Créée à l’Opéra de Lyon en octobre 2014, la mise en scène du Vaisseau fantôme par Àlex Ollé1, cofondateur de la compagnie catalane La Fura dels Baus, est portée par une critique politique et sociale trouvant sa synthèse dans une perspective écologique. Le metteur en scène trace avec ce spectacle une voie originale dans l’écocritique du capitalisme mondialisé – champ encore nouveau alors sur les scènes lyriques internationales – contribuant au renouvellement de l’approche de la nature dans le répertoire wagnérien.
Tandis que l’orchestre de l’Opéra de Lyon entonne sous la baguette de Kazushi Ono « le motif représentant, musicalement, la malédiction qui pèse sur le Capitaine hollandais […] ce motif de quelques mesures, plus rythmique que mélodique […], qui produit l’effet d’une silhouette vivement accentuée, d’une ombre aperçue à la lueur de la foudre, et dont l’attitude suffit pour l’imprimer dans notre souvenir2 », le rideau se lève et découvre, sur toute la hauteur du cadre de scène, l’immense proue d’un navire marchand prise dans la tempête, se dressant sur les vagues pour se fracasser dans l’onde, projetée sur sa coque grâce aux vidéos conçues par Franc Aleu.
Cette installation gigantesque imaginée par le scénographe Alfons Flores figure tour à tour, sur mer et sur terre, le navire marchand de Daland, le vaisseau fantôme du Hollandais et la carcasse d’un paquebot échouée sur une plage de l’hémisphère sud. Là se trouve le parti pris d’Ollé : situer l’action du Vaisseau dans les pays les plus pauvres du monde contemporain, pour en actualiser la symbolique et retendre les dynamiques interpersonnelles. Le Hollandais (Simon Neal) reste la figure mythique dont Senta (Magdalena Anna Hoffmann) connaît la malédiction depuis sa plus tendre enfance : errant sur les mers jusqu’au jugement dernier, il attend la mort que seule la fidélité d’une femme pourra lui procurer. Chez Ollé, telle une apparition des profondeurs de son inconscient, le Hollandais surgit de la cale du navire de Daland (Falk Strukmann) pour lui acheter la main de sa fille Senta.
Les volumes du décor qui, grâce au jeu des projections, se transformaient d’abord en onde déchaînée, figurent au second acte les dunes de la plage bengalaise de Chittagong, jonchée de détritus et de ferraille, que les fileuses de Sandwicke récupèrent et trient un à un en chantant l’attente des matelots partis en mer – pendant que des ouvriers démantèlent derrière elles le corps d’un cargo abandonné. C’est dans ce cimetière marin que Daland réapparaît et présente le Hollandais à Senta, laissant les futurs époux s’échanger aussitôt des serments d’amour éternel. Surprenant sur cette même plage le chasseur Erik (Tomislav Muzek) venu rappeler à Senta leurs promesses d’amour passées, le Hollandais se croit trahi et, après avoir renié sa fiancée, embarque avec son équipage d’ombres. L’énorme étrave est évacuée, les dunes redeviennent tempête et l’héroïne plonge dans les images des flots pour sauver l’être auquel elle a juré fidélité.
L’écocritique au croisement de l’imaginaire et de la réalité