Origine et création de « Apnée ou le dernier des militants»*

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Origine et création de « Apnée ou le dernier des militants»*

Le 1 Juil 1999
Article publié pour le numéro
Écrire le théâtre aujourd'hui-Couverture du Numéro 61 d'Alternatives ThéâtralesÉcrire le théâtre aujourd'hui-Couverture du Numéro 61 d'Alternatives Théâtrales
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A L’OCCASION du Fes­ti­val d’Av­i­gnon 1995, à la Mai­son du Théâtre, dans le cadre des « Com­man­dos d’écri­t­ure » de Madeleine Laïk, j’ai don­né lec­ture d’un JOURNAL DE BORD écrit par Yves Rey­naud durant les trois mois qui ont précédé l’élec­tion prési­den­tielle de Mai 1995 en France (15 min­utes de lec­ture env­i­ron). Il s’agis­sait du jour­nal d’un homme ayant arrêté de fumer, en manque donc, et qui procla­mait sa révolte con­tre cer­tains argu­ments enten­dus durant la cam­pagne éle­cro­rale.

À l’époque, je ter­mi­nais juste l’aven­ture CHARLOTTE DELBON° 31 661.

Codi­recteur de la com­pag­nie Bagages de Sable avec Claude-Alice Pey­rottes, deux années nous avaient été néces­saires pour met­tre en œuvre cette man­i­fes­ta­tion théâ­trale et lit­téraire. Elle réu­nis­sait comme un chœur antique, le même jour, à la même heure ; 320 comé­di­ennes dans 160 com­munes de France pour une lec­ture d’une nuit des œuvres de Char­lotte Del­bo.

En faisant ce geste artis­tique et éthique (une charte fédérait tous les parte­naires du pro­jet), je m’é­tais inter­rogé — plus qu’à l’or­di­naire sans doute — sur le sens du théâtre.

L’aven­ture ter­minée, il me fal­lait trou­ver le moyen de sor­tir de la péri­ode de « dépres­sion » qui lui suc­cé­dait. Et voilà qu’en lisant ce texte d’Yves, la pre­mière image qui me vient est celle d’un petit homme qui en a marre de se taire et monte sur un cageot pour pren­dre la parole publique­ment. J’é­tais moi-même debout der­rière un pupitre proférant le texte, face au pub­lic, entouré d’autres acteurs et surtout d’ac­tri­ces …

Leurs réac­tions pen­dant et après la lec­ture, les com­men­taires et la pres­sion soudaine et chaleureuse qui s’ex­erça sur moi, le plaisir que j’avais pris comme acteur me don­nèrent sans doute l’au­dace d’abor­der l’au­teur présent, la lec­ture finie, et de lui pass­er com­mande d’un mono­logue qui dévelop­perait la piste pro­posée. Comme une évi­dence, Yves Rey­naud a accep­té la propo­si­tion.

Dès lors, ensem­ble, nous nous sommes mis à rêver aux impré­ca­tions d’un petit homme (plus tard il pren­dra le nom de Paul Klein­mann ), à un texte qui s’ap­par­enterait aux univers du SOUS-SOL, du JOURNAL D’UN FOU et du HORLA.

Nous nous sommes égale­ment fixé des règles du jeu, en par­ti­c­uli­er celle de présen­ter au pub­lic les dif­férentes étapes du proces­sus de créa­tion. C’est ain­si qu’à Poitiers par exem­ple, en l’e­space de deux jours, j’ai pu lire deux ver­sions très dif­férentes du texte. Ain­si l’ac­teur et l’au­teur pou­vaient éval­uer la per­ti­nence d’un frag­ment par rap­port à l’ensem­ble sans jamais per­dre la notion de jeu et de spec­ta­cle. Et les spec­ta­teurs deve­naient les témoins de ce lab­o­ra­toire ouvert.

S’agis­sant d’un désir d’ac­teur, j’é­tais asso­cié à la con­fec­tion du texte final, et expéri­men­tais par le corps les propo­si­tions de l’au­teur.

Notre héros deve­nait le récep­teur de deux incon­scients, ou de trois, si l’on compte celui du pub­lic. Cette démarche nous a don­né la jubi­la­tion de l’im­pro­vi­sa­tion, la pos­si­bil­ité pour l’ac­teur d’es­say­er les mots de l’au­teur, celui-ci con­fec­tion­nant son texte comme un tailleur ajuste l’habit de son client. Le texte de la représen­ta­tion deve­nait alors pour l’ac­teur comme morceau de jazz : il avait ses pas­sages oblig­és mais se sen­tait en même temps, vis-à-vis de sa par­ti­tion, aus­si libre qu’un musi­cien de jazz. Parce qu’il pos­sé­dait la con­nais­sance organique de la con­struc­tion du morceau.

En jouant le spec­ta­cle, je ressens encore aujour­d’hui une respon­s­abil­ité par­ti­c­ulière sur le con­tenu lui-même. Si je reste le passeur de l’œu­vre de l’au­teur, je suis dans une intim­ité avec le mou­ve­ment de la pen­sée du héros et con­nais par­fois l’o­rig­ine des argu­ments qu’il développe.

Reste le mys­tère de l’écri­t­ure, l’in­spi­ra­tion pro­pre à l’au­teur, l’in­time ; là où le sens se dérobe, m’échappe, les frac­tures …

Au final,Yves Rey­naud défini­ra ain­si l’ar­gu­ment de la pièce : « Paul Klein­mann, comé­di­en au chô­mage (il y a vingt ans, il a fait un tri­om­phe dans ŒDIPE ROI) décide d’ar­rêter de fumer le pre­mier jan­vi­er 1995. Peut-être a‑t-il peur pour sa san­té, ou bien veut-il incon­sciem­ment plaire à Mar­i­anne, sa voi­sine, les bonnes raisons ne lui man­quent pas. Il fait donc le ser­ment de renon­cer au tabac.

Jeune (c’é­tait en mai 68) il a aus­si juré de rester tou­jours de gauche.

Subis­sant une sorte de déséquili­bre organique et men­tal causé par son sevrage nico­tinique, il décide brusque­ment de se présen­ter comme can­di­dat anti- tabac à l’élec­tion prési­den­tielle. C’est son jour­nal de cam­pagne (du pre­mier jan­vi­er au 27 avril 1995) qui con­stitue le texte du spec­ta­cle. Le jour­nal d’un petit homme ayant la folle audace de vouloir jouer dans la cour des grands … »

Si je retrou­ve dans l’ar­gu­ment de la pièce les traces de notre ren­con­tre, l’écri­t­ure reste celle d’un auteur sin­guli­er. Ce qui me frappe, c’est la pré­ci­sion qua­si obses­sion­nelle des mots et des sit­u­a­tions.

Je me délecte de son humour, mais ce qui me reste au bout du compte, c’est une infinie ten­dresse pour ses per­son­nages noyés dans leur intran­sigeance, leurs paroles don­nées, les valeurs fortes aux­quelles ils s’ac­crochent, et qui, con­fron­tés au réel, dérapent et entrent dans des crises qui révè­lent les absur­dités de notre monde. Yves Rey­naud est un auteur du « tra­gi-comique ».

*Spec­ta­cle de Patrick Michaëlis et Yves Rey­naud. Texte : Yves Rey­naud, paru dans REGARDE LES FEMMES PASSER, édi­tions Théâ­trales. Jeu : Patrick Michaëlis. Regard com­plice : Jean-Louis Ray­naud.

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Patrick Michaëlis
Patrick Michaëlis est comédien et directeur de la Compagnie Bagage de sable. Il prépare, avec...Plus d'info
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