L’incandescence de l’enluminure

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L’incandescence de l’enluminure

Le 16 Juil 1999
Article publié pour le numéro
Écrire le théâtre aujourd'hui-Couverture du Numéro 61 d'Alternatives ThéâtralesÉcrire le théâtre aujourd'hui-Couverture du Numéro 61 d'Alternatives Théâtrales
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C’EST L’HISTOIRE D’UN HOMME qui écrivait ma femme en un mot. Le sens se solid­i­fi­ait dans une pos­ses­sion imma­nente. Celle qui enseignait le français à cet homme lui apprit qu’elle resterait sa femme même s’il séparait les deux mots. Il lui sourit d’avoir com­pris la force d’un sens pré­cip­ité en lui pour for­mer une seule entité claire et frag­ile comme le cristal, ma femme, un pré­cip­ité de pierre pré­cieuse, une image pieuse recueil­lie au fond de lui et trans­mise comme telle à celle qui lui appre­nait la syn­taxe.

Nous sommes comme cet homme occupés à solid­i­fi­er du sens inédit, dans la com­bi­na­toire du rêve et du doute, de la crainte et du désir. Nous écou­tons les mots tomber en nous à leur façon car ils for­ment chaîne et mémoire dans leur chute. Écrire est pour moi refaire le tra­jet des mots, des scènes ou des images qui, tout d’un coup, font sens car ils éclairent à leur faible lumière la per­spec­tive d’un chemin. Écrire est alors s’en­gager sur ce chemin.

J’écris par l’or­eille. Le sens est dans le son. Dans le son de ces mots qui bruis­sent autour de nous et qu’il suf­fit d’en­ten­dre tels qu’ils nous sont don­nés. Il y a tou­jours au départ d’un texte l’his­toire de quelqu’un qui s’il­lus­tre dans très peu de choses mais ce très peu est le début d\m pre­mier chapitre qui s’ou­vre sur la métaphore d’une scène, d’un geste ou d’un mot. Le début est une let­trine, qui con­tient le sens ouvert d’une suite. Ce vis­age de quelqu’un qui avait un sourire gravé dans le vis­age, même quand il lisait, même quand il dor­mait et que les pro­fesseurs soupçon­naient d’un inter­minable et sournois com­plot. Une traînée de sucre qui ne se dilu­ait pas et qui por­tait atteinte à la plus vive de ses émo­tions car, même souf­frant, il souri­ait. L’un part à la recherche fréné­tique d’un sym­bole qui liera sa vie, tel autre est sur la route d’un passé famil­ial qui lui échappe et dont il veut retendre la toile. Nous sommes tous les brodeurs du sens, les Péné­lope atten­tives à la venue de la nuit pour nous désen­gager de la prég­nance d’une promesse ; écrire est refaire du sens avec une anec­dote qu’il s’ag­it de porter à l’in­can­des­cence d’une enlu­min­ure.

Écrire est donc écouter. Vivre est écouter. Je bois à cette source oblique qui me rem­plit des vies que je n’ai pas. J’assem­ble alors, je trans­pose, cela me trans­porte. Tout est dans ce crans de la trans­mis­sion qui peut devenir une transe au sens où elle emporte au cœur du fleuve humain et délivre alors le mes­sage d’un presque rien,
le pré­cip­ité de sens sous forme de cail­lou qui me reste en mains au cœur de l’eau, l’in­quié­tude de cet homme qui, changeant de langue, voulait préserv­er sa femme de ce qui ne serait pas lui, comme si la langue étrangère pou­vait con­jur­er le risque d’ex­is­ter. Écrire con­jure le risque d’ex­is­ter.

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Pascale Tison
Pascale Tison est dramaturge et romancière. Pour le théâtre elle écrit et mer en scène...Plus d'info
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