ALTERNATIVES THÉÂTRALES : Pouvez-vous décrire le mode de fonctionnement de Théâtre Ouvert dans sa recherche, sa découverte et sa promotion d’auteurs d’aujourd’hui ?
Pascale Gateau : Théâtre Ouvert est un théâtre d’essai et de création et, également, fonctionne, avec la même équipe, comme une maison d’édition atypique. Nous recevons par centaines des manuscrits de France et des pays francophones. À leur arrivée, nous les enregistrons pour en garder une trace et nous les trairons cas par cas après en avoir accusé réception à l’auteur. Les textes sont répartis encre plusieurs membres de l’équipe, et après lectures, routes les trois semaines, dans une réunion animée par Micheline Attoun, nous en discutons et nous décidons de ce que nous pouvons proposer. Évidemment, la plupart ne peuvent aboutir à un projet dans l’immédiat ; néanmoins, un courrier est adressé à l’auteur qui résume notre sentiment commun. Certains font l’objet d’un premier dialogue avec l’auteur, qui peut éventuellement déboucher sur une mise en relation avec des praticiens du théâtre.
Ce travail en amont va irriguer plusieurs modes d’action propres à Théâtre Ouvert : l’édition dans notre collection TAPUSCRIT (à raison de cinq titres par an en moyenne, tirés à 1000 exemplaires chacun, adressés gratuitement aux professionnels et vendus dans certaines librairies spécialisées et aux compagnies indépendances), une pratique sur le terrain dans le cadre des diverses formes d’essai : les mises en espace ou les mises en voix à l’occasion de chantiers ou de cartes blanches et, parfois directement, la création avec un spectacle.
Tous ces modes d’action ont pour but de permettre à un auteur de faire le point sur son écriture et de sensibiliser les professionnels et le public à la dramaturgie contemporaine.
Exclusivement consacré depuis sa création à la promotion des écritures d’expression française, Théâtre Ouvert, pour répondre à des demandes européennes et à la nécessité d’une politique d’échanges, a élargi son action aux dramaturgies étrangères : la présentation la saison dernière d’un panorama de la dramaturgie néerlandaise et flamande, la préparation d’une semaine allemande et les contacts en Italie, avec Intercity, à Londres, avec le Royal Court, à Édimbourg, avec le Traverse theatre, en témoignent.
A.T.: Qu’est-ce qui émerge actuellement pour vous dans le paysage des auteurs dramatiques français ? Voyez-vous certaines tendances se dessiner ? Quels aspects privilégiez-vous dans les œuvres que vous retenez ?
P. G.: Dans les nombreux textes que nous recevons, la diversité et la multiplicité des genres et des formes existent. Souvent dans ce que nous refusons nous trouvons même des pièces écrites en vers ou imitant la langue du théâtre classique ou traduisant un goût pour un théâtre suranné. À l’évidence, nous avons besoin d’adhérer aux œuvres avec lesquelles nous allons avoir un parcours.
Après la vague de l’intime, chez la plupart des jeunes aureurs les problématiques tendent peu à peu à évoluer vers des préoccupations un peu plus sociales et un peu moins nombrilistes — on parle plus volontiers des exclus, des banlieusards, de la vie dans les campagnes, des maladies qui, pour certaines, ont des répercussions dans notre société. Se dégage une humanité plus concernée par son environnement, sa relation à l’autre dans la collectivité, son rapport au monde. Et même s’il existe toujours les « désenchantés » qui décrivent un monde noir et désespéré, le traitement se fait avec une distance, plus humoristique, le ton s’essaie au rire.
Aujourd’hui on peut constater que, par manque de propos, beaucoup abordent le mythe. Rares sont ceux qui arrivent à exploiter cerce forme de représentation du monde avec pertinence. Un beau contre-exemple est la pièce d’Eugène Durif, MEURTRES HORS CHAMP qui incorpore le mythe d’Électre.
Quelques jeunes aureurs privilégient un travail formel sur la langue ec la structure théâtrales. Parmi eux on repère vite les influences : Vinaver, certes, Kolrès, er plus récemment Philippe Minyana.
Chez certains un souci de mise en page ou de mise en situation du texte s’affirme comme une priorité ; ce qui rapproche la texture dramatique du genre poétique. Quelques-uns se recommandent clairement de Mallarmé quand d’autres paraissent marqués par l’expérience du poète, subissant une mode stylistique. Souvent ratée, cette démarche paraît fabriquée, abstraite et parfois devient une sorte d’enveloppe du vide, de la poudre aux yeux.
S’il y a eu un grand courant du monologue — qui reste d’ailleurs le mode préféré des nouveaux auteurs (nous avons édité de Laurent Gaudé ONYSOS LE FURIEUX et de Joris Lacoste COMMENT CELA EST-IL ARRIVÉ?)- il semble quelque peu disparaître au profit du dialogue. Notamment Noëlle Renaude dans FICTION D’HIVER(un texte en cours d’écriture qui fera l’objet du Chantier n°9) travaille un dialogue qui génère sa fiction.
Dans nos choix, nous privilégions les auteurs qui questionnent la représentation théâtrale, qui explorent de nouvelles dramaturgies et de nouvelles écritures, même si l’expérience reste fragile, incertaine et inachevée. Et cela sans pour autant nous couper des auteurs avec lesquels nous avons déjà un parcours.
La thématique participant de la forme, le premier regard se fait sur l’écriture. Le « de quoi parle-t-on ? » est moins prioritaire pour nous que le « comment parle-t-on ? » Ce qui ne veut pas dire que la question du sensible est exclue. En théorie, on pourrait dire que les œuvres que nous privilégions sont celles d’auteurs qui, selon nous, s’arrangent le mieux avec ces deux interrogations.
Dans la pratique, nous choisissons également des textes qui sont porteurs d’univers forts et singuliers et qui ne témoignent pas nécessairement d’une dramaturgie novatrice. Grâce à ce travail de lecture de manuscrits, de dialogue avec les auteurs ec de mise en relation avec des praticiens, notre mission est de parvenir à ce que l’écriture dramatique puisse se confronter le plus favorablement possible au plateau et, idéalement, aboutir à la création.