BERNARD DEBROUX : Tu es associée à ce vaste projet multidisciplinaire du Groupov, TOVARITCH, qui se déroule – préparation et créations – sur plusieurs années. Vous prenez en charge, toi et Claude Schmitz, le deuxième volet, centré sur la possible disparition de l’homme et sur les rêves de la science de pouvoir construire un homme artificiel, le mythe de Frankenstein. Comment êtes-vous arrivés à cette question et comment vous a‑t-on choisis, vous, (ou peut-être vous êtes vous choisis et présentés…) pour prendre en charge cette partie du projet.
Quelle est la place de cette partie par rapport à l’ensemble dans le cadre de cette démarche habituelle du Groupov : le work in progress… ?
Marie-France Collard : Nous sommes arrivés à un stade de l’évolution de l’humanité où celle-ci s’est créé la possibilité d’œuvrer à sa propre fin. C’est donc, brièvement résumée, l’idée centrale du projet TOVARITCH. Il y a, bien sûr, les armes atomiques qui ont cette capacité. Et rien, dans l’histoire de l’Homo Sapiens, ne permet de penser qu’il sera assez « sapiens » pour ne pas les utiliser. D’autant qu’il a à sa portée, aujourd’hui, les moyens scientifiques pour intervenir sur son identité même. Le volet 2, FRANKENSTEIN – c’est un titre provisoire – traite de la manière dont la science s’est emparée du corps et essaie de le transformer, entre autres, à travers quelque chose d’essentiel, de fondateur pour l’esprit humain, c’est-à-dire : la reproduction, le rapport à l’autre sexe, au désir et le rapport à la descendance. Grâce à la biogénétique, on peut, depuis quelques décennies, enfanter sans avoir eu de rapport sexuel, par fécondation in vitro et réimplantation de l’embryon dans l’utérus. On peut également effectuer des diagnostics pré-implantatoires sur les embryons congelés disponibles, détecter telle ou telle maladie, et pourquoi pas bientôt, le sexe, la couleur des yeux, puis les « trier » et sans doute intervenir sur le code génétique, dans l’idée d’obtenir un enfant considéré comme « parfait » – notion ô combien subjective – tout cela, si les législations le permettent, pris en charge par la médecine. Certains envisagent également l’ectogenèse, c’est-à-dire le fait de conduire une grossesse à son terme complètement à l’extérieur du corps féminin. C’est la porte ouverte à tous les possibles… Enfin, il existe une autre potentialité : dans un futur pas très lointain, en combinant la biotechnologie, la nanotechnologie, la robotique, l’intelligence artificielle, il sera sans doute envisageable de concevoir un être complètement artificiel, bien que fait en partie de matière organique, capable de s’auto-reproduire et qui finalement pourrait donner naissance à une nouvelle « espèce ».