Le costume d’opéra, dans la trame des contraintes économiques et artistiques, et sur le fil de l’écoresponsabilité

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Réflexion

Le costume d’opéra, dans la trame des contraintes économiques et artistiques, et sur le fil de l’écoresponsabilité

Le 6 Juil 2021
Recherches sur l’indigo et ses mélanges, cahier d’études chromatiques de Christelle Morin, Opéra Comique, 2014. Photographie Nicolas Hoffmann
Recherches sur l’indigo et ses mélanges, cahier d’études chromatiques de Christelle Morin, Opéra Comique, 2014. Photographie Nicolas Hoffmann
Recherches sur l’indigo et ses mélanges, cahier d’études chromatiques de Christelle Morin, Opéra Comique, 2014. Photographie Nicolas Hoffmann
Recherches sur l’indigo et ses mélanges, cahier d’études chromatiques de Christelle Morin, Opéra Comique, 2014. Photographie Nicolas Hoffmann
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 144-145 - Opéra et écologie(s)
144 – 145

L’industrie de la mode jouant un rôle majeur dans la dégra­da­tion de l’environnement, il est judi­cieux de se pencher sur la pro­duc­tion des cos­tumes de scène. La ques­tion a le mérite de ramen­er l’enjeu écologique à une échelle aisée à appréhen­der et facile à partager : de l’emballage à la lessive, de l’achat peu regar­dant à la con­som­ma­tion rapi­de, le cos­tume qui a bril­lé quelques soirs pour s’endormir ensuite dans un plac­ard con­nait une vie com­pa­ra­ble à bon nom­bre de nos tenues. 

Regine Beck­er, cheffe de l’atelier cos­tumes de la Mon­naie à Brux­elles, pré­cise qu’un théâtre d’opéra pro­duit quelques cen­taines à quelques mil­liers de cos­tumes par an. Un bal­let du réper­toire mobilise de nom­breux danseurs, un opéra de Ver­di de nom­breux cho­ristes. Si la mise en scène respecte la dra­maturgie de l’œuvre, et que celle-ci implique des change­ments de cos­tumes, l’atelier tourn­era à plein régime. Son activ­ité est cepen­dant plus proche de la con­fec­tion arti­sanale que de l’industrie, et elle pèse peu dans l’empreinte car­bone du théâtre, surtout au regard des décors. Par ailleurs, Chris­tine Neumeis­ter, direc­trice des cos­tumes de l’Opéra de Paris, explique que dans la déci­sion, l’artistique et le plan­ning l’emporteront longtemps sur l’écoresponsabilité : toute réforme demande du temps, alors que pri­ment les impérat­ifs de pro­duc­tion. 

Si la sobriété s’impose un jour, ce sera pour des raisons économiques. Sera-t-elle écore­spon­s­able ? Rien n’est moins sûr. D’ailleurs, Chris­telle Morin, respon­s­able du ser­vice cos­tumes de l’Opéra Comique, souligne que cer­taines spé­ci­ficités du méti­er – la trans­mis­sion des savoirs arti­sanaux, l’esprit de recherche inces­sante pour s’adapter aux défis économiques et artis­tiques – don­nent d’emblée à ses prati­ciens une con­science aiguë de la rentabil­ité du tra­vail.

La ques­tion est donc triple : peut-on être écore­spon­s­able dans ce domaine, peut-on con­cili­er économie et écolo­gie, et peut-on le faire au prof­it de la créa­tion et de l’excellence ? Les respon­s­ables de grandes maisons ont bien voulu faire état de leurs réflex­ions et présen­ter les mesures qui sont pro­gres­sive­ment mis­es en place dans ce secteur.

Mârouf, savetier du Caire, costumes de Vanessa Sannino, Opéra Comique, 2013. Photographie Pierre Grosbois
Mârouf, saveti­er du Caire, cos­tumes de Vanes­sa San­ni­no, Opéra Comique, 2013. Pho­togra­phie Pierre Gros­bois

Achat, fab­ri­ca­tion ou recy­clage ?

Un an avant la pre­mière d’un spec­ta­cle, le.la créateur.trice cos­tumes soumet ses maque­ttes à l’atelier dont le.la respon­s­able ori­ente dès lors les recherch­es entre les voies de la créa­tion, de l’achat ou de la mise à prof­it du stock, en fonc­tion de la démarche artis­tique et du bud­get de pro­duc­tion. « Il ne faut pas fab­ri­quer pour fab­ri­quer », dit Thibaut Welch­lin à l’Opéra du Rhin.

Pour toutes sortes de pièces telles que sous-vête­ments, chemis­es et cos­tumes, l’achat en grande dis­tri­b­u­tion s’avère économique, cohérent lorsqu’il s’agit de vêtir un chœur. Bien des maisons souhait­eraient pro­scrire la fast fash­ion (H&M et Zara arrivent en tête des noms cités). Cela reste dif­fi­cile : les savoir-faire d’un ate­lier sont mieux util­isés dans le sur-mesure, pour les danseur.ses par exem­ple, qu’à la repro­duc­tion en série de banales tenues con­tem­po­raines.

Thibaut Welch­lin estime que les ate­liers « ont pour­tant un rôle à jouer pour les straté­gies à met­tre en œuvre ». C’est aus­si l’avis de Chris­telle Morin ain­si que de Jean-Philippe Blanc à l’Opéra nation­al de Bor­deaux, Véronique Ros­tag­no au Fes­ti­val d’Aix-en-Provence et Géral­dine Ingre­meau à l’Opéra de Lyon, qui soulig­nent l’implication de leurs salarié.es, de plus en plus porté.es au recy­clage et à la sobriété dans leur vie quo­ti­di­enne, con­vic­tions qui gag­nent les pra­tiques pro­fes­sion­nelles. 

D’après Géral­dine Ingre­meau, s’il est com­pliqué d’acheter local ou de trac­er les matéri­aux, si cer­taines mar­ques restent incon­tourn­ables, en par­ti­c­uli­er pour chauss­er les danseurs, les ate­liers dévelop­pent des savoir-faire liés à la trans­for­ma­tion, utiles car les stocks sont de plus en plus mis à prof­it, surtout dans les maisons dis­posant de for­ma­tions per­ma­nentes (chœur et bal­let), utiles aus­si car les friperies devi­en­nent une nou­velle ressource.

Le créa­teur Alain Blan­chot pro­scrit la grande dis­tri­b­u­tion, même sous pré­texte d’une esthé­tique con­tem­po­raine ou pau­vre. « C’est vrai que l’écologie néces­site des moyens. Or les bud­gets bais­sent alors qu’on con­tin­ue à vouloir de la nou­veauté. Recy­cler est donc vrai­ment intéres­sant, même si ça nous emmène vers un autre méti­er. J’y fais de plus en plus appel : le chœur de Boris Godounov, pro­duc­tion moné­gasque d’avril 2021, a été cos­tumé ain­si et je n’ai créé que les rôles solistes. J’ai plein d’adresses et je fréquente le site en ligne Vint­ed, qui sauve les cos­tu­miers : il faut fouiller, c’est long, mais on trou­ve des tré­sors ! »

Ercole amante, costumes de Vanessa Sannino, Opéra Comique, 2019. Photographie Stefan Brion
Ercole amante, cos­tumes de Vanes­sa San­ni­no, Opéra Comique, 2019. Pho­togra­phie Ste­fan Brion

Les matières

Si les ate­liers ont ban­ni la four­rure, le cuir reste à l’honneur, plus résis­tant et plus sain que le plas­tique. Autre matière naturelle prop­ice au recy­clage, les cheveux, employés dans les ate­liers per­ruques.  

« Quand je peux choisir, j’opte tou­jours pour les fibres naturelles : elles sont meilleures pour la peau et leur ren­du est plus esthé­tique », affirme la créa­trice Vanes­sa San­ni­no. Les ate­liers enrichissent leurs tis­suthèques avec des matières naturelles. Encore faut-il que les four­nisseurs puis­sent d’une part doc­u­menter l’origine des matéri­aux, d’autre part garan­tir une offre var­iée et une bonne réac­tiv­ité aux com­man­des. À l’Opéra de Paris, Chris­tine Neumeis­ter veut croire que les four­nisseurs s’aligneront sur les exi­gences des ate­liers, qui ont donc une marge de pro­gres­sion.

À l’Opéra Comique, Chris­telle Morin évite les com­man­des en ligne et priv­ilégie les com­merces de prox­im­ité : « C’est impor­tant pour juger du ren­du des matières, mais aus­si pour recueil­lir des élé­ments de com­para­i­son et faire des choix éclairés où pri­ment les pro­duits français. » Aux ate­liers de Venelles du Fes­ti­val d’Aix, Véronique Ros­tag­no priv­ilégie les four­nisseurs hexag­o­naux, mais doute : « Leur pro­duits vien­nent de loin. Avec quelles matières pre­mières sont-ils fab­riqués ? Au prix de quels par­cours ? Pour sat­is­faire à la fois les désirs du créa­teur et les impérat­ifs de pro­duc­tion (coût et mal­léa­bil­ité), nous sommes tou­jours dans le com­pro­mis. »

À Bor­deaux, Jean-Philippe Blanc tâche de boy­cotter les sites com­merçants comme AliEx­press. Il déplore que l’identification des prove­nances soit aus­si dif­fi­cile que chronophage, con­scient que le par­cours d’un bou­ton, de la matière pre­mière au tiroir de l’atelier, alour­dit le bilan car­bone du cos­tume. Mal­gré l’absence de four­nisseurs locaux, il joue la carte de la prox­im­ité : « Dans un esprit économique et écologique, je me four­nis en France plutôt qu’en Ital­ie ou en Alle­magne. C’est impor­tant de faire vivre notre écosys­tème. J’ai la même démarche à l’égard des sous-trai­tants, imprimeurs, brodeurs : je cherche d’abord des Bor­de­lais. Et lorsqu’on con­naît ses inter­locu­teurs, on peut les sen­si­bilis­er, à la réduc­tion des embal­lages par exem­ple. » Les four­ni­tures de mer­cerie sont sou­vent très embal­lées. Il n’est pas tou­jours aisé, pour des struc­tures inter­mé­di­aires comme les ate­liers, d’acheter des aigu­illes ou des agrafes en vrac. 

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Agnès Terrier
Docteure et agrégée de lettres, Agnès Terrier est dramaturge et conseillère artistique de l'Opéra Comique depuis 2007....Plus d'info
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