Premier homicide, premier écocide

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Critique

Premier homicide, premier écocide

Il Primo Omicidio selon Romeo Castellucci

Le 8 Sep 2021
Il Primo Omicidio d’Alessandro Scarlatti, mise en scène de Romeo Castellucci, Opéra de Paris, 2018. Photo Bernd Uhlig.
Il Primo Omicidio d’Alessandro Scarlatti, mise en scène de Romeo Castellucci, Opéra de Paris, 2018. Photo Bernd Uhlig.

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Il Primo Omicidio d’Alessandro Scarlatti, mise en scène de Romeo Castellucci, Opéra de Paris, 2018. Photo Bernd Uhlig.
Il Primo Omicidio d’Alessandro Scarlatti, mise en scène de Romeo Castellucci, Opéra de Paris, 2018. Photo Bernd Uhlig.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 144-145 - Opéra et écologie(s)
144 – 145

Depuis Moses und Aron mon­té à l’Opéra de Paris (Bastille, 2015), Romeo Castel­luc­ci pour­suit son chemin dans les livres bibliques et l’histoire de la musique pour men­er une réflex­ion sur les orig­ines du mal et la han­tise de la mort qui tra­verse notre temps. Si l’œuvre dodé­ca­phonique de Schoen­berg représen­tait la divi­sion et l’éloignement de Dieu dans l’Exode, Il Pri­mo Omi­cidio (Opéra Gar­nier, 20181) met en voix le pre­mier meurtre de la Genèse, celui d’Abel par son frère Caïn. Le Requiem de Mozart mis en scène l’année suiv­ante au Fes­ti­val d’Aix-en-Provence sera plus explicite­ment sous le signe des extinc­tions – celles des grandes entités de la nature (espèces ani­males, mers, forêts, glac­i­ers…), comme celles des réal­ités humaines (cul­tures, langues, cités, formes d’art…) –, suiv­ant le rit­uel de la messe des morts, mais aus­si selon un « atlas des grandes extinc­tions » défi­lant à l’écran, dont la litanie se rap­prochant tou­jours du temps présent invite à s’abandonner au mou­ve­ment irré­press­ible des dis­pari­tions. Requiem peut se lire comme une généalo­gie des espèces à rebours, comme le réc­it sans cesse recom­posé des efface­ments et des éclipses, des renais­sances et des méta­mor­phoses, comme une danse sacrée, réap­prise par l’ensemble des inter­prètes, pour nous aider à cohab­iter. Cohab­iter avec la mort, à laque­lle nous appartenons, cohab­iter avec d’autres espèces, d’autres entremêle­ments de vie, d’autres embranche­ments pos­si­bles de nos rela­tions avec le vivant. Peu de spec­ta­cles se sont mis, comme ce Requiem, au dia­pa­son de la pen­sée écologique con­tem­po­raine, don­nant corps aux inquié­tudes écologiques immé­di­ates tout en por­tant la réflex­ion sur une autre échelle, qui nous dépasse com­plète­ment. 

Par con­traste, Il Pri­mo Omi­cidio peut appa­raître trib­u­taire d’une approche plus archaïque. Loin de l’évidence spec­tac­u­laire de Moses und Aron, avec son Veau d’or, si facile­ment asso­cia­ble à l’appétit de con­som­ma­tion de notre société (et incar­né sur scène par un tau­reau en chair et en os, dont la présence a défrayé la chronique), loin du puis­sant fleuve du temps dont Requiem a offert une vision tan­gi­ble et méta­physique, ce joy­au de l’oratorio baroque présente une entrée plus dis­crète dans la réflex­ion écologique – celle de la respon­s­abil­ité humaine. 

Reprenant la sépa­ra­tion en deux par­ties du livret de Pietro Otto­boni et de la par­ti­tion d’Alessandro Scar­lat­ti, Castel­luc­ci con­stru­it le spec­ta­cle en deux moments visuelle­ment et poé­tique­ment autonomes. Cen­trée sur le sac­ri­fice offert à Dieu par les fils d’Adam et Ève, la pre­mière par­tie présente une « suc­ces­sion de panora­mas2 », où lumières et couleurs s’étalent plus ou moins vives, tan­tôt chaudes, tan­tôt froides, sur la sur­face de grands cyclo­ramas, for­mant un espace abstrait où les per­son­nages pro­gressent en enchaî­nant les pos­es styl­isées. L’humanité d’après la Chute est présen­tée sous les traits d’une famille chré­ti­enne tra­di­tion­nelle, pio­nniers de l’Ouest, fer­miers du Mid­west ou colons d’Algérie cul­ti­vant des ter­res inhos­pi­tal­ières, y souf­frant et appor­tant la souf­france, dévelop­pant dans la dom­i­na­tion et l’épreuve une foi et une morale intran­sigeantes. Pour apais­er le cour­roux du Créa­teur, le pâtre et le cul­ti­va­teur souhait­ent lui présen­ter un sac­ri­fice et appor­tent sur scène deux machines à fumée en lieu et place du plus inno­cent de ses agneaux pour Abel et des pre­miers fruits de son labour pour Caïn. Attiré par l’odeur du sang, le Seigneur dépose sa veste sur le bûch­er de l’agriculteur et, nim­bé de lumière der­rière un tulle, man­i­feste sa préférence pour le sac­ri­fice ani­mal. Lucifer vient alors exciter la jalousie de Caïn, acca­blé par l’injustice, la colère et un désir incon­nu de vengeance.

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Isabelle Moindrot
Isabelle Moindrot est Professeure d'Études théâtrales à l'Université Paris 8, membre senior de l'Institut universitaire...Plus d'info
Marius Muller
Marius Muller prépare un doctorat sur les déconstructions et réinventions de l’opéra sur les scènes...Plus d'info
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