Il suffit de dire : c’est là que ça se passe…

Il suffit de dire : c’est là que ça se passe…

Entretien avec Eugène Savitzkaya

Le 13 Oct 1995
Nathalie Cornet dans LA FEMME ET L'AUTISTE d'Eugène Savitzkaya. Photo Benoit Willaert.

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Nathalie Cornet dans LA FEMME ET L'AUTISTE d'Eugène Savitzkaya. Photo Benoit Willaert.
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EUGÈNE SAVITZKAYA : Ce qui est curieux, c’est que jamais je n’ai songé à écrire pour le théâtre. Comme je ne vais jamais au théâtre ou très rarement, je ne sais pas ce que c’est. Je sais que c’est une scène, j’ai des sou­venirs d’en­fant. .. , il y a un rideau, il y a une lumière bien par­ti­c­ulière, il y a quelque chose qui se déroule entre la supercherie et la magie.

Mais il me sem­ble que c’est un lieu intéres­sant pour s’ex­pos­er. Expos­er ses prob­lèmes, quelque chose comme ça. Plus j’y pense, plus c’est comme ça que je le vois : soumet­tre au pub­lic des prob­lèmes, même quo­ti­di­ens ou con­ju­gaux. Dire par exem­ple : « j’ai des prob­lèmes avec ma femme », et racon­ter ce qui se passe, expos­er ça plate­ment.

Il me sem­ble que depuis que j’ai tra­vail­lé avec ces hurlu­ber­lus de Tran­squin­quen­nal1, je me suis aperçu que ce n’é­tait pas du tout intéres­sant que j’écrive d’a­vance les dia­logues. De toute façon, écrire des dia­logues est une chose qui m’en­nuyait prodigieuse­ment, mais par con­tre pen­dant le tra­vail avec le groupe Tran­squin­quen­nal, si eux me dis­aient ponctuelle­ment : ici il faudrait du dia­logue, j’é­tais prêt à le faire, c’é­tait assez amu­sant, c’é­tait un défi. Moi­ même, je n’ai pas du tout envie d’écrire des pièces de théâtre. Pas du tout. Mais je veux bien par­ticiper à un spec­ta­cle, être un des par­tic­i­pants, sans plus. J’ai une cer­taine pra­tique de l’écri­t­ure, donc je la mets au ser­vice d’un spec­ta­cle. Et j’ai com­pris assez vite que ça doit être délas­sant, sans être futile, ça doit être quelque chose de très agréable, sinon ça n’a pas de sens. Chez soi par exem­ple, seul avec soi-même, on peut drama­tis­er les choses, on peut assumer une pen­sée morose et s’en­lis­er dans une espèce de noirceur, mais au théâtre ce n’est pas de mise. Il faut donc trou­ver les for­mules pour expli­quer la sit­u­a­tion de cha­cun, pour que cha­cun soit exposé d’une cer­taine façon. On vient avec son pro­pre bagage, sa pro­pre vie, mais il faut que ça passe, il faut que les autres la reçoivent comme leur vie aus­si.

For­cé­ment, je ne suis pas seul au monde, je suis une « besti­ole sociale» ; ce que je vis, les autres le vivent aus­si, ce sont mes sem­blables. Et mes sem­blables, ils sont aus­si extrême­ment dif­férents de moi.

Pietro Pizzuti : Un peu comme s’il y avait un côté joyeux et socia­ble dans le fait de dire les choses, de les exprimer avec la parole, au lieu de seule­ment penser les mots, seul et muet.

E. S.: Oui, oui, ça doit vivre à l’ex­térieur de nous. Ça ne doit plus être une pen­sée, ça doit être une façon d’a­pos­tro­pher. Mais j’ai peu d’ex­péri­ence du théâtre. Avant ça, j’avais écrit une pièce de théâtre (LA FOLIE ORIGINELLE, Edi­tions de Minu­it), mais sans même voir ce que ça pou­vait être, avec un découpage tout à fait arbi­traire, des per­son­nages parce qu’il en fal­lait, mais je m’en serais bien passé. Je préfère par­ler à la pre­mière per­son­ne du début jusqu’à la fin.

P. P.: Quand tu com­pares les deux expéri­ences d’écri­t­ure théâ­trale que tu as vécues, l’une en soli­taire et l’autre en équipe, l’aven­ture col­lec­tive de l’écri­t­ure théâ­trale te ren­voie-t-elle à ce que tu sais de toi ou à un autre Sav­itzkaya ?

E. S.: En fait, je pense que j’ai assez peu retrou­vé de ce que je suis moi-même, parce que ça s’est fait d’une façon par­ti­c­ulière. Il fal­lait d’abord intéress­er des gens que je con­nais­sais à peine à quelque chose, et faire un chemin ensem­ble. Le spec­ta­cle, c’est le résul­tat d’une ren­con­tre, c’est tout. Il n’y a pas que moi et l’écrit. D’ailleurs il me sem­ble que les par­ties les plus lour­des du spec­ta­cle l’é­taient parce qu’il y avait trop de texte. J’avais écrit quand même ça en soli­taire et le met­teur en scène et les acteurs n’ont pas osé enlever, ils ont respec­té les phras­es. Ils n’ont pas voulu faire éclater le texte, ils avaient une sorte de respect qui n’é­tait pas de mise. Ce que je voulais en exposant ce prob­lème, en par­lant, dans LA FEMME ET L’AUTISTE, de cette femme qui existe réelle­ment, qui m’aimait et dont je repous­sais les avances, c’est que mes parte­naires réagis­sent très fort par rap­port à ça, même éventuelle­ment qu’ils appor­tent du texte.

Je crois qu’on va con­tin­uer à tra­vailler là-dessus, parce qu’il y a eu des réper­cus­sions. Cette femme con­cernée a réa­gi. Elle aus­si a écrit une sorte de pièce de théâtre. On pour­rait à la lim­ite tra­vailler ce texte­ là. On va con­tin­uer. Ça ne doit pas être sans fin, mais je ne suis pas cer­tain qu’il faille un résul­tat défini­tif, ou alors juste le temps d’un spec­ta­cle et puis le refaire autrement. C’est un prob­lème de rap­port entre deux êtres humains, donc c’est à l’in­fi­ni ; je peux par­ler aus­si des réac­tions de mes proches à ces prob­lèmes. Cette femme aus­si pour­rait de son côté par­ler de la façon dont les gens ont réa­gi.

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