Les frontières du testament

Les frontières du testament

Le 13 Mai 1991

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Article publié pour le numéro
Théâtre testamentaire Oeuvre ultime-Couverture du Numéro 37 d'Alternatives ThéâtralesThéâtre testamentaire Oeuvre ultime-Couverture du Numéro 37 d'Alternatives Théâtrales
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LA DÉFINITION la plus com­mune, celle que donne le dic­tio­n­naire, iden­ti­fie l’œuvre tes­ta­men­taire à la dernière œuvre d’un écrivain. C’est une déf­i­ni­tion sim­ple, moins claire pour­tant qu’il n’y paraît. Elle sig­ni­fie par exem­ple que toute dernière œuvre de n’importe quel écrivain est tes­ta­men­taire. La déf­i­ni­tion ne préjuge pas du con­tenu du tes­ta­ment. Elle stip­ule seule­ment que l’œuvre qui se trans­met est tes­ta­ment en tant qu’elle se trans­met et indépen­dam­ment de son con­tenu. Dès lors pourquoi lim­iter le tes­ta­men­taire à la dernière œuvre ? Pourquoi ne pas dire que tout ce qui s’écrit avant nous est tes­ta­ment ? C’est en tout cas ce que pensent (ou ont pen­sé) toutes les avant-gardes qui se veu­lent rad­i­cale­ment inno­va­tri­ces et, en con­séquence, refusent l’héritage à cor et à cris (quitte, par­fois, à en récupér­er quelques miettes en douce).

Mais que sig­ni­fie au juste l’idée d’une dernière œuvre ? On dira qu’il pour­rait s’agir de lier les notions de tes­ta­ment et de mort. Mais de quelle mort par­le-t-on ? Sans doute de la mort physique de l’écrivain, mais un écrivain est sus­cep­ti­ble de mourir d’une tout autre manière que physique. Il peut s’arrêter brusque­ment d’écrire sans pour autant cess­er de vivre. Il est même des morts lit­téraires qui n’affichent pas for­cé­ment leur vis­age. Ain­si, il peut arriv­er que l’écrivain tout en con­tin­u­ant d’écrire s’épuise dans la répéti­tion de lui-même, qu’il devi­enne à lui-même son pro­pre épigone vari­ant sans fin quelques recettes soigneuse­ment éprou­vées. À titre d’exemple, on pour­rait ici avancer cer­tains textes d’Ionesco qui, loin de la rup­ture des années cinquante, répè­tent sem­piter­nelle­ment un human­isme dés­espéré.

Il vaudrait peut-être mieux dire : l’œuvre tes­ta­men­taire n’est pas for­cé­ment la dernière œuvre mais celle qui cristallise le mieux à la fois une manière et une prob­lé­ma­tique. Ain­si, par exem­ple, on peut cer­taine­ment soutenir que LA MÈRE ou LA VIE DE GALILÉE sont pour Brecht des œuvres tes­ta­men­taires bien que l’une et l’autre n’aient pas été écrites à la fin de sa vie. On peut tenir le même raison­nement avec Claudel et son SOULIER DE SATIN. Dans cette optique, n’est-on pas fondé à déclar­er tes­ta­men­taire toute œuvre accom­plie. L’œuvre serait tes­ta­ment du fait même de recel­er en elle les pos­si­bil­ités artis­tiques à la fois d’un homme, d’un genre et d’un moment his­torique. Qu’une telle œuvre sup­pose une matu­rité et donc l’accumulation d’une cer­taine expéri­ence de l’écriture, des hommes et du monde, voilà qui est prob­a­ble. Mais il s’en faut de beau­coup que toutes ces ver­tus vien­nent comme par enchante­ment se nich­er dans une dernière œuvre.

Si l’œuvre « bien accom­plie » est tes­ta­men­taire, ce peut être au sens où le tes­ta­ment est un acte par quoi se fait la rec­ol­lec­tion de tous les biens. Le tes­ta­ment sup­pose un inven­taire accom­pli où chaque bien est recon­nu dans la valeur qu’il pos­sède. Trans­posée au domaine des œuvres, l’idée de tes­ta­ment sup­pose que l’œuvre est con­nue pour ce qu’elle ren­ferme, que ses élé­ments con­sti­tu­tifs (formes et con­tenus) sont iden­ti­fiés. Elle est donc tes­ta­men­taire en tant qu’elle con­tribue, par ce qu’elle est, à éterniser sa pro­pre valeur, à la pro­pos­er aux généra­tions futures pour que celles-ci lui fassent acte d’allégeance. L’œuvre tes­ta­men­taire pro­file ici la maîtrise de son devenir. Elle se présente à nous comme mon­u­ment fiché, inven­torié, fixé (par les savoirs uni­ver­si­taires ou les mon­tages médi­a­tiques par exem­ple). Tous ces biens issus des généra­tions passées nous advi­en­nent et nous les admirons comme de grands exem­ples, nous sommes sup­posés les repar­courir dans l’extase de leur réus­site.

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Jean-Marie Piemme
Auteur, dramaturge. www.jeanmariepiemme.bePlus d'info
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