Harrower Le théâtre écossais contemporain

Non classé

Harrower Le théâtre écossais contemporain

Le 1 Nov 2000
Billy Boyd dans KILL THE OLD AND TORTURE THEIR YOUNG de David Harrower, mise en scène Claude Régy, 2000. Photo Kevin Low.
Billy Boyd dans KILL THE OLD AND TORTURE THEIR YOUNG de David Harrower, mise en scène Claude Régy, 2000. Photo Kevin Low.

A

rticle réservé aux abonné.es
Billy Boyd dans KILL THE OLD AND TORTURE THEIR YOUNG de David Harrower, mise en scène Claude Régy, 2000. Photo Kevin Low.
Billy Boyd dans KILL THE OLD AND TORTURE THEIR YOUNG de David Harrower, mise en scène Claude Régy, 2000. Photo Kevin Low.
Article publié pour le numéro
Le théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives ThéâtralesLe théâtre dédoublé-Couverture du Numéro 65-66 d'Alternatives Théâtrales
65 – 66
Article fraîchement numérisée
Cet article rejoint tout juste nos archives. Notre équipe le relit actuellement pour vous offrir la même qualité que nos éditions papier. Pour soutenir ce travail minitieux, offrez-nous un café ☕

L’ACTIVITÉ THÉÂTRALE est au cen­tre de la vie cul­turelle écos­saise con­tem­po­raine et y joue un rôle essen­tiel. Le théâtre par­ticipe directe­ment aux grands change­ments de société, tant cul­turels que lég­is­lat­ifs, qui se déroulent aujourd’hui et il en com­mente les événe­ments majeurs : l’élection de Blair en mai 1997, le référen­dum sur la dévo­lu­tion le 11 sep­tem­bre 1997 ; la cam­pagne élec­torale pour le nou­veau par­lement et les élec­tions du 6 mai 1999. La pre­mière réu­nion de l’assemblée eut lieu le 12 mai 1999 ; l’Exécutif et le pre­mier par­lement écos­sais depuis 1707 furent instal­lés le 1er juil­let 1999.

Pour nous, Écos­sais, ce nou­veau par­lement (élu à la pro­por­tion­nelle), et exerçant un pou­voir réel, trans­formera nos rap­ports vis-à-vis de nos gou­ver­nants, en rap­prochant les cen­tres de déci­sion et en encour­ageant une plus grande prise de con­science et de respon­s­abil­ités. Dans un pays d’un peu plus de cinq mil­lions d’habitants, et grâce au par­lement d’Edimbourg, le gou­verne­ment sera moins imper­son­nel et plus présent qu’il ne l’était, et les hommes poli­tiques devront ren­dre des comptes à un élec­torat plus proche et plus act­if.

Dans un arti­cle du Scots­man, un quo­ti­di­en nation­al pub­lié à Edim­bourg, à la suite du référen­dum de 1997, David Har­row­er et David Greig, les deux dra­maturges les plus en vue actuelle­ment, pren­nent la mesure de la sit­u­a­tion :

Le résul­tat du référen­dum sig­ni­fie que l’Écosse a voté pour sa régénéra­tion. Pour nous régénér­er, nous devons nous com­pren­dre nous-mêmes, échang­er idées et aspi­ra­tions, faire face à nos mythes sécu­laires, dénon­cer les injus­tices et exam­in­er notre passé. Par sa qual­ité, son côté direct, voire son car­ac­tère d’urgence, le théâtre écos­sais est le lieu priv­ilégié où ce dia­logue peut se dévelop­per.

Comme l’indiquent Har­row­er et Greig, l’artiste, et par­ti­c­ulière­ment le dra­maturge, ont une respon­s­abil­ité sociale et cul­turelle. Le théâtre écos­sais con­tem­po­rain a l’ambition d’être le lieu où se dévelop­pera un débat poli­tique et social à l’échelle de la nation et où s’épanouira un renou­veau dra­maturgique et esthé­tique. Les écrivains de la nou­velle généra­tion écos­saise se détour­nent de la com­plai­sance lon­doni­enne du style « vic­time-du-temps », ou « achète-et-baise » (« shop­ping and fuck­ing »), car ils sont con­scients de leur devoir de représen­ter une société et une cul­ture en muta­tion, avec des moyens financiers restreints. Dans ce cli­mat de tran­si­tion, les gens de théâtre écos­sais jouent avec les péri­odes his­toriques et les lieux géo­graphiques, avec les normes régis­sant per­son­nages et modes nar­rat­ifs, et rejet­tent les idées reçues sur ce qu’est une « pièce écos­saise ».

Il est peut-être inévitable, étant don­né les cir­con­stances, de par­ler de crise infra­struc­turelle, organ­i­sa­tion­nelle et finan­cière due aux pres­sions économiques et à la diver­sité sociale dans le pays (éten­due du ter­ri­toire, coûts crois­sants liés à une pénurie de sub­ven­tions publiques et d’aides privées, absence de mécé­nat, car­ac­tère non com­mer­cial de nom­breuses entre­pris­es théâ­trales). Ce bilan doit, néan­moins, être com­plété par l’émergence d’un nou­veau réper­toire ambitieux joué en une mul­ti­tude de lieux, la nais­sance de petites troupes itinérantes, pleines de créa­tiv­ité artis­tique et d’ingénuité admin­is­tra­tive, une dynamique inter­na­tion­al­iste dans les années 90, et la prise en compte pos­i­tive des con­di­tions sociales du pays et un effort « d’inclusion sociale » des indi­vidus, groupes et com­mu­nautés mar­gin­al­isées. Ce nou­v­el état d’esprit a per­mis l’éclosion d’un théâtre créatif, dis­tinct, éclec­tique. En 1990, quand Glas­gow suc­cé­da à Paris comme « Cap­i­tale cul­turelle de l’Europe », la ville se forgea un des­tin inter­na­tion­al, tant au plan touris­tique, qu’industriel ou cul­turel. En ter­mes théâ­traux de nou­veaux lieux furent inau­gurés, en par­ti­c­uli­er le Tramway (un espace poly­va­lent qui accueille les plus grandes tournées inter­na­tionales), une salle de con­cert, et un espace « alter­natif », The Arch­es, récupéré dans les sous-sols de la gare cen­trale.

KNIVES IN HENS (DES COUTEAUX DANS LES POULES, 1995), la pre­mière pièce d’un jeune auteur tal­entueux et déjà chevron­né, est exem­plaire du nou­veau théâtre écos­sais et de son refus des idées reçues. KNIVES IN HENS, pièce lyrique et chargée d’émotion, se déroule dans une atmo­sphère insai­siss­able, où une philoso­phie prim­i­tiviste s’entremêle à des idées mod­ernistes d’urbanisation et d’industrialisation, en une fable séduisante, équiv­oque, qui débouche sur la vio­lence infligée à la « Jeune femme » – sans nom – en quête de sat­is­fac­tion sex­uelle et de lib­erté intel­lectuelle.

Har­row­er peint une société rurale – ou, du moins, une société régie par le cycle saison­nier agri­cole – à la reli­giosité com­plexe : d’une part il fait appel à l’imagerie chré­ti­enne, de l’autre à une icono­gra­phie pan­théiste, voire démo­ni­aque. Un des par­a­digmes priv­ilégiés du théâtre écos­sais con­tem­po­rain est la recon­sti­tu­tion his­torique, mais Har­row­er réin­vente une dra­maturgie dis­tincte et rad­i­cale : ses per­son­nages se meu­vent dans une fable anhis­torique, à une époque qui se situe avant et après la Réforme ( et, même, avant et après le chris­tian­isme ), avant et après l’industrialisation et l’urbanisation, avant et après la chien­lit et le chaos. La méfi­ance et la peur de la tech­nolo­gie s’incarnent dans le per­son­nage du meu­nier quand il dit : « Tout ce que tu as besoin est haine pour lui … Est une cou­tume du vil­lage » – sym­bol­isées par sa plume – « un bâton de mal » –, et trahissent une atti­tude pré-indus­trielle ou post-apoc­a­lyp­tique d’exclusion et de mar­gin­al­i­sa­tion.

Les rap­ports entre Jeune femme, son mari, (Petit- cheval William, le laboureur ), et Gilbert Horn ( meu­nier soli­taire et louche), s’expriment métaphorique­ment par la désig­na­tion des choses et leur appro­pri­a­tion par leur nom. Har­row­er se refuse, par ailleurs, de car­i­ca­tur­er ses per­son­nages mas­culins : tous deux sont vir­ils et séduisants, tous deux pos­sè­dent le savoir. Mais, si la sex­u­al­ité de Petit-cheval William s’exprime crû­ment, celle de Gilbert est plus sen­suelle et séduc­trice ; le savoir de Petit-cheval William se fonde sur des valeurs tra­di­tion­nelles – con­nais­sance de la nature, des saisons, des chevaux –, alors que la sci­ence de Gilbert est celle d’un homme de pro­grès cul­tivé et réfléchi. La jeune femme con­stru­it son avenir et gagne son indépen­dance en apprenant quelque chose de cha­cun d’eux : à la fin de la pièce, elle n’a pas d’amant, mais elle a con­quis son indépen­dance économique – elle a pris pos­ses­sion de sa mai­son et des chevaux –, et atteint sa matu­rité lin­guis­tique et sex­uelle. Cette indépen­dance en fait une héroïne unique et exem­plaire du théâtre écos­sais.

KNIVES IN HENS est la deux­ième pièce de Har­row­er, KILL THE OLD TORTURE THEIR YOUNG (1998), furent créées par le Tra­verse The­atre d’Edimbourg, un théâtre d’art et d’essai qui a révélé de nom­breux jeunes auteurs, ain­si que de grands auteurs étrangers. Depuis son ouver­ture en 1963, le Tra­verse a créé les œuvres de Mishi­ma, Sartre, Jar­ry, Albee, Genet, Ionesco ; dans les années 60 et 70, il a révélé des dra­maturges écos­sais tels que Stan­ley Evel­ing, Tom Wright, C. P. Tay­lor, Tom McGrath ; dans les années 80, Michael Wilcox, Liz Lochhead, John Clif­ford, Peter Arnott et Chris Han­nan. Plus près de nous, le Tra­verse a pro­gram­mé de nou­veaux auteurs du cru, tels qu’Ann Marie Di Mam­bro ( 1990, TALLY’S BLOOD ) et James Kel­man ( 1990, HARDIE AND BAIRD : THE LAST DAYS ), Don­na Franceschild (1991, AND THE COW JUMPED OVER THE MOON) et Sue Glover (1991, BONDAGERS), Simon Don­ald (1992, THE LIFE OF STUFF) et Rona Munro (1992, YOUR TURN TO CLEAN THE STAIRS); ain­si que des pièces étrangères de Ray­mond Cousse à Brad Fras­er en pas­sant par Michele Celeste, Michel Trem­blay et Bernard-Marie Koltès. La mis­sion du Tra­verse est de « favoris­er, dévelop­per et présen­ter les œuvres de dra­maturges écos­sais et inter­na­tionaux dans les meilleures con­di­tions pos­si­bles », et tous les directeurs artis­tiques ont suivi cette poli­tique de pro­gram­ma­tion. Mal­heureuse­ment, le Tra­verse n’a pas suivi d’assez près la car­rière de ses auteurs écos­sais. Évidem­ment un théâtre n’a pas l’obligation de mon­ter toutes les pièces d’un auteur, mais l’incapacité de soutenir la car­rière d’un écrivain à l’intérieur du théâtre écos­sais fait prob­lème. Arnott, Clif­ford et Han­nan – trois auteurs représen­tat­ifs du théâtre des années 80 – ont plus ou moins aban­don­né le théâtre pour le ciné­ma, la télévi­sion ou l’enseignement. Ce développe­ment a son côté posi­tif, puisqu’il ouvre la voie à de nou­veaux tal­ents – Har­row­er, Greig, Stephen Green­horn et Nico­la McCart­ney ; mais d’un autre côté, c’est exclure toute une généra­tion et se priv­er de gens d’expérience pour par­ticiper à la folle course aux jeunes prodi­ges qui car­ac­térise les médias bri­tan­niques. Mal­gré le tal­ent et le suc­cès de la nou­velle généra­tion de dra­maturges, il est impor­tant de tir­er les leçons de l’abandon de la scène par Arnott et Han­nan : il ne faut pas que la créa­tion théâ­trale soit lais­sée au hasard et les dra­maturges écos­sais doivent être assurés de voir leurs pièces mon­tées durant toute leur car­rière.

Pour­tant, des auteurs tels que Har­row­er, Greig et McCart­ney ont déclaré leur inten­tion de tra­vailler dans un con­texte écos­sais, dans une per­spec­tive nationale et inter­na­tionale, tout en reflé­tant les mou­ve­ments soci­aux et cul­turels qui découlent de la dévo­lu­tion des pou­voirs poli­tiques. La vigueur et l’inventivité des jeunes auteurs trans­formeront, à plus ou moins court terme, l’infrastructure théâ­trale en Écosse.

A

rticle réservé aux abonné.es
Envie de poursuivre la lecture?

Les articles d’Alternatives Théâtrales en intégralité à partir de 5 € par mois. Abonnez-vous pour soutenir notre exigence et notre engagement.

S'abonner
Déjà abonné.e ?
Identifiez-vous pour accéder aux articles en intégralité.
Se connecter
Accès découverte. Accès à tout le site pendant 24 heures
Essayez 24h
Non classé
2
Partager
Adrienne Scullion
Adrienne Scullion est enseignante dans le Département de Théâtre, Cinéma et Télévision de l’Université de...Plus d'info
Partagez vos réflexions...
La rédaction vous propose
Mon panier
0
Ajouter un code promo
Sous-total

 
Artistes
Institutions

Bonjour

Vous n'avez pas de compte?
Découvrez nos
formules d'abonnements