Dans la nuit fabuleuse : Pinocchio et Cendrillon de Joël Pommerat

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Portrait

Dans la nuit fabuleuse : Pinocchio et Cendrillon de Joël Pommerat

Le 21 Mai 2025
Cendrillon, Joël Pommerat, Cie Louis Brouillard, 2011 @ Cici Olsson
Cendrillon, Joël Pommerat, Cie Louis Brouillard, 2011 @ Cici Olsson

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Cendrillon, Joël Pommerat, Cie Louis Brouillard, 2011 @ Cici Olsson
Article publié pour le numéro

Com­ment prévenir les enfants que la vie dans laque­lle ils et elles s’apprêtent à plonger est pleine de pénom­bres et de délires ; que sa splen­deur, ses puis­sances enivrantes sont dou­blées à chaque détour de perte, de con­fu­sion et de dan­ger ? C’est la ques­tion que Joël Pom­mer­at sem­ble pos­er dans ses adap­ta­tions de deux con­tes fon­da­teurs de l’imaginaire occi­den­tal mod­erne : Pinoc­chio (créé en mars 2008 à l’Odéon, à Paris) et Cen­drillon (créée en octo­bre 2011 au Théâtre nation­al, à Brux­elles).

Si le met­teur en scène est bien loin de pra­ti­quer un théâtre dont on pour­rait extraire des mes­sages sim­ples, les con­tes, par essence, relèvent de réc­its moraux – sou­vent des mis­es en garde – à tra­vers lesquels les cul­tures se racon­tent, à elles-mêmes comme à leurs enfants : elles y expri­ment ce qu’elles sont, les valeurs qui les fondent, et la manière dont elles se met­tent en lien avec la sagesse accu­mulée du passée1.

La trame nar­ra­tive des deux con­tes de Pom­mer­at ne s’éloigne pas fon­da­men­tale­ment de leurs formes les plus con­nues (à l’exclusion des films ani­més de Walt Dis­ney) : Les Aven­tures de Pinoc­chio, réc­it d’un pan­tin, écrit par Clau­dio Col­lo­di (1883), et le con­te Cen­drillon, écrit à par­tir d’une retran­scrip­tion orale par Charles Per­rault (1697), puis les frères Grimm (1812). 

Dans le réc­it de Col­lo­di, Pinoc­chio, un per­son­nage à mi-chemin entre la vie et l’artifice, est une créa­ture déroutante, exas­pérante de caprice et d’arrogance. Mais bien qu’il soit désobéis­sant, menteur et égoïste, il se con­fronte aux épreuves (sa méta­mor­phose en âne et son pas­sage dans le ven­tre du mon­stre marin) avec courage et, peu à peu, Pinoc­chio se trans­forme en un vrai petit garçon. L’adaptation de Pom­mer­at prend des lib­ertés impor­tantes par rap­port à la ver­sion orig­i­nale. Par exem­ple, dans le con­te de Col­lo­di, Pinoc­chio devient humain parce qu’il s’est réfor­mé en pro­fondeur par le tra­vail et l’abnégation. Chez Pom­mer­at, cette muta­tion est plus intérieure. Elle est liée à une prise de con­science sur la respon­s­abil­ité (il com­mence à chang­er lorsqu’il se rend compte qu’il a blessé son père) et le lan­gage (il apprend à dire la vérité). De plus, Pinoc­chio réalise que cer­tains de ses défauts ont du génie, puisque c’est grâce à sa bavardise que lui et Gepet­to seront recrachés par un mon­stre marin qui n’en peut plus d’entendre les his­toires inter­minables du garçon de bois. Ce n’est pas tant la sup­posée mau­vaise nature (fan­tasque et paresseuse) de Pinoc­chio qui est remise en cause, que le monde des adultes, sou­vent bru­tal et indi­vid­u­al­iste, bien pire dans ses tra­vers que la cru­elle dés­in­vol­ture du jeune Pinoc­chio.

De même, Pom­mer­at garde la struc­ture et les élé­ments de base de Cen­drillon : la jeune fille mal­traitée par sa belle-famille ; le bal et la ren­con­tre avec le prince ; la chausse per­due et sa recherche ; la recon­nais­sance et l’amour tri­om­phant. Les per­son­nages clés sont mod­ernisés : la belle-mère et ses filles sont des Brux­el­lois­es super­fi­cielles vivant dans une mai­son de verre con­tre laque­lle les oiseaux ne cessent de s’écraser ; Cen­drillon ne sera nom­mée qu’une seule fois par ce prénom, et ce par le prince, car le reste du temps elle est appelée « San­dra », « Cen­dri­er » ou « la très jeune fille ». À l’instar de Pinoc­chio, sa trans­for­ma­tion est intérieure : San­dra ne devient pas une « princesse », mais une jeune fille qui fait l’expérience d’un amour réciproque et se libère d’une cul­pa­bil­ité écras­ante liée à la mort de sa mère. Cette méta­mor­phose n’est pas mag­ique : il n’y a ni baguette ni pan­tou­fle de verre, et d’ailleurs la fée est de mau­vaise humeur. San­dra n’est pas non plus sauvée par le prince ; il s’agit plutôt d’une ren­con­tre entre deux êtres blessés par la perte de leur mère respec­tive. San­dra renaît intérieure­ment, prenant con­science de qui elle est, de son désir et de la présence per­sis­tante, pos­i­tive, de sa mère dans sa vie. 

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Caroline Godart est dramaturge, autrice et enseignante. Elle accompagne des artistes de la scène tout...Plus d'info
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