MIKE SENS : Selon toi, d’où vient la langue originale de Werner Schwab ?
Theu Boermans : C’est un mélange de deux choses. D’abord, prenons par exemple une phrase, pour dire quelque chose, et changeons les verbes en adjectifs : on inverse alors leur fonction et on obtient la même chose qu’avec un tableau dans lequel on découpe les yeux pour les coller ailleurs. C’est simplement un principe artistique. La bouche on la colle là, alors on obtient un effet comique car on voit quelqu’un qui a la bouche sur le front. C’est ce que Scbwab fait avec la langue. Ensuite, la musique, la mélodie. Parfois les acteurs ou les enfants s’amusent à dire n’importe quoi, des conneries qui veulent dire quelque chose ; je peux m’imaginer que Schwab traversait la forêt en se parlant à lui-même, comme ça, et qu’il a développé ainsi un langage spécifique. Mais pour moi, c’est avant tout une technique de peinture utilisée pour la langue, comme lors d’une improvisation, tout en veillant à ce que le processus ne devienne pas trivial, mais qu’il dégage des valeurs universelles. Que la vie soit la mort et la mort la vie. Comme dans certaines tirades de Madame Pestefeu1 dans EXTERMINATION ; ou le personnage de Marie dans LES PRÉSIDENTES, où le débouchage des toilettes est en fait une métaphore de la vie entière. Il faut voir l’inévitable en face, et l’accepter. Tout le sens vient de là. Schwab fournit la matière, le travail consiste ensuite à en dégager le sens. J’aime quand il résiste, quand son écriture est opaque. C’est pourquoi il continue à faire partie du répertoire du Trust. Quand on aura un peu oublié sa mort, on s’attaquera sans doute aux COMÉDIES ROYALES. A présent, Schwab est déjà un classique qu’il faut monter et remonter. Il n’y a pas tellement de bonne littérature dramatique !
M. S.: Le théâtre de Schwab est souvent qualifié de théâtre populaire. N’est-il pas étonnant que quelqu’un de sa génération se soit intéressé au théâtre populaire ?
T. B.: Les DRAMES FÉCAUX de Schwab sont écrits dans la tradition autrichienne du théâtre populaire. C’est une tradition que nous ne connaissons pas aux Pays-Bas. Je pense que c’est tout simplement dû à ses origines. Il parle en connaissance de cause. On ne peut pas choisir ce genre, si l’on ne vient pas de là.