En février dernier, France Culture consacrait un numéro de son émission hebdomadaire Soft Power à la politique culturelle menée à Grenoble sous le mandat d’Éric Piolle. L’émission – titrée La Vague verte des maires écologistes est-elle aussi une vague culturelle ? – se présentait comme un portrait à charge : le maire y était notamment accusé de rompre avec les politiques culturelles héritées de Malraux et de Lang, de gouverner sans concertation avec les partenaires culturels, de se replier sur une forme de localisme, de jouer les pratiques amateurs contre les institutions et d’avoir nommé une adjointe aux cultures ignorante des dossiers. Complétée sur le site de France Culture par un article du journaliste Frédéric Martel, cette émission a mis le feu aux poudres et déclenché une vive polémique à propos de la politique culturelle d’Europe Écologie Les Verts. En mars, cette polémique s’est étendue au monde lyrique, lorsque la mairie EELV de Lyon a pris la décision de diminuer de 500 000 euros la subvention annuelle allouée à son opéra national. En avril, la nouvelle équipe municipale de Bordeaux – toujours EELV – a mis en place une campagne d’affichage dans le cadre de son Forum de la Culture. Deux affiches – arborant les questions Artiste, c’est un métier ? et La culture, ça coûte trop cher ? – ont été reprises sur les réseaux sociaux et perçues comme un coup de poignard par un milieu culturel précarisé par un an de crise sanitaire.
L’article que vous lisez a été écrit dans ce contexte. Il est né du désir de dépasser les polémiques et autres réactions à vif pour tenter de cerner la pensée ou les pensées qui animent aujourd’hui EELV à propos de la culture en général et de l’opéra en particulier. Notre porte d’entrée a été un entretien avec Sandra Regol, Secrétaire nationale adjointe, qui a attiré notre attention sur l’une des caractéristiques d’EELV : être un parti sans doctrine. Nous avons décidé de la prendre au mot : les personnalités que nous avons interrogées occupent des positions variées au sein du parti : militants ou sympathisants, élus locaux ou nationaux, ils participent tous à leur niveau et avec leurs moyens à la réflexion globale d’EELV. Ils représentent chacun une couleur d’un nuancier idéologique dont nous avons essayé d’appréhender l’amplitude et de saisir la cohérence.
Quelle matrice idéologique ?
Un soupçon d’impréparation
À travers la polémique de Grenoble est reprochée à l’ensemble d’EELV son incapacité à développer une vision culturelle. Selon Dimitri Boutleux, adjoint au maire de Bordeaux chargé de la création et des expressions culturelles, il s’agit avant tout d’un manque de retour sur expérience : « On ne peut pas pointer éternellement du doigt Grenoble : un seul cas ne suffit pas à faire des généralités. »
Il est vrai que le succès électoral d’EELV est récent : le parti a fait de bons scores aux élections européennes de 2019, dans un contexte où la question de la crise climatique avait été portée sur le devant de la scène – notamment par la militante suédoise Greta Thunberg. La jeunesse relative du parti, fondé par Les Verts en 2010, rend le reproche d’immaturité facile. Pour Guillaume Durand, élu EELV à la mairie du 14e arrondissement de Paris, l’absence de mandats sur ces sujets a longtemps empêché le parti de se forger une expérience : « On ne va pas se mentir, la politique culturelle n’est pas notre thème de prédilection : tout simplement parce que, pendant longtemps, nous n’avons pas été à la tête de collectivités territoriales et que les sujets sur lesquels nous avions des délégations, des adjoints, des vice-présidents, concernaient rarement la culture. Du reste, nous n’avons jamais exercé de mandat exécutif national dans ce domaine. Et malheureusement, en France, la culture reste une compétence largement nationale. »
Dans un pays où l’Histoire s’écrit en s’appuyant sur de grands mythes nationaux, l’ex-sénatrice EELV Marie-Christine Blandin impute également ce manque de crédibilité à l’absence de figures tutélaires : « Les Communistes ont Aragon et Jean Ferrat, les Socialistes, Jack Lang et la Droite se drape dans Malraux. Chez EELV, nous n’avons pas d’équivalent. »
La doctrine en question
Selon Sandra Regol, Europe Écologie Les Verts a la particularité d’être un parti sans doctrine : comprendre que chaque élu.e dispose sur le terrain d’une certaine liberté pour mettre en actes les idées du parti. À Bordeaux, Dimitri Boutleux se satisfait de cet état de fait qui évite, selon lui, de tomber dans une forme de dogmatisme.
Un point de vue que ne partage pas Jean-Michel Lucas, consultant en politique culturelle : « L’action ne suffit pas. Pour lui donner un sens politique, il faut se situer par rapport à un référentiel idéologique. » En 2014, il a participé à la première campagne municipale d’Éric Piolle. Il évoque l’actuel maire de Grenoble et son intention affichée d’en finir avec la politique culturelle des années Malraux-Lang : « Proclamer la fin d’une histoire n’a d’intérêt que si l’on en écrit une nouvelle. Je ne partage pas les articles à charge qui sont parus sur Grenoble : il s’agit d’un bashing excessif. Pour autant, le parti gagnerait à adopter une doctrine claire. »