Hubert Colas — Je risque d’être ou je risque quoi à être

Hubert Colas — Je risque d’être ou je risque quoi à être

D’après un entretien avec Judith Martin

Le 17 Avr 2005
PURIFIÉS de Sarah Kane, mise en scène de Hubert Colas. Photos Bellamy.
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L'épreuve du risque-Couverture du Numéro 85-86 d'Alternatives ThéâtralesL'épreuve du risque-Couverture du Numéro 85-86 d'Alternatives Théâtrales
85 – 86
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ON RISQUE OÙ ? (au théâtre?) Dans l’action, dans l’engagement. On risque quoi ? Le regard. Le risque, c’est quoi, par­ler d’un temps, d’un espace, d’un regard hors du com­mun. Oser encore s’interroger. Pas pour y inscrire quelque chose de spé­ci­fique­ment nou­veau. Il y a risque peut-être pour inciter un déplace­ment, un regard, une écoute. Ris­quer être en dehors des fron­tières de l’ère du tout com­mu­ni­cant.

La pre­mière sen­sa­tion à cette ques­tion est qu’il n’y a pas de risque à faire ce que je fais et la deux­ième c’est que cela ne va pas sans risque.

Ne pas pren­dre de risque ? C’est être là où ce qui est représen­té s’entend, se voit, se perçoit comme un élé­ment déjà con­nu. C’est être là où l’exercice d’être spec­ta­teur n’est plus sol­lic­ité, mais con­forté. C’est être là où rien ne bouge. C’est voir de l’identique pour de l’identique. Un lieu où ce que l’on voit nous fait croire à ce que nous voulons qui soit, avec un zeste de « Il faut faire quelque chose pour…, cela racon­te ceci ou cela, j’ai vu ça déjà et c’est vrai que…». Un con­formisme ambiant de la représen­ta­tion. En ce lieu-là, le poli­tique n’a aucune crainte que son élec­torat ne se dis­perse, ne se dis­solve dans la réflex­ion d’un savoir autre. La con­som­ma­tion demande des objets con­som­ma­bles pour la con­som­ma­tion. Des objets sans risque qui se man­gent vite. Il faut que le théâtre ressem­ble au théâtre. S’il ressem­ble à autre chose, à quoi peut-il bien ressem­bler ? Quelqu’un en aurait-il peur ? Et de quoi aurait-il peur ? Qui fran­chit le risque ? Quelque chose aurait-il le pou­voir de chang­er quelque chose dans le regard de cer­tains…? Mais le théâtre n’a rien à chang­er. Il est ce qui change. Et pas pour chang­er mais pour être à l’image de ce qui change en nous et de notre per­cep­tion du monde.

Il n’y a plus aucun risque. Le risque a été avalé par la forme. Un risque bour­geois qui s’émoustille sur son siège lorsque l’un d’entre nous, un artiste, s’est approché d’une expres­sion où son corps est en jeu. Et si un peu de déchet humain appa­rait ou fait croire en son appari­tion, le scan­dale du bien séant se met à râler dans les rangs et les télé­phones se met­tent à son­ner dans les bureaux, « Ça on ne peut pas ». Et l’artiste a‑t-il pris un risque ? Non. Pas vrai­ment. Il s’engage dans son acte, présent à lui, ouvrant le champ des pos­si­bles et l’offrant aux spec­ta­teurs. Le théâtre a sans doute des lim­ites dans le risque con­venu qui est don­né aux spec­ta­teurs.

D’autres formes d’expression comme la per­for­mance ou les arts plas­tiques enga­gent le corps des artistes témoignant ou sym­bol­isant par leurs actions cer­tains codes de représen­ta­tions du monde. Dans ce cadre-là, la plu­part des expres­sions n’engendrent aucun scan­dale. Y a t‑il une règle accept­able de la représen­ta­tion ?

La révolte est-elle vrai­ment un risque aujourd’hui ? Cela sent la bonne ques­tion.

La révolte est devenu une fig­ure de style, elle porte sa pro­pre représen­ta­tion et s’identifie comme telle. Les révoltes se sont vidées de leurs sens. Mais une société qui ne porte plus en elle de grande révolte, peut-être parce qu’elle ne porte plus d’idéologie de vie, parce qu’elle n’a plus de pro­jet et d’idéal com­mun de vie, ne peut plus regarder la révolte comme acte fon­da­teur. Aujourd’hui, la révolte a‑t-elle encore un espace dans l’espace pub­lic ? La révolte exclut. Quel est l’espace où la révolte trou­ve encore une écoute ?

Est-il encore pos­si­ble dans son pro­pre pays de pren­dre le risque de la dif­férence en étant sem­blable ? Ne sommes-nous pas en train de deman­der à tous les artistes d’Europe d’être pareils ? La scène Européenne donne-t-elle le goût et la sen­sa­tion du risque parce que les us et cou­tumes des pays gar­dent encore un peu de leur pro­pre orig­ine ?

Un bon nom­bre de met­teurs en scène européens présen­tent en France des œuvres qui sont ici qual­i­fiées de « risquées » – parce qu’il y a un champ qui nous paraît étrange, moins vu et donc plus exo­tique. Je ne crois pas qu’ils pren­nent plus de risque. Je pense que cer­tains créa­teurs français tra­vail­lent sur des espaces sim­i­laires et qu’on ne leur donne pas l’espace de leur expres­sion.

Est-ce que toutes les grèves de la faim se ressem­blent ? La révolte ne peut être un acte représen­té. Ce qui est révolte doit aus­si être le regard porté par le pub­lic sur les œuvres représen­tées. Refuser la stan­dard­i­s­a­tion des offres, refuser le moulage des formes, refuser le for­matage de la demande.

Les créa­teurs sont des êtres de risque. Ils sont des êtres en révolte, ils n’ont besoin d’aucun risque, d’aucune révolte, ils sont le risque et la révolte.

C’est aux dif­fuseurs et aux pou­voirs publics de pren­dre le risque de les représen­ter.

PURIFIÉS de Sarah Kane, mise en scène de Hubert Colas. Photos Bellamy.
PURIFIÉS de Sarah Kane, mise en scène de Hubert Colas. Photos Bellamy.
PURIFIÉS de Sarah Kane, mise en scène de Hubert Colas. Pho­tos Bel­lamy.

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