EN ARRIÈRE PLAN, l’Arche de Noé, naufragée. Tout autour,des arbres noyés, des mares puantes. Noé, la femme de Noé, les fils de Noé, Sem, Cham,
Japhet et leurs femmes pataugent parmi des animaux au milieu de plusieurs mètres de boue recouvrant la terre entière. Il règne une chaleur tropicale.
Sem :
J’aurai bientôt dégagé ma jambe gauche, j’en viendrai alors à faire mon cinquième pas aujourd’hui.
Cham :
J’en suis encore à mon deuxième.
La femme de Cham :
Pour cela donc on aura tenu le coup dans cette caisse qui se voulait un bateau, afin maintenant d’être dans la gadoue jusqu’au cou et l’on peut être heureux si l’on arrive à faire trois pas en avant d’ici ce soir.
Japhet :
Peut-être que ça irait plus vite à la nage !
Il essaie de nager, mais n’y parvient pas, ses frères et leurs femmes rient.
Noé :
Allez, continuez ! Vous imaginez que pour avoir survécu au déluge pendant six mois, vous retrouveriez une place au paradis ? Soyez heureux qu’un jour vos pieds puissent toucher un bout de gravier sec.
Subitement la voix de Dieu retentit d’en haut.
Dieu :
Croissez et multipliez et peuplez le peuple de la terre.
Les fils de Noé rigolent, leurs femmes se bouchent les oreilles. Noé et sa femme font le signe de croix.
Dieu :
C’est le signe de l’alliance que j’ai faite entre moi et vous et toutes les âmes vivantes, pour toute l’éternité désormais.
Cham :
Ta gueule !
Japhet :
Ferme-la ! Dis-nous plutôt comment nous arriverons jamais à retirer nos pattes de cette gadoue.
Sem :
Aïe ! Une pierre, une pierre !
Noé :
Qu’y a‑t-il encore ! Une pierre, comme si c’était le moment de plaisanter.
La femme de Noé :
Une pierre ! Cela ne se peut pas, cela ne se trouve plus !
Sem :
Aussi vrai que j’ai cassé mon petit orteil, aussi vrai ai-je eu affaire à une pierre.
Retire son pied de la boue et le pointe sous les yeux de Noé.
Noé jubile :
C’est vrai, il est cassé ! Il y a encore des pierres dans ce monde !
La femme de Noé :
Il y a encore autre chose au monde que de la boue et de l’eau ! Nous sommes sauvés !
Elle s’évanouit.
Noé :
Une pierre ! Une pierre !
La femme de Noé revientà elle :
Une pierre ! Une pierre !
Noé :
Maintenant je voudrais être en présence de celui qui oserait encore prétendre : « on n’y parviendra pas à mettre jamais le pied sur le sol ferme ! » d’un geste large Je vous le dis en vérité, le jour est proche où nous parviendrons à un vrai désert. Allons vers l’avant ! Au désert ! Au désert !
Dieu soupire, Noé peste, la femme de Noé pleure, ses fils rigolent, les jeunes femmes sont fâchées, les animaux beuglent, ensemble ils pataugent plus avant.
Texte traduit par Maurice Taszman.