Jean Michel Bruyère — Ne pas être négligent

Jean Michel Bruyère — Ne pas être négligent

Entretien avec Jean-Paul Curnier

Le 21 Avr 2005
Photo de tournage de L’INSULTE FAITE AU PAYSAGE, 2005.
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L'épreuve du risque-Couverture du Numéro 85-86 d'Alternatives ThéâtralesL'épreuve du risque-Couverture du Numéro 85-86 d'Alternatives Théâtrales
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« DE L’IDÉE de com­pos­er un texte à deux, Jean Michel Bruyère (l’interviewé) et Jean-Paul Curnier (l’interviewer) nous pro­posent des ques­tions aux répons­es silen­cieuses. Out­re le car­ac­tère ludique de la sit­u­a­tion, Jean Michel Bruyère nous a dit avoir par­ti­c­ulière­ment appré­cié l’attitude de celui qu’il a lui même choisi pour engager cette “dis­cus­sion” autour du risque et de la révolte. C’est ain­si qu’à la parole pro­lixe de l’“interviewer”, répon­dent les silences de l’“interviewé”»

Jean-Paul Curnier : La révolte aujourd’hui ? Ce qu’il faut enten­dre par là ? Un méti­er, un salaire sans doute, un savoir-faire de jeune appren­ti mondain, voilà ce qu’il en reste. Le risque encou­ru ? Celui, avec un peu de tal­ent pour ça, beau­coup de cal­cul et d’entregent, d’une sit­u­a­tion d’artiste dans la société, voilà ! Ce que cela sug­gère : une désolante voca­tion de bête décervelée soumise à une loi qu’elle ignore et, para­doxale­ment– pour ne pas dire comique­ment, étant don­né la cir­con­stance –, con­va­in­cue de sa dig­nité, la cla­mant partout. Un con­formisme désar­mant dans l’adaptation à la dégra­da­tion de toute chose et se vivant comme absol­u­ment inno­cent de son infamie par-dessus le marché.

Jean Michel Bruyère :

J.-P. C.: Est-il imag­in­able de ren­con­tr­er par­mi les jeunes aspi­rants bour­geois d’aujourd’hui quelqu’un qui ne se dise pas révolté con­tre l’injustice, la vio­lence, qui ne se dise pas engagé ? Est-il envis­age­able, même par­mi les célébrités les plus dép­ri­mantes de bêtise appointée, de trou­ver quelqu’un qui ne se déclare pas révolté par une chose ou une autre ? Quand ce n’est pas, comme la plu­part du temps, par le peu d’espace qui est don­né à sa pen­sée – cette pen­sée qu’il s’obstine à croire sienne alors qu’elle n’est que le hoquet en lui du monde qui l’a accueil­li, l’a éduqué et récon­forté, habil­lé et nour­ri et qui main­tenant l’exhibe comme son héri­ti­er par­fait, ignare, indocile et destruc­teur comme lui et, en toute chose, mille fois méri­tant. En d’autres ter­mes : la révolte, l’insoumission sont pour ce sys­tème l’expression de la con­ti­nu­ité de quelque chose que sa dom­i­na­tion s’emploie par ailleurs à éradi­quer au prix fort, c’est-à-dire au prix de la mise en œuvre jusque dans ses moin­dres recoins et à grand ren­fort de manœu­vres mil­i­taires de la loi de jun­gle du marché sur la vie à échelle plané­taire. La ques­tion à laque­lle répond sans le savoir l’éloge de la révolte comme trait mod­erne de car­ac­tère et signe de sen­si­bil­ité con­v­enue est donc plutôt celle-ci : com­ment se faire plus obéis­sant encore à la loi de survie élé­men­taire, à cette nou­velle sélec­tion dar­wini­enne dans l’espèce qu’impose la société marchande plané­taire, aux impérat­ifs de la pro­duc­tion et de la dom­i­na­tion sans affect qui l’accompagne ? Com­ment ne plus la voir au point de croire s’y oppos­er ? Ou l’inverse, tout aus­si évi­dent : com­ment se croire rebelle en dépit de toute réal­ité, au point de ne plus voir que l’asservissement baigne cette soi-dis­ant révolte. À com­mencer par cette forme de con­sen­te­ment apathique à la destruc­tion de tout ce qui est, se fait et advient ?

J. M. B.:

J.-P. C.: Quand cessera-t-on, dans ce pays, de se sat­is­faire, avec des gestes de gourmets cul­turels bien éduqués, du gémisse­ment sans hon­neur de vain­cus con­ver­tis en vic­times procé­durières, igno­bles et exem­plaires ? Et quand vom­i­ra-t-on enfin l’innocence besogneuse­ment tra­vail­lée de ces pitoy­ables bouf­fons déguisés en rebelles qui assurent, dans la con­ster­na­tion générale, le rôle de faux indignés, de faux témoins, de faux jetons, de faux héros, de minables appointés, de déchus volon­taires et con­sen­tants pro­posés comme exem­ple aux autres, à tous les autres et, dans un même élan, au diver­tisse­ment de tous ces mêmes autres ? Ces autres déjà si atro­ce­ment sem­blables, sur ce point-là pré­cisé­ment.

J. M. B. :

J.-P. C.: Il faut le dire ici comme ailleurs et une bonne fois pour toutes : la révolte, étant don­né l’usage qui en est mas­sive­ment fait du côté des indus­tries de la dis­trac­tion, n’est plus qu’un hochet ridicule de car­naval en regard des forces de répres­sion tri­om­phantes dis­séminées sur toute la planète et jusque dans les moin­dres inter­stices de l’existence humaine. Car les forces de répres­sion, qui sont d’abord des forces de cor­rup­tion par la marchan­dise c’est-à-dire par l’habitude que donne la marchan­dise de tout mépris­er comme marchan­dise, comme dig­nité pros­ti­tuée, de tout jeter, la mode une fois dépassée, de tout décon­sid­ér­er par avance de ce à quoi on est prêt à s’attacher pour un temps ; bref de savoir de toute chose qu’elle est sans aucune valeur autre que celle d’être avilie et mise à la portée de tous moyen­nant argent.

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Jean Michel Bruyère
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Jean-Paul Curnier
Jean-Paul Curnier est écrivain, directeur littéraire aux Éditions Lignes & Manifeste, et membre du comité...Plus d'info
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