« Cela peut paraître étrange mais c’est comme si la présence ajoutée
des marionnettes intensifiait la clarté de la musique. Plutôt que de poser une barrière supplémentaire entre le spectateur et le chanteur, elle agit comme un révélateur ».
William Kentridge.
L’influence du bunraku sur le théâtre moderne en occident n’a cessé de grandir au cours des dernières décennies. Ce n’est pas un hasard. Une rencontre s’est opérée entre cette tradition japonaise et l’art du théâtre tel qu’il se pratique ici marqué par l’héritage brechtien et toutes les formes de distanciation qui portent son empreinte.
Comme dans le bunraku, de plus en plus de spectacles de marionnettes pratiquent la manipulation à vue obligeant le spectateur à partager son regard entre la marionnette et le marionnettiste, entre le personnage et celui qui l’anime, « entre la fiction et la manière dont cette fiction est créée ».1
Le travail du metteur en scène William Kentridge associé à la Handspring Pupett Company s’inscrit dans cette approche qu’ils vont appliquer à l’opéra dans la vision nouvelle qu’ils ont donné d’IL RITORNO D’ULISSE IN PATRIA, de Claudio Monteverdi créé à Bruxelles en mai 1998 dans le cadre du Kunstenfestival des Arts.2
C’est à partir d’une idée centrale simple et forte que le spectacle va se construire. IL RITORNO D’ULISSE est une sorte de « nastos », mot grec pouvant signifier « poème d’un voyage du retour » (et d’où dérive le mot nostalgie). Cette idée va guider le metteur en scène durant tout son parcours et la manière dont il la décline va rendre sa réalisation emblématique des caractéristiques du spectacle moderne à la fois par la pluralité des significations qu’il offre à la compréhension du spectateur et par la pluralité des formes qu’il propose à son univers sensible.
Une rencontre déterminante
William Kentridge est né à Johannesbourg. Après une formation universitaire, il s’est tourné vers le théâtre, le mime, le cinéma et les Beaux-Arts. Tout en étant reconnu comme plasticien et réalisateur de films d’animation, il a continué à travailler pour le théâtre comme décorateur et acteur puis comme metteur en scène.
Au début des années 90 Kentridge, qui développait une technique de films d’animation à partir de dessins au fusain, a vu dans les marionnettes un élément moteur pour ses réalisations.
La Handspring Pupett Company fondée au début des années 80, notamment par Adrian Kohler et Basil Jones, a toujours considéré la marionnette comme un langage théâtral à part entière et a expérimenté très tôt le mélange d’acteurs et de marionnettes.
Basée en Afrique du sud, elle a aussi, dès son origine, opté pour une collaboration entre différents groupes raciaux. La rencontre entre William Kentridge et la compagnie va être déterminante pour leur évolution artistique réciproque.
Tandis que le cinéaste se mit à utiliser des figurines de bois pour ses films, la compagnie l’invita à participer à ses réalisations en se servant du langage filmique pour ses spectacles.
Il ne s’agissait pas seulement d’introduire un élément supplémentaire à l’action mais aussi et surtout, par la présence sur scène de l’image filmée, d’attribuer à la marionnette comme une capacité de rêve, et de favoriser ainsi des associations d’idées et d’émotions.
De cette collaboration entre le cinéaste et la compagnie sont nées une série d’œuvres remarquables dont ils signent ensemble la mise en scéne : une nouvelle approche de l’œuvre de Büchner,WOYZECK ON THE HIGHVELD, puis de celle de Goethe, FAUSTUS IN AFRICA, et enfin celle de Jarry, UBU AND THE TRUTH COMMISSION, les spectacles de cette trilogie prenant appui très fortement sur l’histoire de l’Afrique du Sud et son contexte politique.
IL RITORNO D’ULISSE, en abordant l’univers de l’opéra va constituer une étape supplémentaire décisive dans l’accomplissement de cette œuvre commune.