Fragments d’un discours sur le théâtre japonais

Fragments d’un discours sur le théâtre japonais

Le 20 Avr 1985

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Le butô et ses fantômes-Couverture du Numéro 22-23 d'Alternatives ThéâtralesLe butô et ses fantômes-Couverture du Numéro 22-23 d'Alternatives Théâtrales
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Il y a, certes, une facil­ité dans le refus de pro­pos­er une per­spec­tive, d’or­gan­is­er un ensem­ble —mais il y a, aus­si, une volon­té de respecter, à la japon­aise, le détail. Le détail cadré, celui qu’on détache afin de l’ap­procher avec soin et minu­tie. Là où l’on minia­turise pour mieux con­cen­tr­er le réel, on préfère le regard de prés. Cette focal­i­sa­tion entraine l’ou­bli de l’é­ten­due envi­ron­nante, du spec­ta­cle comme de la ville, et elle per­met de voir le petit, le petit comme mod­èle réduit. Lorsqu’on dit que les Japon­ais sont sen­si­bles à la beauté et insen­si­bles à la laideur, on recon­naît à quel point ils peu­vent isol­er la beauté dégagée de tout par­a­sitage lim­itro­phe. Rien d’autre ne dis­perse l’at­ten­tion. L’Oc­ci­den­tal, qui a plutôt le sens de la per­spec­tive d’ensem­ble, a besoin de l’éloigne­ment dans l’e­space et dans le temps pour réalis­er une pareille délim­i­ta­tion. C’est pourquoi il fait de la cohérence d’une ville la valeur suprême, tan­dis que le Japon­ais la traite avec indif­férence. L’écrit européen con­sacré au Japon a occulte sou­vent ce qu’un Occi­den­tal déteste au Japon. Ily a là un délit d’omis­sion : le Japon de Barthes ne coïn­cide pas avec celui qu’on ren­con­tre. Mais, une fois de retour, on se demande si la « fic­tion sym­bol­ique » qu’il a bâtie n’est pas plus opérante que le dis­cours, scep­tique et méfi­ant, de la vérité. 

Si, un jour, il me sem­ble pos­si­ble d’écrire sur la récep­tion du spec­ta­cle et sur tout ce qu’il déclenche comme con­som­ma­tion autour de lui, face au spec­ta­cle lui-même, je me sens inapte à artic­uler un dis­cours… Il ne me reste alors que la solu­tion de l’écrit frag­men­taire ressen­ti comme un manque. Mais qui, tout de même, veut préserv­er la trace de cer­taines séquences du théâtre japon­ais. Les séquences de l’ex­cès. Du regard éveil­lé. 

Tamasaburo Bando ( «Onnagata», photo de Shunji Ohkura, 1983)
Tamasaburo Ban­do ( « Onna­ga­ta », pho­to de Shun­ji Ohku­ra, 1983)

La Joconde du kabu­ki

« Qu’as-tu aimé le plus ? » ai-je demandé à un ami qui venait de vis­iter le Lou­vre pour la pre­mière fois. « La Joconde » avoua-t-il sans com­plex­es. De retour du Japon, à la même ques­tion je répondrais comme lui : « Tamasaburô, la Joconde du kabu­ki. »

Chez les onna­ga­ta habituels — ces acteurs qui jouent des femmes — la présence du corps mas­culin ne s’ef­face pas inté­grale­ment, elle coex­iste avec les signes de la féminité. Chez Tamasaburd, par con­tre, cette coex­is­tence du mas­culin et du féminin cesse d’être sai­siss­able pour ne plus per­sis­ter que men­tale­ment. Et l’am­biguïté, comme devant la Joconde, règne. Elle nous entraine dans le ver­tige de l’il­lu­sion que seule là pen­sée vient apais­er. Si les autres onna­ga­ta citent la femme avec tout ce que cela sup­pose comme dis­tance par rap­port à la réal­ité, Tamasaburô, lui, l’in­car­ne dans son essence même. Le corps s’in­ter­dit toute sta­bil­ité et Tamasabur alterne des pas pré­cip­ités avec des stop-cadres dans un déséquili­bre à la lim­ite de la chute. Il se penche, se courbe, se décale, bref grâce à la sou­p­lesse de sa colonne vertébrale, il rend pas­sagère toute ver­ti­cal­ité. Ain­si, par ces vibra­tions, la femme appa­rait comme un être per­pétuelle­ment en proie à la cas­sure, à la destruc­tion. C’est la vision de la femme japon­aise que le corps de l’on­na­ga­ta de génie parvient à matéri­alis­er.

Tamasaburo Bando ( «Onnagata», photo de Shunji Ohkura, 1983)
Tamasaburo Ban­do ( « Onna­ga­ta », pho­to de Shun­ji Ohku­ra, 1983)

Lorsque j’ai vu Tamasaburô pour la sec­onde fois, j’é­tais loin, dans une loge qui sur­plom­bait légère­ment la salle et à son appari­tion sur le hanamichi, le pont aux fleurs qui tra­verse le pub­lic, je n’aperce­vais pas ses pieds. Il me sem­blait qu’il flot­tait au-dessus de la tête des spec­ta­teurs, pareil à une poupée de bun­raku qui ne touche pas la terre, comme dis­ait Claudel. Ain­si, Tamasaburô rap­pelait les orig­ines du kabu­ki issu du bun­raku. Chez lui, la femme revê­tait l’aspect d’une mar­i­on­nette manip­ulée par un pou­voir invis­i­ble.

Tamasaburô éblouit, mais out­re la maitrise du lan­gage, cela ne vient-il pas aus­si de la qual­ité de son corps léger, frêle, nerveux ? Est-ce qu’en Occi­den­tal je ne suis pas fasciné par le con­trôle des signes autant que par l’as­sim­i­la­tion « réal­iste » au corps de la femme. Cer­taine­ment, car on n’ar­rive pas à se libér­er de l’héritage de la mimé­sis même si ici elle est vio­lem­ment attaquée par la con­ven­tion. Je me suis sou­venu au Japon des pho­tos de Mei Lan-fang, le grand acteur chi­nois qui éton­na Brecht à Moscou en 1935. Il était beau, mince, élé­gant comme Tamasaburô main­tenant. Brecht n’a-t-il pas été sen­si­ble à toutes les tech­niques de dis­tan­ci­a­tion en rai­son aus­si du corps de l’ac­teur qui incar­nait des femmes ? Aurait-il réa­gi pareille­ment face au corps d’un vieil acteur épais, mas­sif, aurait-il subi la révéla­tion d’un lan­gage con­ven­tion­nel sans la beauté réal­iste d’une sil­hou­ette ? La ques­tion me revient à l’e­sprit quand je vois Le héron, nô de Zea­mi, où un ado­les­cent à la taille gracile danse le vol de l’oiseau. L’ac­teur lourd, au cou ridé qui joue une femme provoque par la beauté de la danse l’é­mo­tion du théâtre, tan­dis que l’ac­teur jeune qui atteint la per­fec­tion (est-ce un leurre d’Oc­ci­den­tal ?) ajoute, lui, l’é­mo­tion du per­son­nage. Pour moi, je le recon­nais, le plaisir théâ­tral s’ac­croit dès qu’à l’art du jeu s’a­joute la con­cor­dance entre la nature d’une fic­tion et la vérité d’un corps. Dans cette appré­ci­a­tion per­siste, certes, le sou­venir loin­tain de la mimé­sis.

Une mimé­sis sur fond de con­ven­tion. Dans le kabu­ki, on pra­tique par­fois, avec un art extrême, la jonc­tion qui peut nous sem­bler bâtarde — sou­venir des orig­ines où kabu­ki et bun­raku étaient encore proches — du dra­ma­tique et de l’épique, d’un je et d’un il. À la fin d’Asaga­ka Nik­ki, Tamasaburô joue du shamisen et chante le dés­espoir d’amour d’une jeune amante aveu­gle, tan­dis qu’à côté un réc­i­tant crie pathé­tique­ment la même souf­france. Leurs voix s’en­tre­croisent, se répon­dent, s’embrassent :la voix du dedans et la voix du dehors, le per­son­nage et le con­teur, le sub­jec­tif et l’ob­jec­tif. Mais à cela s’a­joute de sur­croît la con­fu­sion de l’on­na­ga­ta où l’homme joue une femme. Le per­son­nage ain­si mon­tré n’a pas la con­sis­tance illu­sion­niste du per­son­nage occi­den­tal : il est d’emblée sous le signe du doute, doute qui chez Tamasaburô rend l’il­lu­sion lyrique. L’homme chante la détresse d’une femme et un autre homme lui répond en s’ac­com­pa­g­nant au shamisen. Illu­sion et dis­tance ne font qu’un et de leur simul­tanéité jail­lit un mir­a­cle de théâ­tral­ité : le mir­a­cle de l’é­mo­tion imitée comme si elle était vécue — l’être donne quelque chose de lui-même dans toute imi­ta­tion accom­plie avec justesse — et de la parole qui la racon­te avec émo­tion. Emo­tion dra­ma­tique et émo­tion épique sur fond de con­ven­tion théâ­trale.

Le plaisir naïf

Enno­suke, l’autre grand du kabu­ki, restau­re depuis un cer­tain temps la tra­di­tion machinique du kabu­ki car, à l’o­rig­ine, ce fut un art de la sur­prise, de la per­plex­ité devant les exploits d’une scène haute­ment tech­nol­o­gisée. Pour renouer avec ces sources, Enno­suke revient à des auteurs peu joués aupar­a­vant tel Nam­boku. (De même qu’en France pour rétablir le lien avec la tra­di­tion « archaïque » du XVI­Is, Antoine Vitez redé­cou­vre Gar­nier et J.M. Vil­legi­er Tris­tan l’Her­mite). Désor­mais, toute une tra­di­tion du kabu­ki ressus­cite et d’autres comé­di­ens emprun­tent la voie d’En­no­suke car le pub­lic se mon­tre friand de machines : appari­tions, vols extrav­a­gants au-dessus de la salle, brisures de rochers qui lais­sent jail­lir les esprits, tra­ver­sées de fan­tômes accom­pa­g­nées de feux d’ar­ti­fice, toits qu’on arrache, maisons qui se fend­ent.… mais chaque fois (à l’ex­cep­tion d’une seule util­i­sa­tion excep­tion­nelle du laser) la réal­i­sa­tion tech­nique reste rudi­men­taire. Bien que les effets sem­blent appar­en­tés à ceux de la sci­ence-fic­tion, il n’en est rien car on les réalise à l’aide de l’équipement vétuste du théâtre. L’é­ton­nement alors ne peut ètre que ludique. Effet d’un plaisir naïf qui recon­nait les dessous d’une tech­nolo­gie arti­sanale, mais aime à s’a­ban­don­ner à la sur­prise enfan­tine. Les cris du pub­lic mélés de rires dis­ent à quel point il est à la fois dedans et dehors. La nature prim­i­tive des moyens employés nous rap­pelle que le kabu­ki est aux films de sci­ence-fic­tion ce que sont les chevaux de bois aux jeux élec­tron­iques.

Rideaux

On trou­ve au Japon des rideaux de scène et des rideaux d’ac­teurs. Dans une très belle étude récente, Michel Wasser­man trace un par­al­lèle entre le rôle du rideau dans le kabu­ki et dans l’opéra occi­den­tal au XVI­I­Ie siè­cle. Le rideau parait dès qu’il y a machiner­ie à déploy­er afin d’é­ton­ner par les méta­mor­phoses du décor. Rideau qui cache pour mieux éblouir… Rideau de scène. Mais, dans le kabu­ki, aujour­d’hui, plusieurs rideaux se super­posent tels les strates du cos­tume. Il n’y a donc pas révéla­tion immé­di­ate, mais décou­vertes suc­ces­sives, rap­proche­ment par étapes de l’essence dont la scène sem­ble être le pos­sesseur. Une pre­mière couche : le rideau même du théâtre. Rideau sou­vent décoré avec les motifs orne­men­taux habituels qui vont du sapin somptueuse­ment déployé à la branche fleurie. C’est seule­ment ensuite qu’on aperçoit le rideau rayé du kabu­ki pro­pre­ment dit. (Et par­fois, mais c’est rare, durant le spec­ta­cle un troisième rideau peut inter­venir). Le rideau du kabu­ki ne se lève pas, ne s’ou­vre pas non plus au milieu — les deux pos­si­bil­ités du rideau occi­den­tal — mais un kôken le tire, en courant de plus en plus vite du jardin à la cour pour suiv­re le rythme pro­gres­sive­ment accéléré des bat­te­ments de bois qu’on entend venir des couliss­es. Le corps du kôken colle au rideau qui épouse sa forme, pareil à une blouse mouil­lée sur le buste d’une femme. Un corps s’u­nit au rideau qui ne s’ou­vre pas ici par une manip­u­la­tion mécanique : le kabu­ki sait préserv­er sa dimen­sion arti­sanale.

Le rideau qu’on tire ain­si per­met la décou­verte de la scéno­gra­phie d’une marge à l’autre sans qu’on dis­tingue entre les deux aucune hiérar­chie de qual­i­fi­ca­tion, tan­dis qu’en Occi­dent, le rideau qui s’ou­vre, focalise le regard sur le cen­tre à par­tir duquel on se dirige ensuite vers les marges. Le rideau qu’on tire est épique. Le rideau qui se fend est dra­ma­tique. Le rideau qu’on tire rap­pelle la nar­ra­tion suc­ces­sive d’un maki­mono, rouleau hor­i­zon­tal, tan­dis que l’autre type de rideau occi­den­tal, le rideau qui se lève, dévoile l’im­age dans son inté­gral­ité. Au déroule­ment, s’op­pose la simul­tanéité et le cadrage. Au réc­it, la vision.

Les lanternes allumées, à l’ex­térieur et à l’in­térieur du théâtre, désig­nent, comme partout au Japon, qu’une activ­ité s’y exerce. Dans le kabu­ki s’a­joute le signe du rideau car s’il reste ouvert, tant soit peu, il ne peut y avoir d’in­ter­rup­tion. Par­fois, le kôken tire presque com­plète­ment le rideau avant de s’im­mo­bilis­er à un mètre du côté jardin pour atten­dre que la dernière tirade sur le hanamichi s’achève :alors, lorsque l’ac­teur sort en s’ex­posant avec éclat, le rideau se ferme com­plète­ment et annonce l’en­tr’acte. Le rideau per­met, certes, une mod­i­fi­ca­tion scéno­graphique, mais il parait aus­si comme signe indis­cutable de la fin. Ils sont indis­so­cia­bles et dans le kabu­ki, on ne ver­ra jamais de danse ou de mono­logue face au rideau. Ici, la représen­ta­tion ne désta­bilise pas les signes trans­mis :cela n’est pas sa voca­tion.

Le rideau sert donc de point qui mar­que une inter­rup­tion et per­met un redé­mar­rage. À neuf. Au Japon, on aime cette net­teté des phras­es, des objets, des images côte à côte. Toute une esthé­tique est là. Une esthé­tique réfrac­taire aux ensem­bles fondés sur la fusion des ter­mes, sur leur enlace­ment. Le rideau sert, lui aus­si, pour affirmer cette sépa­ra­tion. Dans un spec­ta­cle de ro-kyoku (les mélodies d’Osa­ka), un machin­iste vient fer­mer le rideau après chaque numéro. La suc­ces­sion des artistes ne peut être inin­ter­rompue. Elle réclame des points et le rideau en est l’équiv­a­lent théâ­tral. Et qu’est-ce le petit rideau de Brecht sinon un point aus­si. Au Japon, le pre­mier rideau, celui du théâtre, ne dénote pas seule­ment sa fonc­tion. Orné, selon la nature du spec­ta­cle, de la sai­son ou du lieu, il se présente comme une cita­tion de l’art reliant ain­si le spec­ta­cle au sys­tème fig­u­ratif japon­ais — fleurs de cerisi­er, sapin, pont sous la pluie — car le théâtre n’est qu’un épisode de ce vaste ensem­ble qui se tient, ensem­ble auquel le rideau affil­ie d’emblée le spec­ta­cle. Il en fait par­tie.

Le pre­mier rideau sert donc de préam­bule au ren­dez-vous avec l’art tout entier, tan­dis que le sec­ond, le rideau rayé de kabu­ki, lui, désigne unique­ment le théâtre, son activ­ité. A tra­vers les deux rideaux, on passe de l’art dans son exten­sion au théâtre dans son par­tic­u­lar­isme… Mais, il y a aus­si les rideaux d’ac­teurs. Dans le nô, le shite ne vient pas des couliss­es, mais de der­rière le rideau, comme on dirait de der­rière le miroir. Certes, d’autres que lui entrent en emprun­tant le même chemin, mais le moment le plus intense reste celui où le shite arrive. Au bout du pont, le rideau mul­ti­col­ore — son chro­ma­tisme écla­tant sur­prend ici, dans le règne austère du nô — est levé à l’aide d’une perche par un kôken. Alors, quelques spec­ta­teurs peu­vent apercevoir, furtive­ment, un corps immo­bile. Sur le seuil.

En attente — un instant d’é­ter­nité — avant de pénétr­er dans l’e­space du jeu et du mou­ve­ment. Et, à la fin, lorsque le shite se retire, le rideau levé lui ouvre cette fois-ci le chemin vers l’ex­térieur — du théâtre, du monde — d’où il ne revient plus. Le rideau mag­ni­fie les allées et les venues du fan­tôme.

L’ac­teur de kabu­ki fran­chit aus­si le cap du rideau. Rideau qu’i­ci on claque avec vio­lence à chaque entrée : ce n’est plus un fan­tôme qui s’in­car­ne, lente­ment, comme dans le nô, mais un per­son­nage qui, sur le hanamichi, se pré­cip­ite vers son des­tin. Le rideau, on le voit moins, mais on l’en­tend plus. Bruit vif, nerveux, bruit qui annonce aus­si l’ar­rivée du grand acteur. (Dans le bun­raku, dont le kabu­ki s’est inspiré, on voit sur la scène mème le petit rideau tiré à la hâte pour laiss­er entr­er le mar­i­on­net­tiste). Le rideau ouvert avec une pareille énergie évoque un irré­press­ible appel auquel ne peu­vent échap­per ni le per­son­nage, ni l’in­ter­prète. Ils se lan­cent vers la scène avec la fureur trag­ique du tau­reau dans une arène. Le rideau de né pré­pare le glisse­ment, celui de kabu­ki annonce l’ir­rup­tion. Mais cha­cun bor­de un pont. au-delà duquel, à la sor­tie, s’ou­vre, pour repren­dre une belle expres­sion d’An­toine Vitez, le Grand Extérieur, ter­ri­toire de la dis­pari­tion.

Brook, Vitez et « les oiseaux » du Japon

Com­ment représen­ter l’oiseau ? Ques­tion à laque­lle Brook et Vitez ont cher­ché réponse ces derniers temps. L’un pour La con­férence des oiseaux d’At­tar, l’autre pour Le héron d’Ax­ionov. Brook a adop­té d’emblée le principe de la coex­is­tence de l’homme et de l’oiseau :les acteurs manip­u­lent cha­cun la mar­i­on­nette de l’oiseau qu’ils jouent. On voit simul­tané­ment la sil­hou­ette minia­tur­isée de l’oiseau et celle, réelle, du comé­di­en. Dans le nô, on retrou­ve par­fois la même solu­tion. Le jeune acteur, habil­lé en blanc et le vis­age nu, qui joue le héron dans le nô de Zea­mi, porte sur la tête le mod­èle réduit de l’oiseau. Si les pas de danse, les mou­ve­ments, la flu­id­ité des cours­es ont quelque chose de par­ti­c­uli­er, c’est le petit héron qui pré­cise ce que l’ac­teur ne peut que sug­gér­er. Ici, il y a fix­ité du rap­port entre l’homme et l’oiseau, tan­dis que Brook les fai­sait jouer alter­na­tive­ment pour con­duire vers la dis­pari­tion pro­gres­sive de la mar­i­on­nette au prof­it du corps de l’ac­teur. Néan­moins, le point de départ reste sim­i­laire.

Vitez pour mon­ter Le héron d’Ax­ionov a col­lé au buste de l’ac­trice des ailes géantes, métonymie de l’oiseau et de son vol. Ce n’est plus l’homme et l’oiseau, mais c’est l’homme-oiseau. Lors d’un pro­gramme de gagaku, on adopte la même solu­tion pour la danse des oiseaux :les danseurs parès d’ailes se meu­vent sur les sonorités d’une musique anci­enne.

Ce sont, eux aus­si, des hommes-oiseaux mais si chez Vitez l’ac­trice jouait le vis­age nu, eux ils le dis­simu­lent der­rière un tulle blanc. Au-delà des dif­férences, les « oiseaux » du Japon nous mon­trent que, par­fois, con­fron­tés aux mêmes dif­fi­cultés, l’Ori­ent et l’Oc­ci­dent parvi­en­nent à des répons­es appar­en­tées.

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Georges Banu
Écrivain, essayiste et universitaire, Georges Banu a publié de nombreux ouvrages sur le théâtre, dont...Plus d'info
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