Hybridation : une apocalypse comique

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Hybridation : une apocalypse comique

Le 1 Juil 1999
Philippe Beauchamps, Denis Brandon, Gilles Chavassieux, Sébastien Clausier, Caroline Deragne, Romaine Friess, Philippe Mangenot, Daniel Pouchier, Emmanuelle Ricci, Olivier Rougerie et Pierre Salignat dans NÉO de Jean-Pierre Sarrazac, mise en scène Gilles Chavassieux. Photo Christian Ganet.
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Article publié pour le numéro
Écrire le théâtre aujourd'hui-Couverture du Numéro 61 d'Alternatives ThéâtralesÉcrire le théâtre aujourd'hui-Couverture du Numéro 61 d'Alternatives Théâtrales
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DÈS LE TITRE, NÉO, TROIS PANNEAUX D’APOCALYPSE1, Jean-Pierre Sar­razac brouille les pistes, pro­pose une néo-pièce qui exhibe sa nou­veauté et donne simul­tané­ment des références his­toriques et pic­turales. Il tend des pan­neaux. Dans la présen­ta­tion de la pièce, un peu plus loin, il annonce un trip­tyque. Ces « sup­ports de bois d’un tableau » offerts au regard annon­cent prophé­tique­ment l’apoc­a­lypse et rap­pel­lent en même temps le Nou­veau tes­ta­ment. Dou­ble grand écart, déjà, que ces ponts jetés entre la pein­ture et le théâtre, entre un passé indéter­miné et un futur incer­tain. L’apoc­a­lypse est tou­jours pour demain, tou­jours à réan­non­cer, à moins qu’elle ne soit, enfin, pour main­tenant (apoc­a­lypse now ), en dépit des images du passé qu’elle sus­cite. Si cela ne suff­i­sait pas à nos attentes, Sar­razac annonce un « genre », la comédie ; de tels classe­ments ne sont pas dans les habi­tudes des écri­t­ures con­tem­po­raines, à moins qu’une apoc­a­lypse « comique » soit plus facile­ment con­cev­able en ce moment, surtout si elle fait tableau.

Autant de pièges et de pan­neaux sont les pre­miers indices d’une impureté avouée, d’une hybri­da­tion recher­chée. Sar­razac théoricien s’est sou­vent déclaré en faveur du rhap­sode, poète du rapetas­sage, du « rapailleur » comme dis­ait joli­ment !‘écrivain québé­cois Gas­ton Miron. Il a rap­pelé sa méfi­ance par rap­port à l’idéal du « bel ani­mal » aris­totéli­cien et s’est pas­sion­né pour les écri­t­ures tra­vail­lant le geste du dé-lieur. Les formes dra­ma­tiques accueil­lant le réc­it, le théâtre investi par le roman, l’épique se sou­venant du dra­ma­tique, la parabole et l’écri­t­ure du détour, sont quelques-unes des pistes qu’il explore et qu’il a com­men­tées, notam­ment dans L’AVENIR DU DRAME2. Il serait dom­mage et un peu vain de chercher dans NÉO l’ap­pli­ca­tion de règles d’une poé­tique con­tem­po­raine et de nous en tenir à un pro­jet sco­las­tique. D’au­tant que cette comédie fait flèche de tout bois, et que, tra­vail­lant les dif­férents gen­res, liant et déliant pan­neaux et morceaux, multipliar{t les écarts, Sar­razac pro­pose au lecteur une fable rel­a­tive­ment atten­due (l’apoc­a­lypse à l’Est vue par des Français) qu’il rend inquié­tante en la creu­sant de l’in­térieur et en met­tant per­pétuelle­ment en dan­ger son pro­jet de comédie.

Au cen­tre de la fable, l’in­stal­la­tion à Moscou de Can­toulat, un grand cuisinier français que la pièce ne mon­tre jamais. Il y ouvre un restau­rant gas­tronomique spé­cial­isé, notam­ment, dans la cui­sine du sud-ouest. Comme le dit avec ent­hou­si­asme et naïveté un de ses assis­tants, citant son maître, « je fais entr­er la grande cui­sine française dans la ville de Moscou, exacte­ment comme Ulysse aux orig­ines de notre civil­i­sa­tion a fait pénétr­er son cheval dans Troie. » Cette métaphore s’avère d’emblée plus com­plexe puisqu’il serait plus juste de par­ler d’une série de matri­ochkas, en l’oc­cur­rence de pro­jets s’emboîtant les uns dans les autres à l’in­su du cuisinier. Tous con­tribuent à l’échec du désir ini­tial. Une société cap­i­tal­iste inter­na­tionale déna­ture l’en­vie orig­inelle du pur ama­teur de cui­sine. Pour celle-ci, il s’ag­it évidem­ment moins de faire con­naître la gas­tronomie française que de gag­n­er de l’ar­gent au plus vite. Pour Kovacs, un des col­lab­o­ra­teurs loin­tains du cuisinier, l’en­trée dans l’ex­pédi­tion est l’oc­ca­sion d’é­couler dans les ex-pays com­mu­nistes des boîtes de foie gras ou de ven­dre des caiss­es de vais­selle fine. De la plus petite ambi­tion (intime) à la machi­na­tion la plus com­plexe (la multi­na­tionale), une série de désirs vib­ri­on­nants et con­tra­dic­toires déna­ture l’en­vie sincère de réus­site culi­naire de Can­toulat. L’ar­gent, la drogue, le sexe, la réus­site per­son­nelle s’im­briquent. Un défilé de dessous chics se greffe sur le ban­quet, un strip-tease sur le défilé, une orgie sur le strip-tease. L’en­fer est dans le sous-sol, les cuisines brû­lent avec le cuisinier (un comble!). La semoule dans la cui­sine française fait scan­dale. Un peu de français sur­nage encore sur beau­coup d’anglais et un zeste de russe. Cette struc­ture pro­liférante est for­cé­ment can­céreuse ; l’ac­tion ini­tiale sem­blait sim­ple, elle éclate en une série de micro-événe­ments qui échap­pent en fait à tous les per­son­nages, à com­mencer par Can­toulat. Aucun désir pur n’est pos­si­ble, tout pro­jet porte en lui son par­a­site secret, bien décidé à prof­iter des cir­con­stances. L’é­ton­nant per­son­nage de Kovacs, éter­nel vendeur de sa per­son­ne, les résume tous à lui seul ; il
est prêt à sauter sur les occa­sions de se lancer dans un nou­veau coup, en dépit ou à cause de son incom­pé­tence prim­i­tive : la loi du « busi­ness » le lui dicte.

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Jean-Pierre Ryngaert
Jean-Pierre Ryngaert est professeur à l'Institut d'Études théâtrales (Paris III-Sorbonne Nouvelle) dont il est l'actuel...Plus d'info
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