Qu’est-ce que vous faites ensemble ?
Tout ce qui est impossible, intéressant ou que nous ne pouvons faire que parce que nous sommes ensemble.
Comment vous êtes-vous trouvés ?
Parce qu’on se cherchait.
Que refusez-vous ?
Qu’affirmez-vous ?
Dans une société qui pose l’héroïsme, l’originalité, la créativité comme un destin individuel, qui refuse de concevoir qu’une idée, une pensée, une parole naît du monde dans lequel nous baignons, et que c’est ce bain, et pas l’individu, qui la rend légitime, nous refusons de nous plier à cette norme sans nous débattre. Nous pourrions affirmer que nous avons échoué, mais la réussite, la compétition, sont des mots et des valeurs qui n’existent qu’en opposition au bien commun. Mais nous pouvons affirmer qu’en 30 ans rien n’a vraiment changé, simplement le collectif n’est plus attaqué de front par le néolibéralisme, il est instrumentalisé et corrompu par lui. Aujourd’hui on peut se déclarer collectif sans mettre en cause l’autorité individuelle, et c’est pour nous une perversion. Jacob Wren l’a bien expliqué : « Je ne trouve rien, mais vraiment rien de facile dans la collaboration, mais j’y crois toujours. C’est un truc politique très simple : si les gens n’arrivent pas à travailler ensemble, alors we’re really fucked, so there has to be a way. Mais je reste surpris qu’après trente ans à me consacrer au travail artistique collaboratif, je n’en sais toujours pas plus. Je ne sais vraiment pas comment faire, comment y arriver, c’est assez fantastique. C’est pour la question politique que j’insiste : ce n’est pas facile, presque impossible, mais il faut – il n’y a pas d’autres choix –, il faut essayer, réessayer, tenter de trouver une manière, des manières. »
Quels sont vos objectifs ?
Faire des propositions spectaculaires qui n’existent que parce que les spectateurs y reconnaissent le reflet – sans aucun lustre – de l’idiotie du réel, de nos limites, et de la complexité du monde. Des spectacles irréductibles à la forme du produit, du pitch, du propos, de la vérité, de la morale ou du point de vue.
Comment travaillez-vous ?
Pour en avoir fait l’expérience de nombreuses fois, partager l’expérience du travail collectif n’est partageable qu’avec ceux qui en ont la pratique. C’est le cas de beaucoup d’expériences sensibles. Mais le langage ne permet pas de faire comprendre réellement cette expérience, surtout quand ce langage est, comme l’histoire, écrit par les gagnants, les individualistes, les monothéistes.
Comment se prend une décision ?
Dans un collectif non-autoritaire, une décision n’est pas une place forte, elle ne se « prend » pas. Votre question utilise un vocabulaire individualiste et guerrier. Elle ne se pose pas en ces termes pour nous. Heureusement que Victor Klemperer a tenu un journal.
Quelle est la vie organique
du groupe ? Qui entre, qui sort ?
(comment se vit la fidélité)
Qui veut. Comme il veut.
Quelle est la durée de vie
de cette association ?
Un collectif ne meurt pas, parce qu’il se vit, mais ne vit pas, il ne fait que passer. Nous avons décidé qu’après plus de 30 ans de travail, le 31 décembre 2022, serait un beau jour pour finir d’exister.
Quelle appellation/signature ?
Collectif, bande, groupe, troupe, ensemble…
L’appellation ne nous définit pas, elle sert d’identification pour les modes de pensée dominants. Comme étranger, citoyen… ou travailleur. Être un collectif n’est pas assumer une fonction dans la société. C’est essayer de créer une poche d’air ou de résistance, selon les jours.
Quelles sont vos influences
(théâtrales et non théâtrales ?)
Maatschappij Discordia, Mass Moving, le Groupe Mu, Nicolas Bourbaki, les Provo…
Constatez-vous un retour du leader ?
Nous ne savions pas qu’il était parti. On pense même qu’ils sont plusieurs. La difficulté est de les faire s’entretuer.
Y a‑t-il une dimension politique
à votre démarche collective,
un projet politique à affirmer
et défendre ?
Oui.
Y a‑t-il une menace à travailler ensemble ?
S’il n’y en avait aucune vous ne poseriez pas cette question. Mais en quoi vous menace-t-on ? Parce qu’à l’évidence si vous tenez à nous soumettre à la question, c’est que c’est vous qui vous sentez menacé. Et nous sommes menacés parce que vous vous sentez menacé… et que vous avez le pouvoir.
*Jacob Wren