Les goûts désunis. Disparités culturelles dans la mise en scène lyrique

Théâtre
Réflexion

Les goûts désunis. Disparités culturelles dans la mise en scène lyrique

Le 3 Juil 2012
Article publié pour le numéro
Couverture numéro 113_113 - Le théâtre à l’opéra, la voix au théâtre
113 – 114

« LA MISE EN SCÈNE ne com­mence vrai­ment qu’au troisième acte. »1 En alle­mand dans le texte, la phrase claque comme une gifle. Elle ouvre la cri­tique d’un jour­nal­iste renom­mé d’outre-Rhin trai­tant d’une mise en scène de TRISTAN UND ISOLDE par le Français Olivi­er Py, au Grand Théâtre de Genève. Que sig­ni­fie t‑elle exacte­ment ? Qu’au goût du rédac­teur, les deux pre­miers actes n’étaient qu’une « mise en images » spec­tac­u­laire certes, mais dénuée d’un geste puis­sant de met­teur en scène qui aurait assuré la pri­mauté de ce dernier sur les autres élé­ments du spec­ta­cle – principe de ce qu’on appelle le Regi­ethe­ater (théâtre de mise en scène). De manière éton­nante, ce spec­ta­cle jugé avec une sem­blable sévérité par la plu­part des com­men­ta­teurs alle­mands devait pour­tant obtenir le Prix du syn­di­cat de la cri­tique française… 

L’exemple n’est pas isolé et il ne con­cerne pas seule­ment les jour­nal­istes. Cette diver­gence de récep­tion attire notre atten­tion sur la ques­tion du goût, qui n’est man­i­feste­ment pas le même selon que l’on ait gran­di en ter­res ger­maniques ou en pays latin. Un exa­m­en atten­tif des spec­ta­cles lyriques pro­posés dans dif­férentes régions d’Europe con­firme le phénomène : on ne voit pas le même genre de représen­ta­tions dans les théâtres de France, d’Allemagne, d’Italie ou de Grande-Bre­tagne. En dépit d’une ten­dance à l’«homogénéisation » provo­quée par l’intensification des échanges transna­tionaux – à tra­vers les copro­duc­tions jadis raris­simes, mais ren­dues aujourd’hui néces­saires par l’urgence de « mutu­alis­er » les coûts d’investissement –, mal­gré le fait, donc, que l’on peut (re)voir un même spec­ta­cle à Lon­dres, Aix-en-Provence, Ams­ter­dam, Flo­rence et Vienne, toutes les pro­gram­ma­tions ne se ressem­blent pas. Au-delà des col­orations apportées par les équipes direc­to­ri­ales, on croit pou­voir décel­er des nuances à l’échelle, si ce n’est nationale, du moins cul­turelle : le monde fran­coph­o­ne pra­tique une forme de théâtre qui a ses par­tic­u­lar­ismes et se dif­féren­cie du théâtre ger­manique tout autant que du spec­ta­cle à l’anglo-saxonne. 

Quelles sont ces car­ac­téris­tiques « cul­turelles » et com­ment se man­i­fes­tent-elles con­crète­ment dans les spec­ta­cles ? Sont-elles à l’origine de cer­tains malen­ten­dus, voire de scan­dales reten­tis­sants ? Ont-elles une source his­torique ? Sont-elles des­tinées à s’estomper ou, au con­traire, à s’aviver ? C’est à de telles ques­tions que cet arti­cle ten­tera d’esquisser des répons­es, de manière tour à tour empirique et instinc­tive. 

D’un pays l’autre 

En matière de mise en scène lyrique, les clichés ont la vie dure. De nom­breux spec­ta­teurs rangent encore les mis­es en scène d’opéra en deux caté­gories sim­plistes : mod­erne ou tra­di­tion­nelle. Avec générale­ment un unique et grossier critère : est con­sid­éré comme « mod­erne » tout ce qui ne respecte pas la let­tre des indi­ca­tions scéniques – ou l’image d’Épinal qu’on en pos­sède. Et de mul­ti­ples con­fu­sions : entre la scéno­gra­phie et la mise en scène, entre la direc­tion d’acteur et son absence, entre ce que la musique est cen­sée exiger et ce qui relèverait d’une sup­posée dic­tature du dra­maturge. Il n’en reste pas moins qu’au-delà des clichés, on peut effec­tive­ment relever des ten­dances dans les dif­férents pays qui pra­tiquent l’opéra depuis plusieurs siè­cles. Au risque du gauchisse­ment, ten­tons de cern­er quelques traits car­ac­téris­tiques. 

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Alain Perroux
Alain Perroux est directeur général de l’Opéra national du Rhin depuis janvier 2020, après avoir...Plus d'info
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