Jean-Louis Perrier : Qu’est-ce qui vous a conduit à mettre en scène Le Mariage de Maria Braun1, votre première adaptation d’un film à la scène ?
Thomas Ostermeier : Au départ, mon choix du Mariage de Maria Braun n’avait rien à voir avec le fait que c’était un film. Mon intérêt portait sur le personnage principal et sur le traitement de l’histoire de l’Allemagne. En cela, ce texte – ou ce film – était particulièrement adapté, dans la mesure où il décrit bien la situation de l’Allemagne après-guerre et parce qu’il est le récit de l’émancipation d’une femme, un sujet qui m’avait déjà intéressé avec Nora (Maison de poupée) ou Hedda (Hedda Gabler).
J.-L. P. : Ainsi, ce ne serait ni le film, ni la personnalité de Fassbinder qui vous auraient retenu ?
T. O. : L’idée initiale n’était pas de tirer une mise en scène du film de Fassbinder. Une copine m’avait raconté l’histoire du film que je n’avais pas vu à l’époque. Je me suis dit : « Tiens voilà une histoire intéressante ! ». J’ai pris le scénario du film, écrit par Peter Märthesheimer et Pea Fröhlich et pas par Fassbinder, comme s’il s’agissait d’une pièce de théâtre. Il est vrai qu’il y a une grande différence entre la plupart des pièces et des scénarios, du fait qu’ils sont constitués de scènes très courtes et qu’il faut trouver des solutions pour les lier.
J.-L. P. : Avez-vous fait le même travail dramaturgique à partir de ce scénario qu’à partir d’une pièce de théâtre ?
T. O. : Non, ça s’est effectué en plusieurs étapes. J’ai fait travailler le scénario par des étudiants en mise en scène. Ils l’ont partagé en six parties, que chacun d’eux a mis en scène. Le résultat m’a convaincu qu’il était impossible d’opérer ainsi. Il fallait trouver une solution qui donne du sens à la mise en scène du film, un sens théâtral. J’ai pris alors une décision importante qui consistait à travailler avec une seule actrice face à quatre acteurs qui allaient jouer les vingt personnages qui tournent autour de Maria Braun dans le film. Cette idée était aussi une idée dramaturgique, parce que je voulais raconter l’histoire afin que le manège des hommes autour d’elle en une sorte de jeu cruel donne à Maria une vision de liberté, alors qu’à la fin, le monde masculin, le système patriarcal reprend le pouvoir. Dans ce contexte, c’était pour moi évident de prendre des hommes qui jouent aussi des femmes. Leur passage très rapide et très simple d’un personnage à un autre donnait en outre la possibilité de travailler à la même vitesse sur la scène que dans le film.
J.-L. P. : Êtes vous allé voir le film ? L’aviez en tête au moment de la mise en scène ?
T. O. : C’est le personnage de Maria Braun qui m’a intéressé et l’histoire. J’ai pris l’histoire comme si elle provenait d’un roman ou d’une pièce de théâtre ou d’un film. Mais je n’ai pas travaillé sur la question de copier ou de réinventer le film sur la scène.
J.-L. P. : Pourtant, le personnage de Maria, interprété par Brigitte Hobmeier, reprend les mêmes poses que Hanna Schygulla, les mêmes jeux de regard, elle a forcément vu le film, elle ? L’avez-vous vu vous ?
T. O. : J’ai vu le film, bien sûr. Mais je n’ai pas demandé à Brigitte Hobmeier de décliner les gestes de Hanna Schygulla. C’est peut-être le seul problème de cette mise en scène, car Brigitte est très proche d’Hanna Schygulla par son physique et par son jeu. Pour moi la ressemblance n’a joué aucun rôle. Je voulais travailler avec cette actrice-là et mettre en scène ce scénario. Si elle avait été une petite brune toute différente d’Hanna Schygulla, je l’aurais prise quand même.