Le collectif et le leader : regard rétrospectif et renouveau actuel

Théâtre
Réflexion

Le collectif et le leader : regard rétrospectif et renouveau actuel

Le 24 Nov 2019
Hélène Cinque et Seear Kohi dans Une chambre en Inde. Création collective du Théâtre du Soleil, dirigée par Ariane Mnouchkine, 2018. Photo Michèle Laurent.

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Hélène Cinque et Seear Kohi dans Une chambre en Inde. Création collective du Théâtre du Soleil, dirigée par Ariane Mnouchkine, 2018. Photo Michèle Laurent.
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Tout acte théâ­tral se con­fronte à la ques­tion de l’Un et du Mul­ti­ple, tout acte théâ­tral appelle à l’exercice, empirique ou pro­gram­ma­tique, de la réflex­ion sur ce rap­port qui lui sert d’assise. Il implique la décli­nai­son de répons­es dis­tinctes car il n’y en a pas une seule, défini­tive et con­stante. Trois déter­mi­na­tions de nature spé­ci­fique inter­vi­en­nent cyclique­ment : elles sont de nature esthé­tique, poli­tique et his­torique. Et leur inter­ven­tion, avec des focal­i­sa­tions changeantes, affecte la pra­tique théâ­trale, pra­tique dif­férente de celle pro­pre aux arts fondés sur le geste soli­taire d’un créa­teur ! Le théâtre se fait à plusieurs et l’incidence de ce préal­able inter­vient autrement, mais inter­vient tou­jours : impos­si­ble d’y échap­per ! Il est per­ti­nent de suiv­re les vari­a­tions que l’on repère dans le temps afin de restituer en accéléré les don­nées de ce champ de ten­sions que fut celui du théâtre depuis l’avènement de la mise en scène. Cela a engen­dré un vrai enchevêtrement des hypothès­es, mais cela n’empêche pas de remar­quer des pri­or­ités sig­ni­fica­tives. Le regard rétro­spec­tif pro­posé ici vise à dégager les lignes de force aus­si bien que l’impact des déter­mi­na­tions, de l’intérieur ou de l’extérieur du théâtre, qui ont affec­té le proces­sus enclenché au croise­ment des deux derniers siè­cles, le xixe et le xxe. Il s’agit de dégager, pour repren­dre les ter­mes d’Alain Badiou, « l’aspect prin­ci­pal » et « l’aspect sec­ondaire » de cette con­tra­dic­tion du Un et du Mul­ti­ple qui définit le théâtre. Il y a une suc­ces­sion de pri­or­ités sans cesse en mou­ve­ment. 

Change­ment de lead­er­ship et appétit com­mu­nau­taire
Par sa nature d’art de groupe le théâtre implique la présence d’un leader qui fut long-temps le chef de troupe, il capo comi­co. Il gérait le tra­vail et le fonc­tion­nement de l’équipe d’acteurs en veil­lant surtout à la qual­ité du jeu basé, c’est le pro­pre de l’Occident, sur une tra­di­tion incer­taine, dif­férente de l’autre, stricte­ment cod­i­fiée, de l’Orient. Il agit en gar­di­en de l’Ancien, peu soucieux du Nou­veau qui, au fur et à mesure, va s’imposer comme aspi­ra­tion de la scène à la fin du xixe siè­cle. La nou­velle fig­ure du met­teur en scène va s’instaurer pour répon­dre à cet appel de trans­for­ma­tion. Il détrône l’ancien leader « acteur » pour s’imposer comme leader chargé du renou­veau. Il est, pour para­phras­er une réplique de Tchékhov, « le nou­veau maître ». Cela va entraîn­er soit des visions total­i­taires dévelop­pées par Gor­don Craig au nom du créa­teur unique chargé de tous les pou­voirs, soit des pra­tiques plus démoc­ra­tiques adop­tées par Stanislavs­ki qui, avec Némirovitch Dantchenko, va fonder une équipe, le Théâtre d’art, où, dans son stu­dio, il va se con­sacr­er à la for­ma­tion des jeunes comé­di­ens. Par-delà ces dif­férences, le pacte pour assur­er l’avènement du théâ­tral est scel­lé et il con­sacre le met­teur en scène comme leader. À tra­vers le temps, chaque met­teur en scène exercera ses fonc­tions de manière plus ou moins sévère selon son iden­tité car Copeau ou Jou­vet se dis­tinguent de Rein­hardt et Pis­ca­tor et davan­tage encore de Mey­er­hold ! Il y a la fonc­tion com­mune et les vari­a­tions indi­vidu­elles. Mais sur­git, par ailleurs, la volon­té de con­stituer des com­mu­nautés autonomes, des îlots qui se dérobent à « la ter­ri­ble machine à fab­ri­quer des spec­ta­cles » dont par­lait Copeau qui, lui, juste­ment, se lance en Bour­gogne dans un tra­vail col­lec­tif avec des acteurs, pro­fes­sion­nels et ama­teurs, réu­nis sous le voca­ble affectueux de Copi­aus. D’autres exem­ples peu­vent être évo­qués : Marie-Chris­tine Autant-Math­ieu les réu­nit et les com­mente dans un livre qui leur est con­sacré1. On peut avancer l’hypothèse que leur émer­gence s’explique par la réac­tion polémique à l’égard du « nou­veau maître ». Le théâtre de l’entre-deux guer­res con­stru­it une antin­o­mie explicite des deux ter­mes dis­so­ciés qui s’affrontent ! 

La famille et l’ensemble 
Les signes d’une pre­mière entente en dépit de ce qui s’était affiché aupar­a­vant comme une con­fronta­tion irré­ductible – le met­teur en scène et la com­mu­nauté – inter­vi­en­nent dans les années d’après guerre. Les fig­ures exem­plaires de l’époque dévelop­pent alors le vœu d’une aven­ture com­mune, partagée entre le met­teur en scène et ses parte­naires. Ain­si Jean Vilar, tout en s’assumant en tant que leader, réu­nit autour de lui les acteurs de la nou­velle généra­tion et fonde son tra­vail sur ce que l’on peut assim­i­l­er à une « famille » avec ses liens durables, de par­en­té et de fidél­ité. « La famille » ras­sure et per­met au met­teur en scène d’envisager son tra­vail à long terme sur la base d’un équili­bre prop­ice au tra­vail entre la sin­gu­lar­ité de son approche et la con­fi­ance accordée aux parte­naires autour. Cette rela­tion est pater­nal­iste ! Elle implique aus­si bien entente que risques de révolte… Peu importe, ce qui était dis­so­cié aupar­a­vant s’essaie et parvient à établir désor­mais une alliance. Si Vilar, pour pré­cis­er son pro­jet, utilise la dénom­i­na­tion « Théâtre Nation­al Pop­u­laire », Brecht, lui, va plac­er l’accent sur la con­sti­tu­tion d’un « ensem­ble » comme socle de son tra­vail dans l’Allemagne regag­née après l’épreuve de l’exil. « Berlin­er Ensem­ble » – une com­mu­nauté d’artistes réu­nis dans une ville qui panse ses plaies et leur sert de foy­er pour se livr­er à l’invention d’un théâtre autre, dif­férent, nou­veau. Le terme « ensem­ble » implique la volon­té de se réu­nir et de se con­sacr­er à une « œuvre com­mune ».

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Georges Banu
Écrivain, essayiste et universitaire, Georges Banu a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre, dont...Plus d'info
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