Cris rafales de mitraillettes explosions
deux acteurs déboulent dans la salle se cachent entrent en scène
les personnages sont deux enfants
Janette et James
Edoxi Lionelle Gnoula est la grande soeur
Hyppolite Kanga le petit frère un peu fou
la scène
un encadrement de porte quelques pierres posées au sol
une baraque leur refuge
simplicité du décor évocation de maisons à moitié
démolies par les explosions
deux musiciens sur le plateau silencieux deux ombres qui
attendent et regardent
David Zoungrana à la guitare Dioari Abidine Coulidiaty
( l’auteur ) aux percussions
guerre fratricide génocide
une situation insoutenable
deux enfants se sont enfuis de chez eux pour se réfugier
entre ces quatre murs
ils bloquent l’entrée comme ils peuvent et attendent
à l’extérieur par intervalles on entend
cris
rafales de mitraillettes
explosions
Janette parle de ces hommes horribles et grands avec
leurs armes à feu
ces ogres de contes de fées qu’on ne verra pas
pourtant ils sont bien là
on les entend semer la panique à coups de fusils
grande soeur et petit frère sont de petits animaux dans
cette maison comme Hansel et Gretel perdus dans la forêt
les grands yeux écarquillés d’effroi
Janette est blessée au bras
ils ont fui sans se retourner et ne savent pas ce qu’il est
advenu de leur mère père frères et soeurs
en vain ils essaient de leur téléphoner papa ne décroche
pas
nous sommes à Katalanga
ville imaginaire
la sonorité renvoie à cette région du Congo voisine du
Rwanda le Katanga
notre imagination se cogne à ces tueries entre ethnies qui
n’épargnent personne
mais Katalanga c’est aussi
Sabra et Chatila
Irak
Bosnie
Haïti
et tant d’autres régions dans le monde où la soif de sang
est la seule loi qui règne
GERMES DE FOLIE nous parle du massacre des innocents en
temps de guerre
la pièce s’indigne devant tant d’injustice
qu’est-ce qui pousse des hommes à tuer
les germes du mal sont-ils en chacun de nous
l’action se déroule en une soirée
peut-être même une heure
le temps du spectacle
un moment de crise extrait de la vie
épinglé devant nos yeux
étiré comme une peau de bête
une crise maintenue en suspens
en suspens entre la vie et la mort
ponctuée par des rafales de mitraillettes
l’imminence du danger
soudain
Janette aperçoit
dans un coin là-haut
Jésus accroché à sa croix
un peu lointain un peu
comme un aigle blanc et rayonnant
les bras écartés dans un appel à la foi
que fais tu là
elle l’attrape le retire de son socle
un ange tombé du haut de son perchoir de sa sphère
mystique
pour se cogner à la dure réalité des hommes
Janette la soeur
le prend entre quatre yeux
à quoi tu sers
vas-tu nous aider oh Jésus réponds quand je te parle
silence
tu entends
dehors les soldats tu entends la mort qui guette
nous t’avons assez prié maintenant tu vas nous aider
ces hommes sont comme tes bourreaux
qui t’ont accroché là-haut
de gros salops
silence
mitraillettes
Janette et James se cachent
James pleure attrape Jésus le jette et lui décoche une
droite
traître
à quoi tu sers Dieu si tu n’aides pas les innocents
dans un cri de révolte presque naïf deux enfants pleurent
devant la face impassible de Dieu
les mitraillettes crachent leur venin
une autre question se fraie un chemin
brûlante
et l’Église dans tout ça
le rôle controversé des catholiques au Rwanda
et toutes ces atrocités de par le monde où la foi la sainteté
et Dieu se trouvent mêlés aux actes barbares des hommes
où la religion se déploie comme une bannière au vent
un souffle de mépris contre cet autre qui n’est pas comme
moi qui ne croit pas comme moi
qui est autre résolument et donc n’est rien
au nom de Dieu je l’annule
j’en ai le droit
Janet James et Jésus
trois personnages
pris au piège dans cet espace clos
un triangle de Bermudes une plaine de Je
le Jeu du chat et de la souris
un huis clos entre trois réfugiés
un lieu de Jonction
où les personnages Jonglent entre espoir et désespoir
3 Je comme une trinité de Jouets du destin Jouets
des Hommes
de leur soif de pouvoir
les deux enfants se prennent dans les bras
et comme une revanche sur le sort
se racontent des histoires chantent dansent
Jésus devient avion à réaction
poupée réconfortante petit enfant
connais-tu l’histoire des deux canards
on se la raconte pour lui pour nous
pour tenir le coup
deux canards coincés dans une mare ne peuvent pas
s’envoler au risque de se faire tuer
le petit frère canard prend son envol
la sœur crie
les canards c’est nous
on passe du rire aux larmes
James pour consoler sa grande sœur danse et chante
les musiciens sont là guitare et percu
ils accompagnent le corps de ce petit frère qui prend
son envol
Janette chante
les mots sortent en saccades
rythmés et corrosifs
vous n’avez pas le droit
GERMES DE FOLIE une tragédie
constellée de ces bijoux de rire
qui brillent et illuminent le noir implacable
de cette nuit sans espoir
comme une respiration avant de sombrer dans le gouffre
de petits sas de décompression
où la vie règne sur toutes les folies
où le rire ressort triomphant
on garde ces moments en échos longtemps
au chaud
au cœur
comme des bijoux précieux
dont la lumière protège du noir
la fin comme un couperet tombe
Janette et James au son des mitraillettes se planquent
dans un grand carton
mais la statue de Jésus est restée allongée au sol
comme une épave
impossible de l’abandonner celui-là
Jésus comme un ange déchu
est devenu
une poupée aimée choyée
un semblable
un ami
un frère
Janette ne peut l’abandonner
d’un bond elle sort du carton
l’attrape
James crie
laisse-le au sol
des soldats entrent et la fusillent
ironie du sort une jeune enfant sacrifiée ses derniers mots
sont pardon pardon
elle tient entre ses mains ce symbole comme un bouclier
inutile et tombe
absurdité de la guerre
absurdité des symboles au nom desquels on tue
GERMES DE FOLIE pose ces questions jusqu’à la dernière
minute
jusqu’au dernier souffle
jusqu’au dernier espoir
un coup de poing
on en sort la gorge serrée
révoltés
Janet et James deviennent nos frères et sœurs