David Harrower n’a pas fini d’écrire : en un sens, il dirait même, avec cet esprit critique et inquiet qui le caractérise, qu’il n’a même pas encore commencé. Mais le succès immédiat de sa première pièce KNIVES IN HENS1 ( DES COUTEAUX DANS LES POULES ), créée à Edimbourg en 1995, et jouée depuis dans plus de quatorze pays européens, en Amérique, au Canada et en Australie en février 2000), l’a soudain propulsé au devant de la scène.
Déjà, la Royal Shakespeare Company et le National Theatre ont pris une option sur ses prochaines œuvres et d’autres théâtres londoniens lui ont commandé des traductions de Büchner et Pirandello. SIX PERSONNAGES EN QUÊTE D’AUTEUR est un titre qui décrit d’ailleurs parfaitement son processus lent et sinueux d’écriture, tout en tâtonnements et en rencontres obscures et secrètes, d’où sourdent des visages et des paroles crues comme des prières, ou des injures. Harrower a besoin d’être appelé, convoqué, réveillé là où il croyait dormir profondément ? Et pour cela il faut le temps, beaucoup de temps, et de fermentation, comme pour ce whisky fade et ensorcelant que son personnage Meunier sert à la Jeune Femme des COUTEAUX, et qui l’étourdit jusqu’au meurtre.
Cette soudaine notoriété, couronnée de prix prestigieux en Angleterre et en Allemagne, interroge profondément l’écrivain, qui veut encore explorer tous les chemins de traverse. D’ailleurs, les deux pièces qui ont suivi DES COUTEAUX DANS LES POULES : KILL THE OLD TORTURE THEIR YOUNG (TUEZ LES VIEUX TORTUREZ LEURS JEUNES ) et PRESENCE, sont radicalement différentes, au point qu’une première lecture ne permet pas de définir une singularité « étiquetable » de l’écriture. Si le style, selon l’expression consacrée, est « de l’homme même », dans le cas de Harrower l’homme se cherche en même temps que son style, et sans doute pas dans l’ordre qu’on attendrait… De fait, une vision poétique se profile intensément, un paysage pour la scène, une liberté formelle radicale et perturbatrice qui interroge la représentation théâtrale de l’espace et du temps, les notions de fable et de personnage, de continuité, de logique, de cohérence ? de « réalisme ». Si le dossier qui suit paraît elliptique, énigmatique, vagabond, c’est parce que l’œuvre elle-même est encore si neuve qu’elle défie tout propos définitif. En tout cas, elle témoigne d’une forte vitalité du théâtre écossais, qui nous réserve encore bien des plongées nouvelles et décapantes aux sources d’une culture encore trop embrumée par des clichés touristiques. Un théâtre qui cherche à enfoncer les mots dans les choses « comme on pousse un couteau dans le ventre d’une poule ».
Jérôme Hankins.
- La pièce traduite en français par Jérôme Hankins avec la collaboration de Claude Régy, est publiée aux éditions de L’Arche, 2000. ↩︎