Arts de la rue – Sous les années Lang

Art de rue
Réflexion

Arts de la rue – Sous les années Lang

Le 21 Fév 2023
Re-paradise, spectacle de Gwenaël Morin à partir de Paradise Now – Création collective du Living Theater, création 2018 au festival Mondes Possibles des Amandiers de Nanterre. Photo Pierre Grosbois.
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Re-paradise, spectacle de Gwenaël Morin à partir de Paradise Now – Création collective du Living Theater, création 2018 au festival Mondes Possibles des Amandiers de Nanterre. Photo Pierre Grosbois.
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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 148 - Arts vivants. Cirque marionnette espace public - Alternatives Théâtrales
148

Gwéno­la David, « Arts de la rue », in Lau­rent Mar­tin, Vin­cent Mar­tigny, Emmanuel Wal­lon (dir.), Les Années Lang. Une his­toire des poli­tiques cul­turelles, 1981 – 1993, Paris, La Doc­u­men­ta­tion française/Comité d’histoire du min­istère de la Cul­ture, 2021 p. 411 – 414. © Col­lec­tion du Comité d’histoire du min­istère de la Culture/Direction de l’information légale et admin­is­tra­tive, Paris, 2021.

À l’orée des années 1970, la France voit fleurir des événe­ments artis­tiques et fes­tifs au-dehors des insti­tu­tions cul­turelles, dans des lieux publics, des espaces extérieurs ou d’autres locaux. Le mou­ve­ment des « arts de la rue » va peu à peu se con­stituer artis­tique­ment et pro­fes­sion­nelle­ment, devenir un secteur à part entière et appel­er à la mise en place de poli­tiques publiques pour struc­tur­er son développe­ment. Portés par l’élan lib­er­taire soix­ante-huitard, des saltim­ban­ques pren­nent la rue pour espace libre d’expression con­tes­tataire et chahutent les autorités artis­tiques qui tenaient le spec­ta­cle dans des formes bien cadrées à l’abri respectable de l’institution. Ces artistes auto­proclamés fuient l’entre-soi bour­geois, brisent le qua­trième mur et débou­ton­nent le corset de la cul­ture légitime pour créer comme il leur plaît. Ils osent à tout-va, brico­lent des expéri­men­ta­tions rebelles à tout encar­tage dis­ci­plinaire, descen­dent dans les quartiers et s’adressent directe­ment aux gens du quo­ti­di­en qu’ils alpaguent au vol, ou bien rassem­blent des foules pour célébr­er le plaisir d’être en com­mun. Le Palais des Mer­veilles, le Foots­barn Trav­el­ling The­atre, le Théâ­tracide ou encore le Théâtre de l’Unité, plus tard Opos­i­to, Roy­al de Luxe, Ilo­topie… ouvrent des chemins buis­son­niers qui mènent vers de nou­velles expéri­ences esthé­tiques et ludiques à la croisée des gen­res.

Le phénomène n’est pour­tant pas une résur­gence des man­i­fes­ta­tions fes­tives qui, depuis le Moyen Âge, avec ses bateleurs de foires, ses bal­adins de car­navals et ses mys­tères sur les parvis d’églises, trans­for­maient la ville en scène ouverte. S’il fouille volon­tiers l’imagier des tra­di­tions forai-nes, il s’origine plutôt dans les marges d’un théâtre en crise, où s’activent dès les années 1960 des artistes en rup­ture de ban académique, et il prof­ite des érup­tions inven­tives de Mai 68 pour descen­dre dans la rue et se man­i­fester au grand air. L’Agit-prop, le hap­pen­ing, les avant-gardes venues d’ailleurs, de Jerzy Gro­tows­ki à Tadeusz Kan­tor, du Liv­ing The­atre au Bread and Pup­pet The­atre, avaient déjà tranché rad­i­cale­ment avec les con­ven­tions, atti­rant les jeunes généra­tions, notam­ment au Fes­ti­val mon­di­al de théâtre uni­ver­si­taire de Nan­cy alors dirigé par Jack Lang. Le mou­ve­ment des arts de la rue s’inscrit aus­si dans la crise urbaine, sociale et poli­tique de l’époque. Par l’intervention dans l’espace pub­lic, la gra­tu­ité et l’interpellation comme mode d’expression, il entend s’engager dans la vie sociale et riposter au fonc­tion­nal­isme de la plan­i­fi­ca­tion urbaine, qui bétonne la société et stan­dard­ise l’existence. Durant la décen­nie 1970, les col­lec­tifs sont de plus en plus nom­breux à pren­dre la route. Ils investis­sent les réseaux d’animation cul­turelle à l’appel de munic­i­pal­ités préoc­cupées de viv­i­fi­er leurs cen­tres his­toriques et de ren­forcer la socia­bil­ité des espaces nou­velle­ment con­stru­its. Ils se retrou­vent lors de grands rassem­ble­ments qui agrè­gent leur pro­fu­sion désor­don­née et cristallisent la représen­ta­tion de cette mou­vance artis­tique : notam­ment pour Aix ville ouverte aux saltim­ban­ques, organ­isé en 1973 par Jean Digne, alors directeur du Théâtre du Cen­tre d’Aix-en-Provence, l’École d’été, com­mencée à La Char­treuse de Vil­leneuve-lès-Avi­gnon en 1975 et pour­suiv­ie par Les Ate­liers publics d’art et spec­ta­cles d’inspiration pop­u­laire à Manosque, en 1978, Dia­ble à Padirac, en 1977, ou encore La Falaise des fous, en 1980, qui attire à Cha­lain (Jura) quelque 230 « Saltim­banks réu­nis » autour de Michel Crespin, fon­da­teur de Théâ­tracide, avec le sou­tien de sub­ven­tions publiques.

Une insti­tu­tion­nal­i­sa­tion pro­gres­sive et para­doxale

C’est au tour­nant des années 1980 que s’engage la lente insti­tu­tion­nal­i­sa­tion de ce mou­ve­ment dis­parate où se côtoient plas­ti­ciens, « cogne-trot­toirs », théâtreux, bon­i­menteurs, cir­cassiens et autres inclass­ables. Les pre­mières ren­con­tres d’Artistes d’espaces libres, organ­isées en 1981 par Michel Crespin et Fabi­en Jan­nelle, directeur de la Ferme du Buis­son, Cen­tre d’action cul­turelle de Marne-la-Val­lée, s’inspirent de La Falaise des fous et annon­cent l’ouverture en 1982 du Cen­tre inter­na­tion­al de ren­con­tre et de créa­tion pour les pra­tiques artis­tiques dans les lieux publics et les espaces libres – Lieux publics, qui ambi­tionne de devenir un out­il de créa­tion sur le mod­èle d’un Cen­tre dra­ma­tique nation­al. Il est sub­ven­tion­né l’année suiv­ante par la Direc­tion du développe­ment cul­turel (DDC) du min­istère de la Cul­ture, pilotée par Dominique Wal­lon. C’est par la brèche d’un pro­jet rel­e­vant d’un champ « hors dis­ci­pline », via une sous-com­mis­sion « Inno­va­tion », que se fait l’intrusion dans l’enceinte de la rue de Val­ois, con­tour­nant ain­si la place forte tenue par le théâtre. Le min­istère Lang suit la vogue de ces spec­ta­cles hors les murs qui sert sa poli­tique de développe­ment cul­turel visant à répar­tir les moyens sur l’ensemble du ter­ri­toire, jusqu’aux zones rurales et périphériques, à élargir le champ cul­turel à de nou­velles expres­sions et à démoc­ra­tis­er l’accès à l’art… tout en partageant le gout de la fête. 

Lieux publics déploie son action sur la réflex­ion, la for­ma­tion, la doc­u­men­ta­tion et la dif­fu­sion. Il con­tribue active­ment à la con­sti­tu­tion d’un secteur encore flou, en organ­isant les Ren­con­tres d’octobre de 1983 à 1987, qui mêlent débats et foires aux pro­jets, et en pub­liant dès 1985 le Goliath, pre­mier guide-annu­aire des artistes et des opéra­teurs cul­turels « pour la créa­tion et l’animation dans les lieux publics », définis­sant ain­si le con­tour de ce qui devien­dra une pro­fes­sion. Il lance aus­si Éclat, pre­mier fes­ti­val européen de théâtre de rue, à Auril­lac, en 1986, avec le sou­tien de la Direc­tion du théâtre et des spec­ta­cles du min­istère de la Cul­ture, sous la houlette de Robert Abirached, qui souhaite priv­ilégi­er la dimen­sion artis­tique sur l’animation.

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