OBSERVATION PRÉLIMINAIRE : en présentant le Festival International de Théâtre de Sibiu (FITS), une précision s’impose dès le début : j’écris comme un observateur détaché et objectif, je suis impliquée affectivement dans l’immense appareil que met en branle le festival, car je fais partie, depuis presque deux ans, de l’équipe de réalisateurs de cette belle aventure… tellement folle, folle, folle.
Tutte le strade portano à… FITS. (Toutes les routes mènent à… FITS.)
Manifestation théâtrale mammouth dédiée aux arts du spectacle, le Festival International de Théâtre de Sibiu se déroule annuellement, durant dix jours, du dernier vendredi de mai au premier dimanche de juin. L’événement s’est développé tout au long de ces dix-sept années d’existence, devenant un des repères majeurs de la vie théâtrale internationale. De volumineuses archives ont été rassemblées durant ces années ; elles contiennent des milliers d’articles publiés dans la presse culturelle nationale et internationale.
Le Festival impressionne d’abord par son ampleur (les chiffres sont réellement écrasants), par sa complexité et par sa diversité. Des dizaines de milliers de spectateurs participent avec joie, quotidiennement, aux plus de trois cents événements qui se déroulent, chaque année, dans quelques dizaines d’espaces de jeu distincts.
Chaque nouvelle édition a pour but de transformer l’atmosphère de la ville entière, et le vieux centre médiéval de Sibiu se pare d’un habit de fête. Le théâtre s’insinue partout : sur les marchés, dans les rues, sur les murs, dans des bâtiments consacrés ou dans des espaces non conventionnels, dans des halles industrielles, dans des autobus, des tramways, mais aussi dans une forteresse, ce qui prouve le caractère omniprésent d’un festival qui s’est développé en étroite collaboration avec les besoins de la communauté – le festival a constitué un argument majeur pour l’attribution à la ville de Sibiu du titre de Capitale Culturelle Européenne de l’année 2007.
L’événement tire son énergie fébrile de la tension des antagonismes qui l’animent : il a, d’un côté, une dimension populaire solide, donnée par les spectacles de rue les plus divers, recevant au cours des années des compagnies fabuleuses comme Les Tréteaux du Cerf Volant, Teatro do Mar, Malabar, Les Plasticiens Volants, Carabosse, Generik Vapeur ou Transe Epress : d’un autre côté, le Festival présente, chaque année, des productions indoor s’adressant surtout à un public érudit. Ainsi des spectacles signés par des grandes personnalités du monde théâtral roumain ont été présentés à Sibiu, comme, par exemple, Alexandru Dabija, Mihai Maniutiu, Silviu Purcarete, Andrei Serban, Tompa Gabor ; mais aussi, des personnalités internationales : Peter Brook, Eugenio Barba, Pippo Delbono, Youri Kordonsky, Antonio Latella, Eimuntas Nekrosius, Lars Norén, Valère Novarina, Levan Tsuladze, Andriy Zholdak.
Des spectacles expérimentaux, mais aussi du théâtre pour enfants et du théâtre de marionnettes, du théâtre underground, des installations-performances et du théâtre de texte ; toutes ces formes coexistent dans une frénésie éclectique. La rencontre avec le FITS provoque des véritables « coups de foudre », la presse culturelle câlinant l’événement avec des appellations des plus surprenantes : « dragon aux dix têtes », « La Petite Sorbonne », « La Mecque du monde théâtral », « soupape ». En même temps, le festival est un espace de l’appartenance, et le livre d’or des invités dévoile des pensées enflammées, inventées sous l’impulsion de l’instant. Georges Banu, Marina Davidova, Bernard Debroux, Fionnuala Gallagher, Yun Cheol Kim, Shuji Kogi, Émile Lansman, Jean Guy Lecat, Roger McCann, Jonathan Mills, Mike Phillips, Eisuki Shichiji, Sergey Shub, Minoru Tanokura, Matei Visniec, Noel Witts sont quelques-uns parmi ceux qui sont tombés amoureux du FITS.
Penser à garder les participants sous le charme : le programme débute le matin par des conférences de presse, des lancements de livres, des expositions, des workshops, des lectures- spectacles, et se poursuit par des conférences, des débats, des spectacles de théâtre, de théâtre-danse, des concerts, des spectacles de rue, et finit, aux aurores, dans le club du festival– espace de l’amitié, mais aussi de la complicité, là où sont faits et défaits les jeux du monde théâtral.
Le FITS édite chaque année un nombre considérable de volumes, depuis des livres de théorie théâtrale et des essais jusqu’à des anthologies de pièces de la dramaturgie actuelle. La dimension théorique de l’événement coexiste avec son côté commercial, concrétisé par une bourse de spectacles, une foire du livre et une section de patrimoine. Les spectacles du Théâtre National « Radu Stanca » de Sibiu– le principal organisateur du festival – peuvent être présentés aux directeurs des festivals étrangers, et ils se frayent ainsi un chemin vers les plus importantes manifestations culturelles du monde. L’exemple le plus concluant est sans doute la production-événement FAUST (mise en scène de Silviu Purcarete), dont les cinq représentations sold-out ont connu un succès éclatant au Festival d’Edinburgh 2009.À Sibiu, la vie théâtrale fonctionne selon un principe repris de la mécanique des fluides – celui des vases communicants. Entre des structures comme le Festival International, le Théâtre National « Radu Stanca », l’Université « Lucian Blaga », la Bourse des spectacles, le Centre de Recherches Avancées dans le Domaine des Arts du Spectacle, des liens serrés se tissent, qui s’appuient mutuellement pour réaliser les causes communes.
Dès sa naissance, le Festival s’est maintenu obstinément et se évolue maintenant vers un succès croissant justifié. En 2010 les gens se sont vraiment battus pour avoir des places !
Rendons à César ce qui est à César
Écrire sur ce Festival sans parler de son fondateur, c’est comme si on parlait du Capitole sans parler des oies, car le FITS est relié à son créateur par un cordon ombilical invisible. Le Festival vit de l’énergie débordante, de la folie lucide et de l’esprit visionnaire hallucinant du personnage faustien qu’est Constantin Chiriac. Sa devise, « il reste toujours une autre cime à atteindre » confirme son besoin intrinsèque de recherche, car il se trouve dans une course permanente, une concurrence avec lui-même et avec tout l’univers. Fait déterminant dans l’économie du Festival, mais aussi dans les autres structures qu’il dirige, il sait attirer l’énergie positive, s’entourer d’un enthousiasme collectif et contagieux. Ainsi s’explique peut-être l’abnégation de l’équipe du FITS, mais aussi le succès du programme de volontariat auquel participent quelques centaines de jeunes (parmi lesquels certains venus de Chine et du Japon), qui, par leur apport, rendent possible la réalisation du festival.
Pendant ces dix jours, Constantin Chiriac devient la personne la plus pourchassée de Sibiu – poursuivi par des journalistes, guetté par des acteurs et metteurs en scène, assailli par des programmateurs culturels – car, c’est le temps où mûrissent les projets, où naissent les propositions et où on signe – parfois, avec du sang – les partenariats. Maître du compromis, mais aussi de la négociation, le directeur aborde une rhétorique à part, où le raisonnement pragmatique se marie de manière inattendue avec la croyance au miracle.
Mais, l’essentiel, c’est que le Festival épouse parfaitement la ville avec laquelle il est lié, Sibiu, qu’il appartienne à la communauté, à la cité. Et le bourg se pare d’un charme fou – il n’y a pas de ville plus belle que Sibiu au temps du Festival !