NOUS AVONS inauguré le Théâtre Varia lors de l’hiver 82. Janvier était enneigé. Je me souviens des difficultés qui en découlaient pour les derniers préparatifs de notre premier spectacle, L’HOMME QUI AVAIT LE SOLEIL DANS SA POCHE de Jean Louvet. La difficulté de circuler dans la rue du Sceptre, le froid dans la salle, les canons à chaleur, les mains de François Beukelaers et ses courses sur le plateau qui racontait le quai d’une gare, la tête de Jean Louvet le jour de la générale, les couvertures pour les spectateurs…
Peu enclin au romantisme, je n’ai aucune nostalgie de nos débuts, de notre « jeunesse ». Ce n’était ni bien, ni mal. Nous étions en lutte, mais nous l’étions contraints et forcés, car seul le public semblait reconnaître la nécessité de cet « autre » théâtre que nous faisions. Je me souviens aussi d’un responsable d’administration qui nous tenait le langage facile du public à conquérir, alors que nous avions à peine de quoi payer les timbres des invitations aux premières. Je me souviens de son cynisme lors d’une discussion qui se tenait d’ailleurs dans les anciens locaux d’Alternatives théâtrales, place du Châtelain1. Ce devait être avant l’ouverture du Théâtre Varia. Peur-être ses propos et ses positions m’ont-ils à ce point choqué qu’ils ont décidé de mon départ du Théâtre Élémentaire pour rejoindre Philippe Sireuil et Marcel Delval au Théâtre Varia où la lutte pour ces questions prenait rout son sens. Je n’avais pourtant jamàis imaginé que nous réussirions à ce que le bâtiment soit acheté et réhabilité par la Communauté Française. J’étais persuadé que devant l’indifférence profonde du monde politique, seul le chemin que nous empruntions, et la lutte qu’il impliquait, avait un sens, était riche et vivant. J’ai été surpris que les Pouvoirs Publics « craquent ». J’ai douté qu’ils comprennent réellement l’importance des enjeux — pour notre culture, pour notre ville, pour notre pays et ses habitants — de l’émergence de ces forces nouvelles et des rencontres qu’elles occasionnèrent avec un vrai public. Car je reste persuadé que le Théâtre Varia connut, en ses débuts, un véritable succès et rencontra vraiment son public. Malgré tout, aucun homme politique, hormis la présence symbolique du Ministre le Jour J, ne participa, de tout cœur, à l’inauguration d’un chantier qui avait coûté quelques 90 millions de francs belges…