GEORGES BANU : Dans la logique d’un festival comme le festival de Liège, comment te situes-tu par rapport à cette éternelle question des spectacles à découvrir par le public et des spectacles reconnus que le public attend ?
Jean-Louis Colinet : Je ne crois pas qu’au Festival
de Liège le public soit en attente de spectacles « reconnus ». Je le crois plus curieux que cela. Selon moi, il est d’abord en attente de découvertes, d’aventures singulières, d’étonnements, d’une fenêtre largement ouverte sur le monde, ses cultures, ses questions, ses sensibilités.
Un festival, par le fait qu’il se déroule dans un temps très limité, est un moment rempli d’énergie,
de force. Un moment qui rassemble, qui génère des chocs, la confrontation, l’émoi, l’engouement ou le rejet. Dans ce sens, la notion de découverte, d’ouverture du champ de la pensée et de l’émotion est beaucoup plus importante que la présentation de spectacles reconnus par la critique internationale. Un festival n’est ni un catalogue, ni une vitrine. Il ne se passe généralement pas grand chose dans les vitrines. Je ne suis ni un fétichiste de la trouvaille, ni un admirateur des play-list…
La caractéristique première du Festival de Liège, c’est précisément son caractère résolument engagé. C’est cette volonté « d’interroger le présent ». Chacun des spectacles que nous proposons constitue le point de vue aigu, personnel, d’un artiste sur notre temps.
Ce choix a tout d’abord un caractère subjectif. Il correspond à ma sensibilité, ma pensée. J’ai la ferme conviction qu’en ces temps troublés de folies meurtrières grandissantes, d’exclusions et d’anathèmes en tous genres, de démarches identitaires barbares, les lieux de culture doivent être plus que jamais des lieux de parole en prise avec les réalités du monde qui les entourent, des lieux ouverts sur la vie, inscrits dans le présent. Mais c’est sans doute aussi parce que j’ai été imprégné durant des décennies par l’histoire de cette région et la culture qui s’en dégage. Liège est un grand bassin industriel qui a pris son essor à la fin du XVIIIe siècle à travers les industries sidérurgique et minière. Celles-ci ont commencé à sombrer à la fin des années soixante avec comme corollaire effroyable une crise sociale très dure.
Que ce soit dans les années fastes ou les années noires, Liège a toujours été le théâtre des grandes luttes ouvrières belges. De grands leaders syndicaux s’y sont imposés. Il y a donc, aujourd’hui encore dans cette région, en dépit de la pauvreté, cette culture de lutte, cette ferveur, ce rapport frontal au monde. C’est une chose qui est magnifiquement présente dans le cinéma des Frères Dardenne, lequel est pour moi un formidable cri d’humanité. C’est ce caractère engagé qui donne au Festival sa saveur si particulière. découvrir par le public et des spectacles reconnus que le public attend ?
Bernard Debroux : C’est cette ferveur qu’on retrouve dans la région qui te guide dans la programmation du festival ?