J’AI TOUJOURS été terrorisée par les acteurs. Ils m’ont toujours impressionnée. Ils m’ont toujours fascinée : ils semblent appartenir à un monde dont moi je ne fais pas partie. Je n’ai jamais su leur parler, je veux dire qu’il m’a fallu du temps pour apprendre à les aborder – et encore, je ne suis pas sûre d’y avoir réussi vraiment, même aujourd’hui, à chaque fois, cela reste difficile.
Longtemps, il m’a paru que dire « comme c’est bien » à quelqu’un que l’on ne connaît pas, quand ce quelqu’un vient de sortir de scène, vient d’accomplir une chose magnifique et difficile, à la fois publique et secrète, gui est le résultat d’un travail intime et mystérieux dont je ne saurai jamais rien, longtemps il m’a paru que dire : « comme c’est bien » était dérisoire, inutile et vain, en un mot : ridicule. Je passais sans doute pour timide, grossière ou indifférente selon que les acteurs en question, ceux à gui je ne disais rien, avaient ou non un peu de sympathie pour moi ; ou alors, je restais dans mon anonymat confortable, mais frustrée. Car j’aurais bien voulu parler, évidemment !
Plus tard, j’ai connu des acteurs, « personnellement », comme on dit. Un jour, pour la première fois, j’ai rencontré une actrice – mythique à mes yeux, et aux yeux de beaucoup, d’ailleurs –, chez elle, dans son appartement, dans son salon, dans sa cuisine. C’était Janine Patrick, mais pour moi, c’était « Célimène l’éblouissante », « l’Alouette d’Anouilh » , ou « Macha de Tchekhov ». Que peut-on dire à ces gens-là ? Rien, bien évidemment. Avec Janine donc, nous avons parlé théâtre, cuisine, cheveux (Ah ! Se coiffer, c’est toujours un problème quand on a les cheveux trop fins!).
Ensuite, elle a joué Jocaste. C’est elle gui a créé le rôle. J’ai vu quelques répétitions (pas beaucoup : les metteurs en scène n’aiment pas trop les auteurs quand ils sont derrière leur épaule), parfois, elle demandait : « Mais quand Jocaste dit cela, c’est parce que …»; je disais « oui », c’est tout.
Le soir de la première, j’ai dit « Merci » , mais pas à elle, je crois, ou peut-être l’ai-je simplement pensé, imaginant qu’il suffisait que le « merci » soit dans ma tête pour qu’il passe aussitôt dans la sienne …
Plus tard, j’ai rencontré une très jeune femme, ce n’était pas un mythe et c’était à peine une actrice, moi, en tout cas, je ne l’avais jamais vue jouer. On a un peu parlé « Révolution française » , quand elle a joué Claire Lacombe. On a dû parler « sexe » quand elle a joué dans ORGIE, « classes sociales » ou « petite-bourgeoisie ». Elle était si jeune, il y avait des choses à mettre au clair. Elle s’appelait Nathalie, Nathalie Cornet. Un jour, elle a joué le monologue du personnage de la Femme d’ORGIE – que je connais presque par cœur – et elle m’a fait venir les larmes aux yeux et la chair de poule sur les bras, elle s’appelait toujours Nathalie, Nathalie Cornet, mais le lendemain de la première, j’ai été soulagée de voir qu’un critique avait écrit ce que moi je pensais, cela me dispensait donc de le dire. Nous avons donc parlé théâtre, école (elle venait à peine d’en sortir), coiffures (Ah ! Les cheveux trop fins, cela ne tient jamais!) …
Il y a un homme aussi, encore un mythe : Jean Dautremay, le compagnon de Jean Jourdheuil, l’interprète de Heiner Müller, entre autres… Nous avons parlé théâtre (beaucoup), psychanalyse (il jouait Freud dans TAUSK), cheveux (il les avait perdus très tôt); ensuite, pour me dispenser de parler, quelques mois après la première, j’ai écrit une pièce : ATGET & BERENICE dans laquelle il était en scène tout le temps, depuis le début jusqu’à la fin ! Il l’a jouée, c’était à Arles. La nuit de la dernière, il faisait chaud et nous avons nagé dans la piscine. Cheveux mouillés.