En quête de la campagne natale de notre sensibilité… vers une forêt sans nom
La scène a perdu depuis longtemps sa vertu mythique. Pour que s’y déroule non pas la simple copie conforme de la culture, mais bien une authentique expression physique dans l’espace — soit un processus créatif qui en appelle au Chant secret de la nature entière — il s’agira avant tout d’intégrer à notre corps les paysages primordiaux, des plus anciens aux plus contemporains, les assimilant à nos entrailles. Au fil de cette quête par les vastes ténèbres du corps, c’est quand nous brisons les chaines du tigre qui réside au plus profond de nous que nous gagnons enfin notre lieu natal, notre paysage primordial.
Pour décrypter le système de nos origines — raviver la chose suspendue entre le révolu et l’encore-à-venir —, il nous faudra remonter le cours de l’histoire du corps jusqu’à sa plus haute antiquité : avec qui s’est-il associé, à quoi s’est-il abandonné ? Ainsi sera ressuscitée sur la scène l’histoire du corps en gestation, exposant en mème temps notre histoire personnelle sous les veux d’un public poussiéreux. Car si le corps est une « forêt sans nom », la vie de cet insecte qu’est l’homme est entièrement liée à cette forêt, les esprits ancestraux intervenant comme des catalyseurs pour nous aider à résoudre ce mystère du corps. Le corps alors est une antenne et à l’instant où, telle une toupie tournoyant dans l’espace, il projette la « chose » contenue en lui, celle-ci apparaitra sur la scène. Pour capter la faim de la substance première, la mémoire primitive assoupie en chaque cellule du corps (ainsi que l’archétype mythique), il nous faudra organiser tous les accidents. Danser en scène revient, en somme, à y produire uné seconde nature ; comme l’éléphant creuse sa propre tombe, l’essentiel du travail du danseur sera alors de construire la forme de son lit.
Oosuka Isamu
Traduit de l’anglais par Daniel De Bruycker.