Alternatives théâtrales : à qui s’adresse le Théâtre de la Ville ?
Bertrand Delanoë : Excellence et éclectisme : voilà les deux mots qui qualifient je crois le mieux le Théâtre de la Ville, deux qualités qui en font une scène d’envergure européenne, qui rayonne sur toute la métropole. Paris est une étape importante pour la reconnaissance internationale de tout artiste : le Théâtre de la Ville fait partie de ces monuments de la culture parisienne dont la mission est d’abord de bien les accueillir. La Ville de Paris a choisi il y a trois ans le projet de son nouveau directeur, Emmanuel Demarcy-Mota, pour développer, rajeunir et diversifier son public, grâce à une programmation enrichie d’esthétiques différentes et à la mise en place de nombreuses actions d’éducation artistique. Ce choix s’inscrit dans le cadre de notre politique culturelle globale. Avec Christophe Girard, mon adjoint en charge de la culture, nous partageons en effet la conviction qu’il faut avant tout, dans une capitale comme la nôtre, permettre la rencontre de publics différents, encourager le mouvement et la mixité, créer du lien.
A. T. : Y a‑t-il de nouveaux publics à atteindre ?
B. D. : Plus que de nouvelles « cibles » à conquérir, c’est une nouvelle démarche, ouverte sur la ville, qui a été engagée. Le Théâtre de la Ville a créé une véritable « école du spectateur » initiant des échanges entre Parisiens, intellectuels et artistes d’horizons très divers, grâce aux ateliers, aux rencontres, aux lectures, à sa participation au festival Parisentouteslettresavec notamment le « bal littéraire » qui rencontre un grand succès, mais aussi aux partenariats noués avec les bibliothèques, les centres de loisirs, les écoles primaires, les collèges et les lycées parisiens… L’ouverture en direction du jeune public est essentielle : le nouveau temps fort « enfance et jeunesse » – en collaboration avec quatre autres lieux culturels parisiens « le Monfort, le Centquatre, le Grand Parquet et la Gaîté Lyrique – va permettre d’offrir une program- mation exigeante de pièces destinées aux enfants et aux adolescents de Paris et de l’agglomération parisienne. Ce travail fin et délicat, permettant de multiplier les interactions entre les artistes à l’œuvre et les publics différenciés, est la meilleure démonstration du rôle que la culture peut prendre dans une société menacée par la segmentation et l’individualisme.
A. T. : Le Théâtre de la Ville à Paris inscrit une triple pertinence dans sa programmation : théâtre, danse, musique.
B. D. : L’originalité de cette structure, dès le départ, consolidée tout au long de ces dernières décennies sous la direction de Jean Mercure puis de Gérard Violette, est de présenter l’art vivant sous toutes ses formes. C’est un lieu de la création, nationale et internationale, un théâtre fédérateur pour l’ensemble des arts de la scène. Il se fait aussi aujourd’hui l’écho d’une réflexion, d’un intérêt, d’une sensibilité accrue pour les artistes qui se situent à la confluence de plusieurs disciplines. C’est la richesse d’une capitale comme la nôtre de permettre ainsi que se croisent en son cœur les artistes les plus divers et les plus novateurs.
A. T. : En quoi le Théâtre de la Ville est-il différent des autres théâtres présents dans la ville ? Des Théâtres nationaux ? Des autres théâtres du secteur public (théâtres d’arrondissements, etc.) ? Quelles sont ses responsabilités particulières ?
B. D. : Le Théâtre de la Ville développe une grande liberté dans la programmation de ses spectacles pour faire découvrir, à un vaste public, des œuvres du monde entier, du répertoire classique aux œuvres contemporaines. Sa force réside également dans sa capacité de production, donc de prise de risque artistique. Il accepte de faire des paris, en accompagnant de jeunes artistes sur de longues durées. Enfin, le Théâtre de la Ville participe pleinement à de nouveaux réseaux, à l’échelle de la Ville et de la Métropole, permettant de sortir de certains antagonismes et de favoriser une dynamique artistique créative.
A. T. : Encouragez-vous le Théâtre de la Ville à se faire connaître en Europe et dans le monde ?
B. D.: Il renoue en ce moment avec le destin même de ce lieu – anciennement Théâtre des nations – accueillant Bertolt Brecht ou le Piccolo Teatro di Milano de Giorgio Strehler, en redonnant une place importante aux spectacles de théâtres européens. Les grandes figures de la scène internationale y ont leur place, comme Bob Wilson, Marthaler ou Castellucci et des liens de fraternité ont été créés avec les grandes compagnies de théâtre, avec les festivals européens et avec d’autres Théâtres des villes du monde (Berlin, Lisbonne, Londres, Luxembourg, Moscou…). Et l’Europe est dorénavant à l’honneur tous les mois de juin avec Chantiers d’Europe, nouveau festival européen, qui présente une programmation inventive, créée sur le vif, en résonance avec le monde tel qu’il est et tel qu’il va.
A. T. : Souhaiteriez-vous que d’autres arts ou pratiques s’inscrivent dans ce théâtre ? Lesquels ? La population parisienne exprime-t-elle des remarques ou des vœux à ce sujet ? Le théâtre de votre ville s’adresse-t-il à un public suffisamment large ?
B. D. : Ce que nous avons voulu, c’est surtout donner la liberté et les conditions aux artistes de pouvoir s’exprimer, et de rencontrer un large public à Paris. Depuis dix ans, nous nous sommes donc engagés très fortement pour le spectacle vivant, pour l’art contemporain. La municipalité a doublé le budget de la culture : la politique culturelle s’incarne aussi bien dans la qualité de la programmation des principaux établissements qu’à travers la promotion des pratiques amateurs dans nos quartiers. Elle se doit d’être à la hauteur de la réputation de notre capitale dans le monde, tout en constituant un vecteur essentiel du « vivre ensemble ». Nous avons ainsi créé des événements comme Nuit Blanche ou Paris en toutes lettres, devenus des rendez- vous, des moments de rassemblement des Parisiens et de rencontre avec les créateurs contemporains.
Ils permettent à des artistes d’investir nos institutions culturelles, mais aussi de sortir largement de ces enceintes pour trouver leur place dans la ville. La Gaîté Lyrique qui renaît aujourd’hui en un nouvel établissement culturel très novateur dédié aux arts numériques, est aussi le symbole de cette attention aux nouvelles créations, en l’occurrence à la culture numérique. Elle engage d’ores et déjà des partenariats fructueux avec le Théâtre de la Ville. Les nouveaux liens ainsi constitués permettent d’aller au-devant d’autres artistes et d’autres formes d’art. La culture doit être pour tous un instrument essentiel d’émancipation, c’est un défi quotidien en France et singulièrement à Paris : le Théâtre de la Ville est devenu un vrai moteur, porteur de cette ambition, et qui sait la faire, de plus en plus largement, partager.