AFFAIRE D’ÂME, un inédit d’Ingmar Bergman porté au théâtre

Entretien
Théâtre

AFFAIRE D’ÂME, un inédit d’Ingmar Bergman porté au théâtre

Entretien avec Myriam Saduis

Le 14 Avr 2009
Anne-Sophie de Bueger et Florence Hebbelynck dans AFFAIRE D'ÂME d'Ingmar Bergman, mise en scène Myriam Saduis, Théâtre Océan Nord, 2008. Photo Michel Boermans.
Anne-Sophie de Bueger et Florence Hebbelynck dans AFFAIRE D'ÂME d'Ingmar Bergman, mise en scène Myriam Saduis, Théâtre Océan Nord, 2008. Photo Michel Boermans.

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Anne-Sophie de Bueger et Florence Hebbelynck dans AFFAIRE D'ÂME d'Ingmar Bergman, mise en scène Myriam Saduis, Théâtre Océan Nord, 2008. Photo Michel Boermans.
Anne-Sophie de Bueger et Florence Hebbelynck dans AFFAIRE D'ÂME d'Ingmar Bergman, mise en scène Myriam Saduis, Théâtre Océan Nord, 2008. Photo Michel Boermans.
Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 101 - Extérieur Cinéma - théâtre national de Nice
101

« Le film, quand ce n’est pas un doc­u­men­taire, est un rêve. C’est pourquoi Tarkovs­ki est le plus grand de tous. Il se déplace dans l’e­space des rêves avec évi­dence, il n’ex­plique rien, d’ailleurs, que pour­rait-il expli­quer ?… J’ai frap­pé toute ma vie à la porte de ces lieux où il se déplace avec tant d’év­i­dence. Quelques rares fois seule­ment je suis arrivé à m’y gliss­er… Aucun art ne tra­verse comme le ciné­ma directe­ment notre con­science diurne pour touch­er à nos sen­ti­ments, au fond de la cham­bre cré­pus­cu­laire de notre âme. »

Ingmar Bergman, cité par Le Figaro, hommage lors de sa mort le 31/07/2007

L’oeuvre d’Ingmar Bergman attire naturelle­ment l’intérêt des met­teurs en scène de théâtre, parce qu’il a longtemps mené la dou­ble vie de directeur/metteur en scène de théâtre l’hiver et de cinéaste l’été. Ses œuvres, cen­trées sur la richesse des dia­logues, gar­dent trace de cette esthé­tique théâ­trale. Ses dernières, comme les fameuses Scènes de la Vie con­ju­gale — feuil­leton télévisé qu’il a lui-même adap­té pour le théâtre — ont con­nu de nom­breuses mis­es en scène. En Bel­gique, Michel Kacene­len­bo­gen en a don­né une solide ver­sion nat­u­ral­iste, au théâtre Le Pub­lic, en mai 2007.

La sur­prise vient d’un ovni théâ­tral, présen­té en sep­tem­bre 2008, au Théâtre Océan Nord, à Brux­elles. Un mono­logue des­tiné à une actrice, Affaire d’âme, écrit pour le ciné­ma, comme un « gros plan rap­proché » d’une heure trente, n’a jamais pu être porté à l’écran, faute de pro­duc­teur. Bergman s’en est dés­in­téressé mais en a cédé les droits pour des adap­ta­tions radio­phoniques. Une jeune actrice et met­teuse en scène d’origine française, vivant à Brux­elles, Myr­i­am Saduis, en pro­pose, pour la pre­mière fois, une adap­ta­tion théâ­trale. Un inédit donc, dédou­blant habile­ment le rôle prin­ci­pal. L’accueil cri­tique est unanime­ment posi­tif, grâce à cette approche sen­si­ble de la folie par des moyens plus sym­bol­iques que réal­istes, avec une excel­lente inter­pré­ta­tion de Flo­rence Hebbe­lynck et Anne-Sophie de Bueger. 

Chris­t­ian Jade : Ce texte est écrit pour un « gros plan rap­proché»… au ciné­ma. Qu’en élim­inez-vous pour votre mise en scène de théâtre ?

Florence Hebbelynck et Anne-Sophie de Bueger dans AFFAIRE D'ÂME d'Ingmar Bergman, mise en scène Myriam Saduis, Théâtre Océan Nord, 2008.
Flo­rence Hebbe­lynck et Anne-Sophie de Bueger dans AFFAIRE D’ÂME d’Ing­mar Bergman, mise en scène Myr­i­am Saduis, Théâtre Océan Nord, 2008.

Myr­i­am Saduis : Dans le corps du texte il y avait des élé­ments datés, anec­do­tiques. J’ai gardé l’essentiel, le rap­port aux par­ents, au mari, à la société, au théâtre, à la folie. J’ai élim­iné une ser­vante à qui était adressé ce mono­logue. Par con­tre, j’ai dédou­blé le per­son­nage prin­ci­pal, Vic­to­ria, en deux actri­ces, qui en out­re se mul­ti­plient : comme si le per­son­nage prin­ci­pal était habité par plusieurs voix, qui dia­loguent en elles et lui échap­pent. Comme si elle se livrait à une analyse « sauvage ».

C.J. : Théâ­trale­ment, que donne ce « dou­ble je/double jeu » ? Elles sont répéti­tives, sem­blables, com­plé­men­taires ? 

M .S. : Les deux actri­ces sont comme des jumelles, qui jouent sur divers reg­istres, en écho, en bagarre, en col­lu­sion, sur des axes dif­férents, qui se rejoignent par­fois pour des moments de grâce, de paix, de réc­on­cil­i­a­tion, où elles peu­vent par­ler d’une même voix.

Pour la répar­ti­tion du texte, je voulais à tout prix éviter la con­cur­rence, la rival­ité, qui naît sou­vent entre acteurs/actrices si le (la) met­teur (-euse) en scène ne prend pas ses respon­s­abil­ités. Dès le début, j’ai don­né à cha­cune sa « par­ti­tion », son « ter­ri­toire », à par­tir duquel elles pou­vaient se con­necter et attein­dre le même but. J’ai insisté sur la mul­ti­plic­ité de leurs rôles, leur ver­sa­til­ité aus­si qu’on retrou­ve dans Shake­speare comme dans Bergman. La duplic­ité d’Hamlet, dans la « souri­cière » qu’il tend à son beau-père, via des comé­di­ens, on la retrou­ve chez Vic­to­ria, qui piège son mari infidèle.

C. J. : Quelle est la logique tem­porelle qui lie les onze séquences ?

M. S. : On n’est pas dans la chronolo­gie mais dans la tem­po­ral­ité de l’inconscient, qui est asso­cia­tive. Vic­to­ria joue une pièce devant un parterre d’ambassadeurs, puis plonge dans les méan­dres de l’enfance, s’évade dans un rêve, se retrou­ve dans un hôpi­tal psy­chi­a­trique, l’occasion d’une autre parole, tout aus­si fan­tas­ma­tique que le reste.

C. J. : Vous-même tra­vaillez dans un hôpi­tal psy­chi­a­trique. La ten­ta­tion n’était-elle pas forte de vers­er dans le réal­isme ? Vous par­venez à main­tenir l’action au sein d’une con­science dédou­blée par deux actri­ces… 

M. S. : J’ai deux sources d’inspiration pour les scènes d’hôpital, mon obser­va­tion per­son­nelle des patients qui rejoint celle de Bergman qui décrit son pas­sage en hôpi­tal psy­chi­a­trique dans son auto­bi­ogra­phie, Lanter­na Mag­i­ca. Sa dépres­sion le met dans une zone de retrait où plus rien n’a d’importance. Il passe son temps à regarder les pro­grammes de télé ou à écouter la radio sans vrai­ment voir ou enten­dre. Mes patients, comme Bergman, renon­cent à se bat­tre pour exis­ter. Le monde tourne autour d’eux mais ils n’ont plus de prise sur le monde. Dans ma séquence théâ­trale, j’ai essayé de mon­tr­er que le monde cogne à la porte mais que le per­son­nage ne répond plus. Vic­to­ria essaie de trou­ver un fil intérieur. Elle est dans une sorte de « no man’s land » psy­chique tout en ayant encore des con­nex­ions avec le monde d’avant sa  déprime. En se remé­morant des scènes de son passé, elle vit dans un espace-temps qui évoque plutôt l’inconscient qu’une réal­ité physique. Cette remé­mora­tion est l’objet même de son présent, comme une métaphore de l’existence qui recom­mence sans fin. Mais si elle sol­licite le passé, c’est pour essay­er de le revivre et de le com­pren­dre. En réal­ité, tout au long de la pièce, on peut se deman­der d’où elle par­le, de quel lieu ou de quelle couche de sa con­science. Mais atten­tion, on n’est pas du tout dans une pièce intimiste ou dans une con­fes­sion mélan­col­ique. Pour moi, on est dans le mode « épique », cette « tranche de vie » intérieure est comme une bataille, une épopée, une « Odyssée » intérieure. Chaque séquence est l’occasion d’une bataille nou­velle, d’une ten­ta­tive de vic­toire. Par rap­port à Bergman, il s’agissait d’éviter de faire un copier/coller de son univers visuel de cinéaste pour ren­dre sa puis­sance au théâtre.

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Myriam Saduis
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Christian Jade
Christian Jade est licencié en français et espagnol de l’Université libre de Bruxelles ( ULB)...Plus d'info
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