés ensuite dans les inter­stices de l’espace pub­lic.

Con­soude

En rac­com­pa­g­nant une amie à la gare de Ger­moir (après qu’elle est venue voir nos recherch­es sur la Renouée du Japon en sep­tem­bre dernier au théâtre Varia), nous lui mon­trons le pan­neau d’où tout est par­ti. Elle nous dit, en nous désig­nant une plante juste à côté : « Oh et regardez, là, c’est de la Con­soude », une plante médic­i­nale util­isée pour faciliter la cica­tri­sa­tion de plaies ou de frac­tures, d’où son nom. Elle vient con­solid­er. C’est une plante qui, telle la Renouée, a d’abord été util­isée comme orne­ment dans les jardins et qui s’est fau­filée dans l’espace pub­lic. Et qui peut égale­ment se repro­duire par rhi­zome. Il n’y a pas de hasard, non ?

Re-nouer

Après Con­stel­la­tions, nous avons lancé un pro­jet en parte­nar­i­at avec le théâtre Varia, se dévelop­pant dans les inter­stices de la pro­gram­ma­tion et lais­sant la place aux ren­con­tres impromptues avec les vivants du quarti­er. Lors de notre pre­mière journée d’exploration, nous sommes tombé·e·s sur un pan­neau, rue des Deux-Ponts à Ixelles, évo­quant une plante : la Renouée du Japon. Elle y est présen­tée comme une « étrangère », une « inva­sive » dont il est dif­fi­cile de se débar­rass­er… le texte se con­clut d’ailleurs par un toni­tru­ant : « Mais on l’aura ! » Ce pan­neau, plutôt que de nous met­tre en garde, nous a don­né envie d’en savoir plus. On trou­vait ça louche, cette ter­mi­nolo­gie ! Et pas moyen de pass­er à côté de son nom, la Renouée, et de ce qui nous avait amené·e·s jusqu’à elle, inter­roger les liens du Varia avec son quarti­er ! Elle s’invitait à nous et deve­nait aus­si une pos­si­ble loupe pour décrypter nos intim­ités. Mais pas que ! Intro­duite en Europe en 1846 comme plante d’ornement très appré­ciée des pro­prié­taires de jardin, soit seize ans à peine après la créa­tion de la Bel­gique, elle se retrou­ve aujourd’hui décriée, appelée « l’invasive » sans aucune mise en con­texte… ce qui, for­cé­ment, nous amène à inter­roger les notions d’« allogène » ou d’« étrangère » et à les laiss­er réson­ner avec les poli­tiques migra­toires actuelles.

Mode mineur ?

Si nous nous sommes retrouvé·e·s, c’est aus­si par goût des « petites choses », par rejet du spec­tac­u­laire dans sa déf­i­ni­tion d’ostentation, de mul­ti­pli­ca­tion des effets. Nous tra­vail­lons dans les marges, préférant l’attention au(x) sens plutôt qu’au sen­sa­tion­nel. Nous écrivons dans un numéro con­sacré aux arts dit mineurs. Nous ne pen­sons pas qu’il y ait des arts majeurs d’un côté et des arts mineurs de l’autre.

Une œuvre en espace pub­lic, ou bien encore de la mar­i­on­nette, n’est pas par essence un art mineur. Elle peut en revanche avoir une modal­ité majeure ou mineure, selon la manière dont elle est fab­riquée. Est-ce que ça ne serait pas plus juste de par­ler de modes mineurs ou de modes majeurs, quelle que soit la dis­ci­pline artis­tique ?

Saloperie

Nous avons, à la suite du pan­neau, décou­vert un texte de l’artiste Lil­iana Mot­ta, par­lant de sa rela­tion avec la Renouée du Japon. Elle y évoque son iden­ti­fi­ca­tion à cette plante, lorsqu’en deman­dant à quelqu’un ce dont il s’agissait, la per­son­ne lui avait répon­du : « C’est une saloperie. » Résis­tante dans les marges, mal aimée et traitée de saloperie, oui, comme une évi­dence, nous nous étions attaché·e·s. Voilà, cette « saloperie » était entrée dans nos vies. Nous avons décou­vert qu’avant tout, la Renouée est une plante dépol­lu­ante, qui fait le bon­heur des abeilles avec sa flo­rai­son tar­dive en sep­tem­bre, et qu’elle est un puis­sant anti-inflam­ma­toire naturel. 

*Con­stel­la­tions est un pro­gramme de coap­pren­tis­sage pour douze artistes de toutes dis­ci­plines ayant un pro­jet en cours d’écriture autour de l’art vivant dans la ville. Pro­posé par le Cifas et facil­ité par Lorette More­au (L’Amicale) pour cette pre­mière édi­tion en 2022.

**«Con­stel­la­tions est un out­il pour appren­dre de nou­velles méthodolo­gies, pour com­pren­dre d’autres chemins d’écriture, pour con­naître d’autres façons de faire et pour ren­forcer la sol­i­dar­ité artis­tique », Cifas, appel à can­di­da­ture 2023.

***Con­cept dévelop­pé par Antoine Defoort dans sa pièce Elles vivent (L’Amicale, 2021).

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Anne Thuot
Aurélien Leforestier
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Anne Thuot
Anne Thuot est artiste performeuse. Elle vit et travaille à Bruxelles depuis 25 ans. Elle...Plus d'info
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Aurélien Leforestier est acteur et artiste-chercheur. Ses travaux tentent d’articuler pratiques et savoirs issus des...Plus d'info
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