LA FIN D’UNE HISTOIRE est programmée pour le 5 août 1999. Personne ne le sait. Sauf moi. Au départ, cette nouvelle ne m’effraie pas. C’est tellement loin. Un océan de temps — pour l’instant. Je peux me permettre le luxe de vivre au rythme d’un temps gui semble être en dehors du Temps. Ce temps bat uniquement la mesure pour les événements de ma vie et en est totalement indépendant. Il est inoffensif et n’a aucune incidence sur ma vie. La mécanique newtonienne joue à fond. L’espace et le temps sont des réalités absolues et séparées l’une de l’autre. Soumis à ce temps objectif, mon univers ne crée cependant pas d’histoire. Et pourtant le 5 août 1999 la fin d’une histoire est programmée. C’est même inscrit sur papier. En bas du document, en petites lettres, je peux lire gue si la fin de l’histoire ne se produit pas le 5 août 1999, je suis obligé de rembourser une partie des honoraires.
Je me rassure. C’est toujours tellement loin. Il me reste six mois.
Le temps objectif s’estompe néanmoins et je plonge dans la relativité où le temps et l’espace ne sont plus des valeurs absolues, où tout est dépendant de la position de l’observateur, où tout n’a de définition que par rapport à autre chose. Cette attitude est supposée donner à ma vie une certaine « texture », un « vécu », gui formera — je l’espère — un biotope intéressant pour l’émergence d’une histoire.
Soumis à cette relativité, mon observation devient multidimensionnelle. Je peux remonter en amont de !‘Histoire, parcourir les rivages de la vie, récolter des épaves diverses, remonter le moral aux connaissances perdues, restaurer des témoignages incomplets, prendre des échantillons de rêverie, me perdre dans des pensées vaines et me retrouver dans les souvenirs d’autrui.
Cette « texture », ce « vécu » gui émerge est censé donner naissance à une histoire. Mais les,_éléments récoltés ne sont, en fait, qu’un puzzle défaut dont beaucoup de pièces manquent encore. Je ne suis pas naïf au point de croire que je pourrais reconstruire ce puzzle — mais je cultiverai l’utopie de pouvoir le compléter.
Toute histoire n’est qu’une chronique utopique de notre époque.
Encore quatre mois. Je reste confiant. Je peux encore me convaincre gue tout va bien.