L’industrie de la mode jouant un rôle majeur dans la dégradation de l’environnement, il est judicieux de se pencher sur la production des costumes de scène. La question a le mérite de ramener l’enjeu écologique à une échelle aisée à appréhender et facile à partager : de l’emballage à la lessive, de l’achat peu regardant à la consommation rapide, le costume qui a brillé quelques soirs pour s’endormir ensuite dans un placard connait une vie comparable à bon nombre de nos tenues.
Regine Becker, cheffe de l’atelier costumes de la Monnaie à Bruxelles, précise qu’un théâtre d’opéra produit quelques centaines à quelques milliers de costumes par an. Un ballet du répertoire mobilise de nombreux danseurs, un opéra de Verdi de nombreux choristes. Si la mise en scène respecte la dramaturgie de l’œuvre, et que celle-ci implique des changements de costumes, l’atelier tournera à plein régime. Son activité est cependant plus proche de la confection artisanale que de l’industrie, et elle pèse peu dans l’empreinte carbone du théâtre, surtout au regard des décors. Par ailleurs, Christine Neumeister, directrice des costumes de l’Opéra de Paris, explique que dans la décision, l’artistique et le planning l’emporteront longtemps sur l’écoresponsabilité : toute réforme demande du temps, alors que priment les impératifs de production.
Si la sobriété s’impose un jour, ce sera pour des raisons économiques. Sera-t-elle écoresponsable ? Rien n’est moins sûr. D’ailleurs, Christelle Morin, responsable du service costumes de l’Opéra Comique, souligne que certaines spécificités du métier – la transmission des savoirs artisanaux, l’esprit de recherche incessante pour s’adapter aux défis économiques et artistiques – donnent d’emblée à ses praticiens une conscience aiguë de la rentabilité du travail.
La question est donc triple : peut-on être écoresponsable dans ce domaine, peut-on concilier économie et écologie, et peut-on le faire au profit de la création et de l’excellence ? Les responsables de grandes maisons ont bien voulu faire état de leurs réflexions et présenter les mesures qui sont progressivement mises en place dans ce secteur.
Achat, fabrication ou recyclage ?
Un an avant la première d’un spectacle, le.la créateur.trice costumes soumet ses maquettes à l’atelier dont le.la responsable oriente dès lors les recherches entre les voies de la création, de l’achat ou de la mise à profit du stock, en fonction de la démarche artistique et du budget de production. « Il ne faut pas fabriquer pour fabriquer », dit Thibaut Welchlin à l’Opéra du Rhin.
Pour toutes sortes de pièces telles que sous-vêtements, chemises et costumes, l’achat en grande distribution s’avère économique, cohérent lorsqu’il s’agit de vêtir un chœur. Bien des maisons souhaiteraient proscrire la fast fashion (H&M et Zara arrivent en tête des noms cités). Cela reste difficile : les savoir-faire d’un atelier sont mieux utilisés dans le sur-mesure, pour les danseur.ses par exemple, qu’à la reproduction en série de banales tenues contemporaines.
Thibaut Welchlin estime que les ateliers « ont pourtant un rôle à jouer pour les stratégies à mettre en œuvre ». C’est aussi l’avis de Christelle Morin ainsi que de Jean-Philippe Blanc à l’Opéra national de Bordeaux, Véronique Rostagno au Festival d’Aix-en-Provence et Géraldine Ingremeau à l’Opéra de Lyon, qui soulignent l’implication de leurs salarié.es, de plus en plus porté.es au recyclage et à la sobriété dans leur vie quotidienne, convictions qui gagnent les pratiques professionnelles.
D’après Géraldine Ingremeau, s’il est compliqué d’acheter local ou de tracer les matériaux, si certaines marques restent incontournables, en particulier pour chausser les danseurs, les ateliers développent des savoir-faire liés à la transformation, utiles car les stocks sont de plus en plus mis à profit, surtout dans les maisons disposant de formations permanentes (chœur et ballet), utiles aussi car les friperies deviennent une nouvelle ressource.
Le créateur Alain Blanchot proscrit la grande distribution, même sous prétexte d’une esthétique contemporaine ou pauvre. « C’est vrai que l’écologie nécessite des moyens. Or les budgets baissent alors qu’on continue à vouloir de la nouveauté. Recycler est donc vraiment intéressant, même si ça nous emmène vers un autre métier. J’y fais de plus en plus appel : le chœur de Boris Godounov, production monégasque d’avril 2021, a été costumé ainsi et je n’ai créé que les rôles solistes. J’ai plein d’adresses et je fréquente le site en ligne Vinted, qui sauve les costumiers : il faut fouiller, c’est long, mais on trouve des trésors ! »
Les matières
Si les ateliers ont banni la fourrure, le cuir reste à l’honneur, plus résistant et plus sain que le plastique. Autre matière naturelle propice au recyclage, les cheveux, employés dans les ateliers perruques.
« Quand je peux choisir, j’opte toujours pour les fibres naturelles : elles sont meilleures pour la peau et leur rendu est plus esthétique », affirme la créatrice Vanessa Sannino. Les ateliers enrichissent leurs tissuthèques avec des matières naturelles. Encore faut-il que les fournisseurs puissent d’une part documenter l’origine des matériaux, d’autre part garantir une offre variée et une bonne réactivité aux commandes. À l’Opéra de Paris, Christine Neumeister veut croire que les fournisseurs s’aligneront sur les exigences des ateliers, qui ont donc une marge de progression.
À l’Opéra Comique, Christelle Morin évite les commandes en ligne et privilégie les commerces de proximité : « C’est important pour juger du rendu des matières, mais aussi pour recueillir des éléments de comparaison et faire des choix éclairés où priment les produits français. » Aux ateliers de Venelles du Festival d’Aix, Véronique Rostagno privilégie les fournisseurs hexagonaux, mais doute : « Leur produits viennent de loin. Avec quelles matières premières sont-ils fabriqués ? Au prix de quels parcours ? Pour satisfaire à la fois les désirs du créateur et les impératifs de production (coût et malléabilité), nous sommes toujours dans le compromis. »
À Bordeaux, Jean-Philippe Blanc tâche de boycotter les sites commerçants comme AliExpress. Il déplore que l’identification des provenances soit aussi difficile que chronophage, conscient que le parcours d’un bouton, de la matière première au tiroir de l’atelier, alourdit le bilan carbone du costume. Malgré l’absence de fournisseurs locaux, il joue la carte de la proximité : « Dans un esprit économique et écologique, je me fournis en France plutôt qu’en Italie ou en Allemagne. C’est important de faire vivre notre écosystème. J’ai la même démarche à l’égard des sous-traitants, imprimeurs, brodeurs : je cherche d’abord des Bordelais. Et lorsqu’on connaît ses interlocuteurs, on peut les sensibiliser, à la réduction des emballages par exemple. » Les fournitures de mercerie sont souvent très emballées. Il n’est pas toujours aisé, pour des structures intermédiaires comme les ateliers, d’acheter des aiguilles ou des agrafes en vrac.