POÉTIQUE et politique, le titre apparaît comme une façon pudique de dire et de ne pas dire à la fois. D’indiquer une direction sans tout à fait nier la possibilité d’une contradiction, d’une antinomie. Le théâtre peut-il concilier poétique et politique ? La question elle-même dessine l’espace d’une problématique héritée de l’Histoire et de l’histoire du théâtre. De la tragédie grecque adossée à la vie politique de la Cité, à la tragédie classique qui relaie, parfois avec une certaine distance, l’orthodoxie de l’État, une grande partie de l’histoire du théâtre décline le lien au politique sans le problématiser comme tel.
Ce lien, en fait, devient problématique lorsque le théâtre tend à s’émanciper des divers pouvoirs (politique et religieux) pour conquérir une autonomie qui passera par une professionnalisation toujours plus grande de toutes les instances de la vie théâtrale et par la quête de normes qui soient strictement artistiques. Or le théâtre, qui commence à s’organiser de la sorte au cours du XVIIIe siècle, devient aussi quasi exclusivement tributaire des lois du marché. Dans la concurrence entre entrepreneurs de spectacles, à travers les revendications professionnelles comme celle du droit d’auteur, et même, en partie, sous la règle esthétique de l’originalité et de la singularité, c’est le public qui tend à devenir un facteur dominant de la vie théâtrale. Et l’on peut suivre très précisément, comme l’a fait Christophe Charle dans plusieurs capitales européennes1 1, l’organisation du théâtre sur une base matérielle (infrastructures et personnel) renouvelée. Le répertoire joué, quant à lui, reflète massivement l’aspiration à une esthétique qui corresponde à l’avènement et à la consécration politique de la bourgeoisie. Et cette grande adéquation est sans doute la cause du fait que nombre d’auteurs de cette période ne sont pas, selon la formule, « passés à la postérité ».