Enfance et enjeu climatique dans le théâtre pour la jeunesse

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Critique
Réflexion

Enfance et enjeu climatique dans le théâtre pour la jeunesse

Le 14 Mai 2025
Le Petit Violon, Jean-Claude Grumberg @ Actes Sud-Papiers, Collection « Heyoka Jeunesse »
Le Petit Violon, Jean-Claude Grumberg @ Actes Sud-Papiers, Collection « Heyoka Jeunesse »

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Le Petit Violon, Jean-Claude Grumberg @ Actes Sud-Papiers, Collection « Heyoka Jeunesse »
Le Petit Violon, Jean-Claude Grumberg @ Actes Sud-Papiers, Collection « Heyoka Jeunesse »
Article publié pour le numéro

Le théâtre pour la jeunesse s’est dévelop­pé dans l’espace fran­coph­o­ne depuis les années 1990. Il pro­pose des pro­duc­tions sou­vent engagées, dénonçant des prob­lé­ma­tiques sociopoli­tiques dans le des­sein de sen­si­bilis­er et de con­sci­en­tis­er son jeune des­ti­nataire sur l’état du monde con­tem­po­rain. Depuis une dizaine d’années, de récentes thé­ma­tiques engagées au sein de ce réper­toire trait­ent de l’écologie et plus exacte­ment du désor­dre cli­ma­tique. Tout en pro­posant un dis­cours sur un prob­lème social et socié­tal d’envergure, ces textes per­me­t­tent d’interroger la con­struc­tion iden­ti­taire du per­son­nage et par exten­sion du jeune des­ti­nataire. Ain­si, lorsque le dérè­gle­ment cli­ma­tique est abor­dé, il est sou­vent asso­cié au boule­verse­ment indi­vidu­el. Dans les quelques pièces de théâtre que nous nous pro­posons d’aborder ici, il s’agit en out­re d’appréhender en quoi les cat­a­stro­phes naturelles rap­portées peu­vent métapho­ris­er l’état intérieur de per­son­nages qui con­nais­sent eux-mêmes des boule­verse­ments dans leur développe­ment per­son­nel et doivent sur­mon­ter des chocs liés à l’existence. 

À titre d’exemples, le texte Fies­ta de Gwen­do­line Sou­blin (Espaces 34, 2021), sur fond d’actualité lors de sa pub­li­ca­tion, est en lien avec le con­fine­ment asso­cié à la crise san­i­taire du Covid. Il racon­te com­ment des enfants parvi­en­nent à déjouer la soli­tude provo­quée par l’isolement et à s’unir pour célébr­er la vie et le col­lec­tif. Ils résis­tent ain­si à la ten­ta­tion de céder à la peur et à l’individualisme, et ce, mal­gré une tem­pête dévas­ta­trice qui retient cha­cun pris­on­nier. L’écriture asso­cie réc­it choral – au passé et au présent – et dia­logues. Elle invite à la mise en voix pour iden­ti­fi­er l’énonciation et lever les dif­fi­cultés de com­préhen­sion liées à la poly­phonie infor­ma­tion­nelle, tout en ren­dant sen­si­ble l’imbrication du col­lec­tif et de l’individuel. Tan­dis que la tem­pête « Marie-Thérèse » sévit et con­traint la pop­u­la­tion à s’isoler sur injonc­tion gou­verne­men­tale, les enfants d’un même immeu­ble s’organisent pour résis­ter au cli­mat anx­iogène généré par la cat­a­stro­phe. Pour eux, la résis­tance se matéri­alise dans la com­mu­ni­ca­tion archaïque qu’ils entre­ti­en­nent, tant bien que mal, par envoi de mes­sages, des « boulettes de papi­er » jetées au gré du vent par les fenêtres de leur habi­tat. Par la suite,  ils se déci­dent à braver l’ultime inter­dit pour se retrou­ver physique­ment dans une cave, motivés par le fait de célébr­er l’anniversaire de leur ami Nono. C’est une exal­ta­tion du vivre, ain­si exhibée par ces enfants ter­rés dans cette cave qui hurlent les choses joyeuses de l’existence. À la fin de la pièce, au moyen d’une pro­lepse, le des­ti­nataire1 décou­vre les per­son­nages d’enfants devenus adultes qui revi­en­nent sur cette expéri­ence de con­fine­ment, et il apprend par là même que Nono avait une mal­adie qui lui « rongeait le cerveau ». Décédé à l’âge de 11 ans, son dernier anniver­saire dans cette cave aura été le plus réus­si et le plus joyeux. Nono avait « une tem­pête dans la tête », un chaos intérieur, matéri­al­isé dans la fic­tion par la tem­pête Marie-Thérèse, qui, invi­tant au courage, fai­sait des pieds de nez à la mal­adie. Le dis­cours sur la mal­adie infan­tile qui s’insinue dans un sec­ond temps pro­pose de con­tin­uer à célébr­er la vie en dépit de la cat­a­stro­phe – néces­saire­ment poly­sémique dans le texte. En se rassem­blant, en s’unissant, c’est dans le col­lec­tif que l’individu sem­ble pou­voir trou­ver la force de sur­mon­ter les prob­lé­ma­tiques liées à l’intime, quand bien même l’issue est inex­orable.  

Mamie Ouate en Papoâsie, Joël Jouanneau@ Actes Sud-Papiers, Collection « Heyoka Jeunesse »
Mamie Ouate en Papoâsie, Joël Jouanneau@ Actes Sud-Papiers, Col­lec­tion « Heyoka Jeunesse »

Dans Les Pieu­vres (L’École des loisirs, 2021), Sophie Mer­ceron présente le quo­ti­di­en d’enfants évolu­ant en cen­tre spé­cial­isé du fait de leurs névros­es obses­sion­nelles, pho­bies et chocs post-trau­ma­tiques. À cette pre­mière intrigue, rel­a­tive aux angoiss­es juvéniles, se greffe une sec­onde intrigue, con­cer­nant le désor­dre cli­ma­tique. La con­struc­tion par­ti­c­ulière de la dra­maturgie pro­pose un découpage en deux par­ties qui invi­tent à ques­tion­ner les liens entre réal­ité et imag­i­naire, inter­ro­geant le rap­port à la théâ­tral­ité. Dans cette pièce, trois ado­les­cents se trou­vent con­fron­tés à l’imminence d’un cyclone et à l’impératif de devoir sur­vivre. Révélant un envi­ron­nement hos­tile et bru­tal, la nature s’incruste dans le quo­ti­di­en des per­son­nages d’adolescents qui menaient une vie proche de l’ordinaire dans leur IME (insti­tut médi­co-édu­catif), et prend le pou­voir à l’image de leurs pro­pres angoiss­es intérieures. Pour ces per­son­nages, il s’agit alors de résis­ter et d’apprendre à dépass­er les heurts et cat­a­clysmes de l’existence. En out­re, ils con­nais­sent une éman­ci­pa­tion au moyen d’un ensauvage­ment : ils se met­tent à rugir tels des ani­maux et enga­gent un retour aux sources en com­mu­ni­ant par­faite­ment avec la nature, et par­venant à la dompter. Mais c’est grâce à leur com­mu­ni­ca­tion sur leurs trou­bles respec­tifs et la mise en mots de leurs sit­u­a­tions douloureuses que les per­son­nages parvi­en­nent à avancer. Tel un réc­it ini­ti­a­tique, Les Pieu­vres met en per­spec­tive la libéra­tion et l’émancipation par le lan­gage, lequel agit tel un exu­toire : lorsqu’il s’agit de s’ouvrir, à soi et aux autres, il devient pos­si­ble d’affronter et de dépass­er, voire de domes­ti­quer, ses pro­pres peurs et angoiss­es. Cette éman­ci­pa­tion juvénile donne ain­si forme et nais­sance à une com­mu­nauté.

Enfin, la pièce de théâtre Hors zone (Espaces 34, 2021) de Christophe Tostain abor­de quant à elle l’enfance en déshérence en présen­tant une fratrie de trois enfants et ado­les­cents, livrés à eux-mêmes, devant trou­ver un chemin pour s’en sor­tir. Dans un paysage dévasté et cat­a­clysmique, l’errance se révèle for­ma­trice et ini­ti­a­tique là encore. Dans cette pièce de théâtre, comme dans notre réal­ité actuelle, les cat­a­stro­phes cli­ma­tiques que sont les trem­ble­ments de terre, les tsunamis et effon­drements de mon­tagnes, sont autant d’épreuves et de dif­fi­cultés à out­repass­er pour con­tin­uer à avancer dans un paysage de déso­la­tion. Compte tenu de l’hostilité de l’environnement, l’errance et les péré­gri­na­tions enfan­tines devi­en­nent le moyen de se remé­mor­er le passé pour les per­son­nages : « les bonnes choses, le sourire de maman, les yeux de papa, le sable dans le jardin ». Les per­son­nages sont dans un vide tran­si­toire, un entre-deux à la fois évo­quant un « avant », le passé, et souhai­tant un « après », l’avenir, avec la con­vic­tion partagée que le change­ment qu’ils expéri­mentent – matéri­al­isé par le boule­verse­ment envi­ron­nemen­tal dans la fic­tion – n’est que tran­si­toire. C’est la force de croire et de rêver mal­gré la dureté de la sit­u­a­tion qui per­met aux per­son­nages de s’en sor­tir. Pour cela, ils imag­i­nent une réal­ité autre et acces­si­ble, con­trant de la sorte le désen­chante­ment du monde. 

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Laurianne Perzo
Laurianne Perzo est Maîtresse de Conférences en éducation artistique et culturelle à l’Université Lumière Lyon...Plus d'info
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