PHILIPPE QUESNE, LE SCÉNOGRAPHE-JARDINIER

Entretien
Théâtre

PHILIPPE QUESNE, LE SCÉNOGRAPHE-JARDINIER

Le 8 Juil 2023
© Christophe Raynaud de Lage. LE JARDIN DES DELICES Conception, mise en scene et scenographie Philippe Quesne, Collaboration scenographique Elodie Dauguet, Costumes Karine Marques Ferreira, Collaboration dramaturgique Eric Vautrin, Assistanat a la mise en scene Francois-Xavier Rouyer. Avec Jean-Charles Dumay, Leo Gobin, Sebastien Jacobs, Elina Lowensohn, Nuno Lucas, Isabelle Prim, Thierry Raynaud, Gaetan Vourc'h
© Christophe Raynaud de Lage. LE JARDIN DES DELICES Conception, mise en scene et scenographie Philippe Quesne, Collaboration scenographique Elodie Dauguet, Costumes Karine Marques Ferreira, Collaboration dramaturgique Eric Vautrin, Assistanat a la mise en scene Francois-Xavier Rouyer. Avec Jean-Charles Dumay, Leo Gobin, Sebastien Jacobs, Elina Lowensohn, Nuno Lucas, Isabelle Prim, Thierry Raynaud, Gaetan Vourc'h
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 149 - Théâtre / Paysage - Althernatives Théâtrales
149

Depuis la créa­tion du Vivar­i­um stu­dio et de la pre­mière pièce de la com­pag­nie en 2003, La Démangeai­son des ailes, le met­teur en scène et scéno­graphe Philippe Quesne pour­suit sa quête d’ailleurs, invente des mon­des par­al­lèles si pos­si­ble meilleurs. Priv­ilé­giant l’écriture de plateau et le col­lage d’idées, les cadavres exquis textuels et visuels, il prélève des parts du réel en arrosant ses par­adis arti­fi­ciels, agence des échan­til­lons de paysages naturels, urbains ou extra­or­di­naires ; il recrée des jardins utopiques sans souci de réal­isme, ne s’interdisant aucun lan­gage scénique ni plas­tique. 

Si son souci pour le devenir de la planète est sincère, qu’il se demande depuis tou­jours, avec Bruno Latour, Où atter­rir ?, si ses préoc­cu­pa­tions pour l’environnement et le com­mun des mor­tels humains et non humains1 tra­versent ses créa­tions, la représen­ta­tion scénique de ces ques­tions se traduit par des évo­ca­tions poé­tiques et visuelles : des fan­tas­magories non dénuées d’humour, faisant appel à l’histoire de l’art et à l’imagerie liée à sa bande d’interprètes : jar­diniers tout ter­rain, vision­naires d’outre-monde, habi­tants de ter­rar­i­ums qui cul­tivent joyeuse­ment leurs imag­i­naires débridés pour créer col­lec­tive­ment des îlots hab­it­a­bles pour des com­mu­nautés en quête de mon­des à ré-enchanter. 

© Christophe Ray­naud de Lage. LE JARDIN DES DELICES Con­cep­tion, mise en scene et scenogra­phie Philippe Quesne, Col­lab­o­ra­tion scenographique Elodie Dau­guet, Cos­tumes Karine Mar­ques Fer­reira, Col­lab­o­ra­tion dra­maturgique Eric Vautrin, Assis­tanat a la mise en scene Fran­cois-Xavier Rouy­er. Avec Jean-Charles Dumay, Leo Gob­in, Sebastien Jacobs, Eli­na Lowen­sohn, Nuno Lucas, Isabelle Prim, Thier­ry Ray­naud, Gae­tan Vour­c’h

Sylvie Mar­tin-Lah­mani ‒ Que t’inspire l’alliance des ter­mes « théâtre » et « paysage » ?

Philippe Quesne ‒ J’adore ce terme de paysage, c’est pour cela que j’ai tant de plaisir à faire du théâtre, met­tre en scène des tableaux vivants. L’espace cadré de la cage de scène, l’analogie avec le ter­rar­i­um, la pos­si­bil­ité pour le spec­ta­teur d’observer des corps en train de men­er des expéri­ences, avec des bor­ds de la scène rel­a­tive­ment ouverts et une illu­sion de recon­sti­tu­tion du réel dont le pacte est établi depuis des cen­taines d’années : le théâtre offre un cadre très prop­ice à la mise en scène du paysage. Toute l’histoire du théâtre est con­sti­tuée de fab­riques du paysage. Même les grandes avancées esthé­tiques des toiles peintes, de la per­spec­tive, sont là unique­ment pour faire évoluer notre rela­tion à la façon de trans­pos­er la réal­ité sur scène. C’est un espace fan­tas­ma­tique incroy­able parce que le pacte est clair, les con­di­tions sont posées. Au théâtre, même un sol en terre ou de véri­ta­bles branch­es ne font pas illu­sion longtemps. C’est un art de la trans­po­si­tion. J’utilise du vrai-faux depuis vingt ans, en per­ma­nence : chute de pluie qui s’abat sur une toile peinte roman­tique (Le Chant de la terre, 2021), cav­erne de bâch­es plas­tiques et sta­lac­tites en mousse (La Nuit des tau­pes, 2016), paysage d’arbustes enneigés et rouleaux de coton (La Mélan­col­ie des drag­ons (2008), île tour­nante en car­ton-pâte de Crash Park (2018). Loin d’un théâtre nat­u­ral­iste, j’utilise un vocab­u­laire qui mon­tre tous les arte­facts et la façon dont les humains sont en capac­ité de recon­stituer des mon­des. Ce sont sou­vent des corps-jar­diniers, des com­mu­nautés de paysag­istes qui organ­isent la scène. J’aime bien faire l’analogie entre le jar­dinier et le machin­iste de théâtre, mon­tr­er des acteurs qui bougent eux-mêmes leurs pro­pres objets, des élé­ments de décor qui évolu­ent durant la représen­ta­tion. 

SML ‒ Cette alliance entre théâtre et paysage tra­verse tes créa­tions de nom­breuses façons. Com­mençons par tes explo­rations des espaces extérieurs, naturels ou indus­triels, à mi-chemin entre le land art et la créa­tion in situ. Je me sou­viens d’un petit livre de pho­tos en espace naturel qui était extrême­ment drôle.

Philippe Quesne ‒ Très rapi­de­ment après la créa­tion du Vivar­i­um, en 2004, nous avons été invités en Bour­gogne à créer Des expéri­ences dans une forêt, autour d’un lac, la nuit. J’ai régulière­ment immergé mon équipe dans la vraie nature pour faire des per­for­mances, des séances de pho­tos. Pour ce petit livre, on a réfléchi aux actions en milieu naturel et à la vie des plantes en milieu urbain. Ces expéri­ences assez con­fi­den­tielles, réal­isées dans le cadre de fes­ti­vals dans le paysage de Riga ou au Potager du Roi à Ver­sailles (2012), nous per­me­t­taient de con­duire des spec­ta­teurs en pleine nature. Elles ont don­né lieu à des séries de pho­tos et à des films, que j’ai bien­tôt nom­més Bivouacs. J’aimais sor­tir de la cage de scène et avoir un rap­port de vrai et de faux, emmen­er mon équipe véri­ta­ble­ment ressen­tir des paysages. Les Tau­pes, indi­recte­ment, ont aus­si fait l’objet de nom­breuses prom­e­nades et autres parades semi secrètes, avec des ani­maux comme guides pour aller dans des bois ou des endroits mys­térieux de la ville, des sous-sols, des cav­ernes.

SML ‒ Dans Farm fatale, créé en 2019, il est ques­tion de nature et de paysans (certes aux allures d’épouvantails…), de dépayse­ment. Comme sou­vent, tu y représentes un micro­cosme de manière abstraite : pas d’imitation de la nature, juste un grand cyclo blanc et quelques bottes de paille en laine, des sym­bol­es et les ultimes enreg­istrements sonores d’une terre en péril…

Philippe Quesne ‒ Il s’agit d’une fable sur l’environnement, inspirée de la men­ace des sols par les pes­ti­cides, des hor­reurs qu’on est en train d’avaler. Et, curieuse­ment, c’est là que j’ai le plus dénudé le plateau avec une toile blanche : comme le degré zéro du paysage, l’espace vide, un cyclo blanc pour accueil­lir les derniers sur­vivants d’une com­mu­nauté dis­parue et masquée. Les tomates, les blés, les océans, les forêts n’existent que dans les dis­cours des per­son­nages. Le vocab­u­laire choisi ici pour évo­quer les espèces végé­tales et ani­males étant très explicite et réal­iste, j’ai éprou­vé le besoin de vider la scène. Il n’est resté que quelques bottes de paille et ces cinq épou­van­tails : ce sont les mots qui char­gent la pièce d’un cer­tain nom­bre d’images de la nature. Dans d’autres spec­ta­cles, j’ai eu besoin de recon­stituer la nature parce qu’on n’en par­lait pas.

C’est cet équili­bre que je cherche tou­jours dans l’esthétique de mes scéno­gra­phies. Le Swamp club (2013), par exem­ple, est assez réal­iste. Il s’agissait de pro­téger un Cen­tre d’art, implan­té au cen­tre d’un marécage, men­acé d’anéantissement par un pro­jet urbain. À la fin, les inter­prètes rési­dant au Swamp club finis­saient par ranger les plantes arti­fi­cielles dans ce cen­tre, car dans mon théâtre on prend autant soin du réel que de l’artificiel ! C’est un vaste pro­jet où l’on peut aus­si bien arroser des plantes en plas­tique et les abrit­er, que flo­quer des branch­es de neige pour les ré-enchanter…

  1. Philippe Quesne, « C’est la cohab­i­ta­tion humain/non-humain qui m’intéresse », entre­tien réal­isé par Frédérique Aït-Touati et Flo­re Garcin-Mar­rou, thaêtre [en ligne], Chantier #4 : Cli­mats du théâtre au temps des cat­a­stro­phes. Penser et décen­tr­er l’anthropo-scène, mis en ligne le 10 juil­let 2019 : https://www.thaetre.com/2019/06/02/cest-la-cohabitation-humain-non-humain-qui-minteresse/ ↩︎
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Sylvie Martin-Lahmani
Professeure associée à la Sorbonne Nouvelle, Sylvie Martin-Lahmani s’intéresse à toutes les formes scéniques contemporaines....Plus d'info
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