La culture doit être pour tous un instrument essentiel d’émancipation

Entretien
Théâtre

La culture doit être pour tous un instrument essentiel d’émancipation

Entretien avec Bertrand Delanoë, maire de Paris

Le 22 Juil 2011
Le Centquatre, Paris. Photo Edouard Caupeil.
Le Centquatre, Paris. Photo Edouard Caupeil.
Article publié pour le numéro
Couverture du 109 - Le théâtre en sa ville
109

Alter­na­tives théâ­trales : à qui s’adresse le Théâtre de la Ville ? 

Bertrand Delanoë : Excel­lence et éclec­tisme : voilà les deux mots qui qual­i­fient je crois le mieux le Théâtre de la Ville, deux qual­ités qui en font une scène d’envergure européenne, qui ray­onne sur toute la métro­pole. Paris est une étape impor­tante pour la recon­nais­sance inter­na­tionale de tout artiste : le Théâtre de la Ville fait par­tie de ces mon­u­ments de la cul­ture parisi­enne dont la mis­sion est d’abord de bien les accueil­lir. La Ville de Paris a choisi il y a trois ans le pro­jet de son nou­veau directeur, Emmanuel Demar­cy-Mota, pour dévelop­per, raje­u­nir et diver­si­fi­er son pub­lic, grâce à une pro­gram­ma­tion enrichie d’esthétiques dif­férentes et à la mise en place de nom­breuses actions d’éducation artis­tique. Ce choix s’inscrit dans le cadre de notre poli­tique cul­turelle glob­ale. Avec Christophe Girard, mon adjoint en charge de la cul­ture, nous parta­geons en effet la con­vic­tion qu’il faut avant tout, dans une cap­i­tale comme la nôtre, per­me­t­tre la ren­con­tre de publics dif­férents, encour­ager le mou­ve­ment et la mix­ité, créer du lien.

A. T. : Y a‑t-il de nou­veaux publics à attein­dre ? 

B. D. : Plus que de nou­velles « cibles » à con­quérir, c’est une nou­velle démarche, ouverte sur la ville, qui a été engagée. Le Théâtre de la Ville a créé une véri­ta­ble « école du spec­ta­teur » ini­tiant des échanges entre Parisiens, intel­lectuels et artistes d’horizons très divers, grâce aux ate­liers, aux ren­con­tres, aux lec­tures, à sa par­tic­i­pa­tion au fes­ti­val Parisentouteslet­tresavec notam­ment le « bal lit­téraire » qui ren­con­tre un grand suc­cès, mais aus­si aux parte­nar­i­ats noués avec les bib­lio­thèques, les cen­tres de loisirs, les écoles pri­maires, les col­lèges et les lycées parisiens… L’ouverture en direc­tion du jeune pub­lic est essen­tielle : le nou­veau temps fort « enfance et jeunesse » – en col­lab­o­ra­tion avec qua­tre autres lieux cul­turels parisiens « le Mon­fort, le Cen­tqua­tre, le Grand Par­quet et la Gaîté Lyrique – va per­me­t­tre d’offrir une pro­gram- mation exigeante de pièces des­tinées aux enfants et aux ado­les­cents de Paris et de l’agglomération parisi­enne. Ce tra­vail fin et déli­cat, per­me­t­tant de mul­ti­pli­er les inter­ac­tions entre les artistes à l’œuvre et les publics dif­féren­ciés, est la meilleure démon­stra­tion du rôle que la cul­ture peut pren­dre dans une société men­acée par la seg­men­ta­tion et l’individualisme.

A. T. : Le Théâtre de la Ville à Paris inscrit une triple per­ti­nence dans sa pro­gram­ma­tion : théâtre, danse, musique.

B. D. : L’originalité de cette struc­ture, dès le départ, con­solidée tout au long de ces dernières décen­nies sous la direc­tion de Jean Mer­cure puis de Gérard Vio­lette, est de présen­ter l’art vivant sous toutes ses formes. C’est un lieu de la créa­tion, nationale et inter­na­tionale, un théâtre fédéra­teur pour l’ensemble des arts de la scène. Il se fait aus­si aujourd’hui l’écho d’une réflex­ion, d’un intérêt, d’une sen­si­bil­ité accrue pour les artistes qui se situent à la con­flu­ence de plusieurs dis­ci­plines. C’est la richesse d’une cap­i­tale comme la nôtre de per­me­t­tre ain­si que se croisent en son cœur les artistes les plus divers et les plus nova­teurs.

A. T. : En quoi le Théâtre de la Ville est-il dif­férent des autres théâtres présents dans la ville ? Des Théâtres nationaux ? Des autres théâtres du secteur pub­lic (théâtres d’arrondissements, etc.) ? Quelles sont ses respon­s­abil­ités par­ti­c­ulières ? 

B. D. : Le Théâtre de la Ville développe une grande lib­erté dans la pro­gram­ma­tion de ses spec­ta­cles pour faire décou­vrir, à un vaste pub­lic, des œuvres du monde entier, du réper­toire clas­sique aux œuvres con­tem­po­raines. Sa force réside égale­ment dans sa capac­ité de pro­duc­tion, donc de prise de risque artis­tique. Il accepte de faire des paris, en accom­pa­g­nant de jeunes artistes sur de longues durées. Enfin, le Théâtre de la Ville par­ticipe pleine­ment à de nou­veaux réseaux, à l’échelle de la Ville et de la Métro­pole, per­me­t­tant de sor­tir de cer­tains antag­o­nismes et de favoris­er une dynamique artis­tique créa­tive.

A. T. : Encour­agez-vous le Théâtre de la Ville à se faire con­naître en Europe et dans le monde ?

B. D.: Il renoue en ce moment avec le des­tin même de ce lieu – anci­en­nement Théâtre des nations – accueil­lant Bertolt Brecht ou le Pic­co­lo Teatro di Milano de Gior­gio Strehler, en redonnant une place impor­tante aux spec­ta­cles de théâtres européens. Les grandes fig­ures de la scène inter­na­tionale y ont leur place, comme Bob Wil­son, Marthaler ou Castel­luc­ci et des liens de fra­ter­nité ont été créés avec les grandes com­pag­nies de théâtre, avec les fes­ti­vals européens et avec d’autres Théâtres des villes du monde (Berlin, Lis­bonne, Lon­dres, Lux­em­bourg, Moscou…). Et l’Europe est doré­na­vant à l’honneur tous les mois de juin avec Chantiers d’Europe, nou­veau fes­ti­val européen, qui présente une pro­gram­ma­tion inven­tive, créée sur le vif, en réso­nance avec le monde tel qu’il est et tel qu’il va.

A. T. : Souhai­teriez-vous que d’autres arts ou pra­tiques s’inscrivent dans ce théâtre ? Lesquels ? La pop­u­la­tion parisi­enne exprime-t-elle des remar­ques ou des vœux à ce sujet ? Le théâtre de votre ville s’adresse-t-il à un pub­lic suff­isam­ment large ? 

B. D. : Ce que nous avons voulu, c’est surtout don­ner la lib­erté et les con­di­tions aux artistes de pou­voir s’exprimer, et de ren­con­tr­er un large pub­lic à Paris. Depuis dix ans, nous nous sommes donc engagés très forte­ment pour le spec­ta­cle vivant, pour l’art con­tem­po­rain. La munic­i­pal­ité a dou­blé le bud­get de la cul­ture : la poli­tique cul­turelle s’incarne aus­si bien dans la qual­ité de la pro­gram­ma­tion des prin­ci­paux étab­lisse­ments qu’à tra­vers la pro­mo­tion des pra­tiques ama­teurs dans nos quartiers. Elle se doit d’être à la hau­teur de la répu­ta­tion de notre cap­i­tale dans le monde, tout en con­sti­tu­ant un vecteur essen­tiel du « vivre ensem­ble ». Nous avons ain­si créé des événe­ments comme Nuit Blanche ou Paris en toutes let­tres, devenus des ren­dez- vous, des moments de rassem­ble­ment des Parisiens et de ren­con­tre avec les créa­teurs con­tem­po­rains.

Ils per­me­t­tent à des artistes d’investir nos insti­tu­tions cul­turelles, mais aus­si de sor­tir large­ment de ces enceintes pour trou­ver leur place dans la ville. La Gaîté Lyrique qui renaît aujourd’hui en un nou­v­el étab­lisse­ment cul­turel très nova­teur dédié aux arts numériques, est aus­si le sym­bole de cette atten­tion aux nou­velles créa­tions, en l’occurrence à la cul­ture numérique. Elle engage d’ores et déjà des parte­nar­i­ats fructueux avec le Théâtre de la Ville. Les nou­veaux liens ain­si con­sti­tués per­me­t­tent d’aller au-devant d’autres artistes et d’autres formes d’art. La cul­ture doit être pour tous un instru­ment essen­tiel d’émancipation, c’est un défi quo­ti­di­en en France et sin­gulière­ment à Paris : le Théâtre de la Ville est devenu un vrai moteur, por­teur de cette ambi­tion, et qui sait la faire, de plus en plus large­ment, partager.

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Théâtre de la Ville Paris
Bertrand Delanoë
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