Le Festival International de Théâtre de Sibiu ou le siège de la cité

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Le Festival International de Théâtre de Sibiu ou le siège de la cité

Le 27 Nov 2010

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Article publié pour le numéro
Couverture du numéro 106-107 - La scène roumaine. Les défis de la liberté
106 – 107

OBSERVATION PRÉLIMINAIRE : en présen­tant le Fes­ti­val Inter­na­tion­al de Théâtre de Sibiu (FITS), une pré­ci­sion s’impose dès le début : j’écris comme un obser­va­teur détaché et objec­tif, je suis impliquée affec­tive­ment dans l’immense appareil que met en bran­le le fes­ti­val, car je fais par­tie, depuis presque deux ans, de l’équipe de réal­isa­teurs de cette belle aven­ture… telle­ment folle, folle, folle.

Tutte le strade por­tano à… FITS. (Toutes les routes mènent à… FITS.)

Man­i­fes­ta­tion théâ­trale mam­mouth dédiée aux arts du spec­ta­cle, le Fes­ti­val Inter­na­tion­al de Théâtre de Sibiu se déroule annuelle­ment, durant dix jours, du dernier ven­dre­di de mai au pre­mier dimanche de juin. L’événement s’est dévelop­pé tout au long de ces dix-sept années d’existence, devenant un des repères majeurs de la vie théâ­trale inter­na­tionale. De volu­mineuses archives ont été rassem­blées durant ces années ; elles con­ti­en­nent des mil­liers d’articles pub­liés dans la presse cul­turelle nationale et inter­na­tionale.

Le Fes­ti­val impres­sionne d’abord par son ampleur (les chiffres sont réelle­ment écras­ants), par sa com­plex­ité et par sa diver­sité. Des dizaines de mil­liers de spec­ta­teurs par­ticipent avec joie, quo­ti­di­en­nement, aux plus de trois cents événe­ments qui se déroulent, chaque année, dans quelques dizaines d’espaces de jeu dis­tincts.

Chaque nou­velle édi­tion a pour but de trans­former l’atmosphère de la ville entière, et le vieux cen­tre médié­val de Sibiu se pare d’un habit de fête. Le théâtre s’insinue partout : sur les marchés, dans les rues, sur les murs, dans des bâti­ments con­sacrés ou dans des espaces non con­ven­tion­nels, dans des halles indus­trielles, dans des auto­bus, des tramways, mais aus­si dans une forter­esse, ce qui prou­ve le car­ac­tère omniprésent d’un fes­ti­val qui s’est dévelop­pé en étroite col­lab­o­ra­tion avec les besoins de la com­mu­nauté – le fes­ti­val a con­sti­tué un argu­ment majeur pour l’attribution à la ville de Sibiu du titre de Cap­i­tale Cul­turelle Européenne de l’année 2007.

L’événement tire son énergie fébrile de la ten­sion des antag­o­nismes qui l’animent : il a, d’un côté, une dimen­sion pop­u­laire solide, don­née par les spec­ta­cles de rue les plus divers, rece­vant au cours des années des com­pag­nies fab­uleuses comme Les Tréteaux du Cerf Volant, Teatro do Mar, Mal­abar, Les Plas­ti­ciens Volants, Cara­bosse, Gener­ik Vapeur ou Transe Epress : d’un autre côté, le Fes­ti­val présente, chaque année, des pro­duc­tions indoor s’adressant surtout à un pub­lic éru­dit. Ain­si des spec­ta­cles signés par des grandes per­son­nal­ités du monde théâ­tral roumain ont été présen­tés à Sibiu, comme, par exem­ple, Alexan­dru Dabi­ja, Mihai Maniu­tiu, Sil­viu Pur­carete, Andrei Ser­ban, Tom­pa Gabor ; mais aus­si, des per­son­nal­ités inter­na­tionales : Peter Brook, Euge­nio Bar­ba, Pip­po Del­bono, Youri Kor­don­sky, Anto­nio Latel­la, Eimuntas Nekro­sius, Lars Norén, Valère Nova­ri­na, Lev­an Tsu­ladze, Andriy Zholdak.

Des spec­ta­cles expéri­men­taux, mais aus­si du théâtre pour enfants et du théâtre de mar­i­on­nettes, du théâtre under­ground, des instal­la­tions-per­for­mances et du théâtre de texte ; toutes ces formes coex­is­tent dans une frénésie éclec­tique. La ren­con­tre avec le FITS provoque des véri­ta­bles « coups de foudre », la presse cul­turelle câli­nant l’événement avec des appel­la­tions des plus sur­prenantes : « drag­on aux dix têtes », « La Petite Sor­bonne », « La Mecque du monde théâ­tral », « soupape ». En même temps, le fes­ti­val est un espace de l’appartenance, et le livre d’or des invités dévoile des pen­sées enflam­mées, inven­tées sous l’impulsion de l’instant. Georges Banu, Mari­na Davi­do­va, Bernard Debroux, Fion­nu­ala Gal­lagher, Yun Che­ol Kim, Shu­ji Kogi, Émile Lans­man, Jean Guy Lecat, Roger McCann, Jonathan Mills, Mike Phillips, Eisu­ki Shichi­ji, Sergey Shub, Minoru Tanoku­ra, Matei Vis­niec, Noel Witts sont quelques-uns par­mi ceux qui sont tombés amoureux du FITS.

Penser à garder les par­tic­i­pants sous le charme : le pro­gramme débute le matin par des con­férences de presse, des lance­ments de livres, des expo­si­tions, des work­shops, des lec­tures- spec­ta­cles, et se pour­suit par des con­férences, des débats, des spec­ta­cles de théâtre, de théâtre-danse, des con­certs, des spec­ta­cles de rue, et finit, aux aurores, dans le club du fes­ti­val– espace de l’amitié, mais aus­si de la com­plic­ité, là où sont faits et défaits les jeux du monde théâ­tral.

Le FITS édite chaque année un nom­bre con­sid­érable de vol­umes, depuis des livres de théorie théâ­trale et des essais jusqu’à des antholo­gies de pièces de la dra­maturgie actuelle. La dimen­sion théorique de l’événement coex­iste avec son côté com­mer­cial, con­crétisé par une bourse de spec­ta­cles, une foire du livre et une sec­tion de pat­ri­moine. Les spec­ta­cles du Théâtre Nation­al « Radu Stan­ca » de Sibiu– le prin­ci­pal organ­isa­teur du fes­ti­val – peu­vent être présen­tés aux directeurs des fes­ti­vals étrangers, et ils se frayent ain­si un chemin vers les plus impor­tantes man­i­fes­ta­tions cul­turelles du monde. L’exemple le plus con­clu­ant est sans doute la pro­duc­tion-événe­ment FAUST (mise en scène de Sil­viu Pur­carete), dont les cinq représen­ta­tions sold-out ont con­nu un suc­cès écla­tant au Fes­ti­val d’Edinburgh 2009.À Sibiu, la vie théâ­trale fonc­tionne selon un principe repris de la mécanique des flu­ides – celui des vas­es com­mu­ni­cants. Entre des struc­tures comme le Fes­ti­val Inter­na­tion­al, le Théâtre Nation­al « Radu Stan­ca », l’Université « Lucian Bla­ga », la Bourse des spec­ta­cles, le Cen­tre de Recherch­es Avancées dans le Domaine des Arts du Spec­ta­cle, des liens ser­rés se tis­sent, qui s’appuient mutuelle­ment pour réalis­er les caus­es com­munes.

Dès sa nais­sance, le Fes­ti­val s’est main­tenu obstiné­ment et se évolue main­tenant vers un suc­cès crois­sant jus­ti­fié. En 2010 les gens se sont vrai­ment bat­tus pour avoir des places !

Rendons à César ce qui est à César

Écrire sur ce Fes­ti­val sans par­ler de son fon­da­teur, c’est comme si on par­lait du Capi­tole sans par­ler des oies, car le FITS est relié à son créa­teur par un cor­don ombil­i­cal invis­i­ble. Le Fes­ti­val vit de l’énergie débor­dante, de la folie lucide et de l’esprit vision­naire hal­lu­ci­nant du per­son­nage faustien qu’est Con­stan­tin Chiri­ac. Sa devise, « il reste tou­jours une autre cime à attein­dre » con­firme son besoin intrin­sèque de recherche, car il se trou­ve dans une course per­ma­nente, une con­cur­rence avec lui-même et avec tout l’univers. Fait déter­mi­nant dans l’économie du Fes­ti­val, mais aus­si dans les autres struc­tures qu’il dirige, il sait attir­er l’énergie pos­i­tive, s’entourer d’un ent­hou­si­asme col­lec­tif et con­tagieux. Ain­si s’explique peut-être l’abnégation de l’équipe du FITS, mais aus­si le suc­cès du pro­gramme de volon­tari­at auquel par­ticipent quelques cen­taines de jeunes (par­mi lesquels cer­tains venus de Chine et du Japon), qui, par leur apport, ren­dent pos­si­ble la réal­i­sa­tion du fes­ti­val.

Pen­dant ces dix jours, Con­stan­tin Chiri­ac devient la per­son­ne la plus pour­chas­sée de Sibiu – pour­suivi par des jour­nal­istes, guet­té par des acteurs et met­teurs en scène, assail­li par des pro­gram­ma­teurs cul­turels – car, c’est le temps où mûris­sent les pro­jets, où nais­sent les propo­si­tions et où on signe – par­fois, avec du sang – les parte­nar­i­ats. Maître du com­pro­mis, mais aus­si de la négo­ci­a­tion, le directeur abor­de une rhé­torique à part, où le raison­nement prag­ma­tique se marie de manière inat­ten­due avec la croy­ance au mir­a­cle.

Mais, l’essentiel, c’est que le Fes­ti­val épouse par­faite­ment la ville avec laque­lle il est lié, Sibiu, qu’il appar­ti­enne à la com­mu­nauté, à la cité. Et le bourg se pare d’un charme fou – il n’y a pas de ville plus belle que Sibiu au temps du Fes­ti­val !

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Alina Mazilu
Critique de théâtre, Alina Mazilu a travaillé comme dramaturge du théâtre allemand de Timisoara et...Plus d'info
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